Page images
PDF
EPUB

succédé à son oncle dans le gouvernement particulier de cette île, avait passé, avec le colonel Stapleton, un concordat par lequel il était convenu entre les deux gouverneurs, qu'en cas de guerre, la neutralité serait observée entre les deux nations rivales.

Cet accord fut envoyé en France, et servit de base au traité que Louis XIV négocia plus tard en Angleterre, et dont nous aurons occasion de parler en son lieu.

Saint-Domingue redevenue tranquille par la paix conclue à Nimègue, ne fut troublée que par l'insurrection de quelques nègres, qui, s'étant réunis sous l'autorité d'un nommé Padréjean, esclave espagnol accueilli à la Tortue, commirent quelques excès que de Puancey parvint à réprimer avec le secours de ses Boucaniers.

Enfin, la paix, dont les conditions dictées à Nimègue n'avaient pas été acceptées par l'électeur de Brandebourg, quoiqu'elle eût rétabli la tranquillité dans nos possessions d'Amérique, n'était pas complète, en ce sens que quelques bâtiments zélandais, armés en course et commissionnés par ce prince, inquiétaient sans cesse notre commerce.

Mais le succès de de Sourdis d'une part, et ceux du maréchal de Créquy de l'autre, forcèrent ce prince turbulent à accepter les conditions qui lui avaient été faites; et le 29 juin 1679 la paix étant générale, nos colons, délivrés de toute inquiétude guerrière, purent se livrer à la culture des terres.

Le tabac, ou pour parler le langage du temps, le petun (1), avait

!

(1) Nous ne pouvons omettre ici la légende rapportée par un ministre suédois, au sujet du tabac. Après être parvenu sur les bords de la Susquehannah, et après avoir assemblé toute une tribu d'Indiens, il crut pouvoir leur expliquer quelques mystères de notre religion, et, afin de leur faire comprendre la tache originelle imposée à l'homme, il leur parla du serpent, d'Eve, notre mère commune et de la pomme, cette première de toutes les boîtes de Pandore..

Les Indiens l'écoutèrent un instant; mais, voyant qu'il continuait un langage auquel ils ne comprenaient absolument qu'une seule chose, à savoir que ce Dieu qu'ils se représentaient si bon, leur était dépeint bien mé

été la première denrée coloniale. Les Hollandais et les Juifs avaient appris aux colons de la Guadeloupe, la culture de la canne et la fabrication du sucre. A la Martinique, un juif nommé Benjamin d'Accosta, fut le premier qui aligna les arbres qui produisent le cacao, dont on tire le chocolat.

Cette culture, qui demandait moins de soins et de bras que celle de la canne, devint une ressource pour les petits habitants;

chant, ils l'arrêtèrent, et un des chefs de la bande ayant pris la parole lui dit :

« Un jour, nos pères étaient en chasse; ils n'avaient alors que des animaux à manger. Le fumet de leur venaison qu'ils faisaient boucaner arriva jusqu'au ciel, et sur la terre descendit un Génie, sous la forme d'une femme. »>

Le Génie voulait peut-être pensèrent-ils partager leur repas; aussi ils se prosternèrent et lui offrirent de s'asseoir avec eux; mais le Génie refusa et les plaignit sincèrement de n'avoir que du gibier. Les sauvages s'humilièrent. Le Génie, s'étant assis à quelque distance d'eux, appuya ses deux mains sur la terre, et disparut après leur avoir recommandé de marquer le lieu où il s'était reposé, et de ne pas oublier d'y revenir à la lune prochaine. Ils y revinrent en effet, et trouvèrent qu'à l'endroit où ses deux mains avaient reposé, croissaient deux plantes, le maïs et les fèves dont ils se nourrirent; mais n'ayant pu employer comme nourriture la troisième, qui avait poussé à la place où avait reposé son derrière, ils supposèrent que le Génie avait pensé aux chagrins qui entourent l'homme et que, pour les dissiper, il avait créé cette plante dont l'usage aujourd'hui est passé du sauvage chez les nations les plus policées.....

Ce conte a peut-être donné naissance au mot petun, et les étymologistes, qui ont deviné que le tabac devait son nom à l'île de Tabago, auraient bien mieux saisi le rapport qui existe entre ce conte (qui du reste est consigné aux Archives de la marine) et le premier nom donné par les Français à cette plante.

En France, on fit du mot petun un verbe, et Scarron, en parlant de la Fortune et de ses caprices, dit :

Aujourd'hui, l'aveugle fortune

Est pour qui boit et qui petune.

D'après Charlevoix, le mot tabac dérive de ce que les insulaires appelaient tabaco l'instrument dans lequel ils fumaient; quant à la plante, ils l'appelaient cahiba. D'après le même auteur, le mot petun serait brésilien.

mais les marchés, qui d'abord s'étaient fails, entre les marchands et les habitants, avec du petun, se faisaient encore, à cette époque, avec le sucre, dont le cours était si minime, que le roi, dans ses lettres, se plaignait du peu de consommation que l'on en faisait alors dans son royaume.

Les échanges devenaient difficiles, parce que tous les habitants ne pouvaient se livrer à la fabrication du sucre; le conseil supérieur de la Martinique rendit un arrêt, le 12 septembre 1679, pour supplier le roi d'envoyer aux fles de l'Amérique cent mille écus d'argent monnoyé et d'un type particulier, afin d'abolir l'usage de stipuler en sucre.

