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CHAPITRE Ier.

ATTAQUE DE TABAGO PAR LE COMTE D'ESTRÉES.

DESASTRE DE LA FLOTTE FRANÇAISE AUX ILES D'AVÉS, ALLANT A LA CONQUÊTE DE MARTINIQUE, LA GUADELOUPE, SAINT-DOMINGUE,

- LA

CURAÇAO.
JUSQU'EN 1680.

Depuis plus d'un an, Louis XIV désirait sincèrement la paix. Afin d'y contraindre ses ennemis, il avait voulu les effrayer par ses succès; et, dans cette année (1677) si glorieuse pour la France, nos armes avaient partout triomphé. Le prince d'Orange, que rien ne pouvait décourager, avait été battu à Cassel, et avait levé le siége de Luxembourg, défendu par Montal qui déjà, en 1672, avait vụ les efforts du prince échouer devant son héroïque défense.

D'Estrées non-seulement avait, comme nous l'avons dit, détruit à Tabago la flotte hollandaise, mais encore le même amiral Binkes, qu'on lui avait opposé en Amérique, avait été battu par lui dans plusieurs rencontres.

En Europe, les Anglais, non contents d'avoir forcé Charles II à rompre son alliance avec la France, avaient voulu l'obliger à déclarer la guerre à Louis XIV, et lui en avaient fait prescrire la loi dans le parlement. Charles, indigné, avait dissout son parlement.

Cependant le prince d'Orange s'était rendu à Londres; il avait vu la princesse Marie, fille du duc d'York.

Marie plut au prince, qui en fit la demande au roi et au duc. Charles ne voulait pas faire la guerre à Louis XIV, et, avant tout, demandait que la paix qu'on traitait à Nimègue fût conclue. Le prince refusa de participer aux arrangements projetés. Le roi et le duc persistèrent. Enfin, menacé d'un refus, s'il ne se rendait, il leur dit que dans l'état où étaient les affaires, il prévoyait que les alliés auraient une paix peu avantageuse, et qu'ils croi

raient qu'il avait fait son mariage à leurs dépens. Cette raison lui paraissant décisive, il déclara, en outre, qu'il ne vendrait jamais son honneur pour une femme.

La fermeté du prince convint à Charles, et le mariage fut conclu. Malgré le mauvais vouloir que le prince d'Orange avait, en toute occasion, manifesté à l'égard de la France, il ne put empêcher son monarque de dicter, à Nimègue, les conditions de la paix.

Le 10 août 1678, un traité fut signé avec la Hollande. Le 17, un second traité fut signé avec l'Espagne.

Louis XIV, dont les efforts tendaient vers ce but, ne s'était point endormi sur les suites de ses victoires, et s'il voulait la paix, c'est qu'il la savait surtout utile à la prospérité de ses iles de l'Amérique. Mais, ayant appris par expérience qu'il n'aurait rien à attendre de bon de la part d'un ennemi aussi actif que l'était le prince d'Orange; et puis enfin, étant au fait de tout ce qui se passait en Angleterre, il avait écrit le 27 décembre 1677 à de Blénac:

<< Monsieur le comte de Blénac, je fais savoir à monsieur le » comte d'Estrées, que la résolution que le roi d'Angleterre a » prise, d'assembler son parlement, m'oblige, dès à présent, à » prévenir les ordres que j'estime nécessaires pour la conser»vation de mes îles de l'Amérique, en cas que, contre toute >> apparence, il prit le parti de se joindre à mes ennemis, et comme » c'est à vous à qui j'ai confié un commandement aussi impor>> tant que celui desdites îles, je suis bien aise aussi de vous dire » qu'il faut que vous vous concertiez avec ledit sieur comte >> d'Estrées, avant son départ, sur tout ce qu'il sera nécessaire » pour la défense des îles qui sont sous mon obéissance, et pour » attaquer les Anglais de l'île de Saint-Christophe, en cas que >> leur roi ose prendre le hasard d'une guerre contre moi. Pour » cet effet, je donne ordre audit sieur comte d'Estrées, de laisser » tous les soldats surnuméraires qui ont été embarqués sur les >> vaisseaux qu'il commande, et je veux que vous les incorporiez » dans les compagnies d'anciennes levées qui seront dans les