La France a trop longtemps négligé les finances coloniales; nous ne sachons pas que la supplication du conseil ait été prise en considération. Par l'arrêt que l'on trouvera à la page 513 du volume II du Code manuscrit de la Martinique (Archives de la marine), on verra que déjà pareille demande avait été faite aux directeurs de la compagnie. Les pièces qu'ils y envoyèrent, ayant la même valeur qu'en France, furent promptement enlevées par les trafiquants d'Europe.

« Celle monnaie, porte l'arrêt, n'est restée dans l'tle que peu » de temps; de sorte que les bonnes intentions de la compagnie » sont demeurées inutiles auxdits avantages du service du roi » et du bien public. C'est pourquoi il serait bon de faire faire >> une monnaie carrée, dont les espèces seraient d'une valeur de >> trois livres, de vingt sols, de dix, de cinq et d'un sol marqué, » le tout sur le pied du sol tournois, et au même titre que celle » de France. >>

Ces prévisions des conseillers reposaient sur de fausses bases et sur de faux raisonnements, car, afin de retenir l'argent dans les colonies, on a toujours pensé qu'il serait urgent, outre la forme carrée ou l'estampille coloniale, de lui donner encore une valeur locale moindre que le chiffre représentatif. (Voir ici les Annales, au chapitre intitulé, Payements en sucre supprimés.)

[blocks in formation]

Si jamais monarque mérita le nom de Grand, ce fut bien certainement celui qui, par ses victoires, imposa des conditions à tous ses ennemis, employa son génie aux arts, et dota la France des monuments splendides qui font encore, de nos jours, l'admiration des étrangers, qui, eux-mêmes, en 1680, surnommèrent le descendant de saint Louis, Louis-le-Grand.

Aidé de ses ministres, qu'il eut le talent de distinguer au milieu de toute cette foule de courtisans qui se pressaient sur ses pas, toutes les branches de son administration avaient été réglées en France, et, déjà, il mûrissait son ordonnance de la marine, que les Anglais eux-mêmes ont copiée.

Non moins occupé de la prospérité de ses colonies, sa correspondance avec de Blénac et Patoulet, nous prouve que, mieux instruit des besoins que ressentaient ces pays exceptionnels, il eût mieux apprécié les sages décisions que prenaient les Conseils Souverains des Antilles, dont la juridiction, souvent administrative, était appelée à décider les questions les plus vitales pour ces pays, et desquelles dépendait l'avenir des colons.

Les pouvoirs presque absolus des divers chefs, envoyés par le roi pour gouverner ses domaines transatlantiques, se croisaient constamment, et ce n'était souvent qu'après de fausses relations, que les ministres se voyaient contraints de juger en dernier ressort.

Les colons, délivrés des Hollandais et des craintes que la guerre doit naturellement occasioner aux habitants des îles, sur les coles desquelles il est si facile d'opérer une surprise et de piller, se virent, en cette année 1680, inquiétés par les Caraïbes de

Saint-Vincent. Ils songèrent à se venger des assassinats que ceuxci avaient commis sur quelques Français, et entre autres sur un capucin, que son zèle apostolique avait aveuglé à ce point qu'il avait cru, malgré l'expérience des temps passés, pouvoir compter sur l'attachement des sauvages.

De Blénac, ayant en cette circonstance voulu s'en référer à l'opinion du conseil souverain de la Martinique, chargea de Gémosat, lieutenant de roi de cette île, de recueillir les sentiments des habitants, et lui-même, ayant assemblé le conseil, envoya á Colbert la décision des magistrats.

Le roi fut instruit de l'intention qu'avaient manifestée le conseil, les habitants de la Martinique et son représentant, de faire la guerre aux sauvages, et, dans une lettre qu'il écrivait en 1680 à de Blénac, nous extrayons les lignes suivantes :

« J'ai vu et examiné les Mémoires que vous m'avez envoyés » sur la guerre des Caraïbes et les différentes demandes et pro>> positions que vous faites pour mettre une heureuse fin à cette >> guerre, sur quoi je vous dirai que je n'estime pas du bien de >> mon service de l'entreprendre, et que mon intention n'est pas » d'envoyer les troupes et les bâtiments que vous demandez » pour cet effet. Ainsi, il faut que vous fassiez tout ce qu'il peut » dépendre de vous, pour contenir ces peuples et empêcher » qu'ils n'apportent aucun obstacle au commerce et à la sûreté » de mes sujets, sans en venir à leur faire la guerre, en quoi il » sera de votre prudence d'user, dans les différentes occasions, » de punition, pour les faire craindre lorsqu'ils auront fait quel» que désordre, et de bons traitements pour les engager, par >> l'amitié, à ne rien faire contre mes sujets (1). »

Nous ignorons quelles peuvent avoir été les instructions que les gouverneurs anglais recevaient de leur cour, à l'égard des Caraïbes, mais assurément il ne peut entrer dans l'idée de personne de supposer qu'ils eussent l'ordre de prêter la main aux vols que ceux de leur nation, comme nous l'apprend Raynal, commet

(1) Volume des Ordres du roi de 1680, Archives de la marine.

« PreviousContinue »