» dites îles, ou que vous en formiez de nouvelles, suivant ce que >> vous estimerez nécessaire pour le bien de mon service, ordon» nant à cette fin audit sieur comte d'Estrées de choisir entre » les officiers de vaisseaux, ceux qu'il estimera plus capables de >> commander lesdits soldats. Ledit sieur comte d'Estrées a éga>>lement ordre de laisser tout ce qu'il pourra de munitions et » armes sans dégarnir les vaisseaux qu'il doit ramener en France. » Il faut, sur toutes choses que vous vous mettiez en état de vous » défendre par vous-même, car, bien que j'aye intention de vous. >> envoyer des secours de temps en temps, la guerre que j'ai à >> soutenir ne me permettra pas de vous en envoyer sitôt, et il faut» que vous me donniez le temps de remporter des avantages, et >> par terre et par mer, sur les Anglais avant que je puisse envoyer » des escadres de mes vaisseaux dans les fles. Appliquez-vous » donc à animer les peuples à leur défense commune, tenez la >> main à ce qu'ils soient bien armés, distribuez-les par compa» gnies, et faites, que s'ils sont attaqués, je sois assuré qu'ils fe>>ront une vigoureuse résistance. Je me remets à vous pour ce qui regarde l'attaque de Saint-Christophe, ne doutant pas que » vous trouviez moyen d'en chasser les Anglais, mais, observez » que je ne veux pas que vous entrepreniez aucune chose » contre les Anglais, en quelque lieu que ce puisse être, que » vous n'en ayez reçu ordre par un bâtiment que je vous dé>> pêcherai exprès (1). »

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Cette clause était essentielle au repos des colons anglais, les colons français de Saint-Christophe devant être tout naturellement disposés à leur faire la guerre; néanmoins la tranquillité régna à, Saint-Christophe, et les efforts de d'Estrées, qui était retourné aux îles, se dirigèrent une seconde fois vers Tabago. Cette conquête ne fut ni longue ni difficile (2)..

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(1) Volume des Ordres du roi, de 1677, Archives de la marine. Lettres en chiffres.

(2) En lisant la relation ci-jointe, qu'on a extraite des Archives de la marine, on verra combien le hasard servit le comte d'Estrées.

Nous avions alors à combattre, en Amérique, et les Espagnols et les Hollandais.

Relation de la prise de l'île et fort de Tabago, et des vaisseaux qui se sont trouvés dans le port.

« De Tabago, le 27 décembre 1677.

» Le Pavillon, avec les vaisseaux qui l'avaient suivi au Cap-Vert, arriva à la vue de la Barbade, le 30 novembre. Les Anglais prirent les armes dans tous les quartiers de l'île, comme ils ont accoutumé de fàire lorsqu'ils voient plusieurs vaisseaux; et, de notre part, sous prétexte de confirmer au gouverneur que la bonne intelligence continuait toujours entre Sa Majesté et le roi d'Angleterre, l'on y envoya les sieurs de la Boissière et Matisse Huiliesme, pour s'informer de l'état des ennemis à l'ile de Tabago et des travaux qu'ils pouvaient avoir faits depuis la dernière campagne. Ils y furent fort bien reçus, et, pendant deux jours qu'ils y demeurèrent, le Bourbon, l'Emerillon avec la Maligne, joignirent le Pavillon, et l'on apprit de M. de Blénac, qui s'était embarqué sur le Bourbon, que le Belliqueux et le Brillant pourraient encore tarder quelques jours à paraître, quoiqu'ils dussent apporter près de six cents soldats ou habitants. On estima toutefois qu'il ne fallait pas différer à aller à Tabago prévenir les nouvelles que les Hollandais pouvaient recevoir de la Barbade, et s'emparer de la descente avant qu'ils eussent songé à la défendre.

» C'était une des grandes difficultés que M. le vice-amiral (le comte d'Estrées) appréhendait dans cette entreprise, estimant que les ennemis se seraient peut-être corrigés de la faute qu'ils firent la dernière campagne.

> De sorte que, dans la pensée de leur dérober la descente, les vaisseaux ayant mouillé, le 6 décembre, à une rade éloignée de deux lieues du fort, il détacha, dès le soir, 550 hommes et en donna le commandement à M. le comte de Blénae, ayant sous lui les sieurs de Chaboissière, de Bleor et de Brevedant, et le nombre d'officiers nécessaires suivant le détachement pour occuper, dès la nuit ou à la petite pointe du jour, un poste fort avantageux, et qui aurait vu par derrière les ennemis s'ils s'étaient fortifiés à une anse nommée des Palmistes, qui est le lieu le plus commode pour la descente.

>> On a su par des prisonniers qu'ils avaient résolu de la défendre, et que, le 7 au matin, ils avaient détaché deux cents hommes qui avaient même marché pour cet effet; mais qu'ayant appris que nos troupes étaient descendues un peu devant la pointe du jour, ils étaient rentrés dans le fort un moment après.

>> M. le marquis de Grancey, comme premier officier-général, avait désiré d'être chargé de cette action; mais la nécessité de régler le poste de chaque vaisseau et de les faire mouiller ensuite en l'ordre de bataille pour être en état de soutenir en même temps un combat de mer et continuer l'attaque du fort, si l'escadre de Hollande, que l'on avait sujet d'attendre, avait paru, ne permit pas de le laisser mettre pied à terre ce jour-là.

De Blénac tenta, dans le courant de 1678, une entreprise contre l'île de la Trinité. Le Vassor de Latouche, avec deux cents

» Le 7 et le 8, on fit descendre le reste des troupes, qui, toutes ensemble, consistaient en neuf cent cinquante hommes, sans y comprendre les officiers, les munitions de guerre et de bouche, les mortiers, les bombes, les canons. les outils et tout ce qui est nécessaire pour une attaque, qui est un attirail presque infini lorsqu'il en faut faire le transport à force de bras et sur le dos des hommes, par un chemin d'une lieue et demie, qu'on a été obligé de faire dans les bois avec des serpes et des cognées, et de conduire par des ravines et des éminences fort droites, les ennemis ayant ruiné, par de grands abattis, celui que l'on avait fait la campagne dernière, et les pluies l'ayant inondé en partie; elles ont été si grandes depuis qu'on a débarqué les troupes jusqu'à ce qu'on les ait remises dans les vaisseaux, qu'il est difficile d'exprimer les incommodités que l'on en a reçues; les officiers-généraux n'en étant pas plus exempts que les moindres soldats, faisant souvent une et deux fois en un jour ce chemin si rude et si difficile, et où il fallait passer quatre ou cinq ravines ou rivières débordées, où il y avait de l'eau quasi jusqu'à la ceinture.

>> Le 9, les troupes campèrent toutes sur une hauteur qui n'est qu'à six cents pas du fort, et M. le vice-amiral envoya le sieur Gossant vers le sieur Binkes, pour lui dire qu'il ne pouvait plus souffrir qu'il contraignît les Français à servir de force, et, qu'ayant encore quatre cents prisonniers hollandais entre ses mains, ou de Viapoquo ou du Cap-Vert, il en userait avec la dernière sévé→ rité s'il continuait à violer ainsi toute sorte de droit.

» Il répondit avec beaucoup d'honnêteté et de respect pour le roi, ajoutant que le meilleur témoignage qu'il pouvait donner qu'on ne faisait violence à aucun Français, c'est qu'ils étaient employés dans les dehors et se promenaient tous les jours sur le rivage.

>> Comme le sieur de Gassant était sur le point de le quitter pour rapporter sa réponse, il le rappela et lui demanda, par une espèce de raillerie, pourquoi M. le vice-amiral ne lui faisait pas l'honneur de le faire sommer comme la campagne dernière. En effet, il comptait beaucoup sur les pluies qui n'étaient pas encore finies, et la garnison était composée de neuf cents hommes et peut-être plus, le commis ayant assuré qu'il donnait tous les jours mille rations, dont il y avait six cents dans le fort ou dans les dehors, et trois cents dans les vaisseaux qui étaient si près de terre que c'était y être.

» Cependant, malgré les difficultés que je viens de dire, on ne manqua pas de mener sur la hauteur trois mortiers, d'y porter des bombes, des carcasses, des munitions de guerre et de bouche, de conduire trois pièces de canon à moitié chemin de la descente, de faire une batterie pour les mortiers à trois cent soixante ou trois cent quatre-vingts pas du fort, qui commença à tirer le 12,

» Comme elle avait été faite avec diligence et dans un endroit couvert de cannes à sucre et d'arbrisseaux, les ennemis ne s'en étaient pas encore

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