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Ce fut sur ces entrefaites que l'on apprit à Saint-Domingue les nouvelles hostilités survenues en Europe, entre la France et l'Espagne. Malgré la guerre imminente dont on ne connaissait pas l'issue à Ratisbonne, de Saint-Laurent et Bégon engagèrent de Cussy à faire demander au président de Santo-Domingo s'il avait les pouvoirs nécessaires pour procéder à la reconnaissance des limites entre les deux nations.

Le refus du gouverneur espagnol fut des plus positifs, et, dès lors, les Français conclurent que ce qui leur restait de plus raisonnable à faire était de se préparer à une vigoureuse défense, en cas d'attaque.

Néanmoins, comme, au milieu de toutes ces préoccupations, rien n'était plus pressé que de pourvoir à l'administration de la justice, il fut dressé, cette année 1684, un Mémoire au roi pour lui représenter l'urgence d'établir à Saint-Domingue un conseil souverain, et quatre sièges de justice secondaire. Jusque-là, la justice s'y était rendue d'une manière fort singulière : les officiers s'assemblaient et décidaient les questions les plus graves.

Les habitants auraient dû se réjouir de cette grande preuve d'intérêt que voulait leur donner de Cussy, mais, au contraire, ils en prirent ombrage, et crurent qu'on voulait les soumettre à de nouvelles vexations.

<< Le plus grand embarras de ce gouverneur, dit Charlevoix, >> fut ensuite à les calmer au sujet de la ferme des tabacs, qui >> continuait à les ruiner, et avait à la fin rendu si méprisable >> celte marchandise, laquelle avait été longtemps la seule mar>>chandise du pays, et avait formé la colonie, que quiconque » n'avait point d'autre bien était en danger de mourir de >> faim. >>>

Charlevoix, qui écrivait en 1731, pouvait, à cette époque, mieux apprécier que de nos jours le tort que la métropole avait fait å ses colonies en monopolisant une plante qui, fournie à l'Europe par l'Amérique, est repoussée entièrement de nos marchés.

Les habitants, réduits à cet état précaire, se rappelant la promesse que leur avait faite de Puancey, que la ferme du tabac

ne serait pas renouvelée à la fin de son bail, s'assemblèrent, et firent les propositions suivantes que de Cussy se chargea d'envoyer au ministre :

1° De supprimer la ferme du tabac et de donner au roi un quart de tout celui qu'ils enverraient en France;

2. De transporter en France ce quart, franc de tous frais;

3o De cultiver de l'indigo et du coton.

Ces propositions, comme nous le pensons, ayant été repoussées, les habitants, qui avaient commencé à faire des plantations de cotonniers, les arrachèrent, et s'adonnèrent à la culture du cacaoyer.

Enfin, Bégon et de Saint-Laurent, jugeant que leur présence n'était plus nécessaire à Saint-Domingue, partirent du Cap-Français dans les premiers jours de décembre 1684, et se dirigèrent vers les petites Antilles.

De retour dans les îles du Vent, ces officiers y trouvèrent de Blénac, dont le roi avait pressé le retour dans son gouvernement.

De Saint-Laurent eut à rendre compte d'une soi-disant permission qu'il était accusé d'avoir donnée à de la Soulaye, gouverneur de Sainte-Croix, pour courir sus aux Hollandais; et Bégon, rappelé en France par le roi, apprit que la commission d'intendant-général aux fles d'Amérique avait été délivrée à Dumaitz de Goimpv. le 28 novembre 1684.

L'année d'avant, la place honorifique de vice-roi des îles de l'Amérique, vacante par la mort du maréchal d'Estrade, avait été donnée au maréchal d'Estrées.

Ces fonctions, purement honorifiques, qui ajoutaient un titre de plus à tous ceux qu'avaient les grands seigneurs de cette époque, avaient été créées, le 8 octobre 1612, par le roi Louis XIII, en faveur du comte de Soissons, prince du sang.

Henri de Bourbon, prince de Condé, avait, à la mort du comte de Soissons, hérité de ce titre.

Le duc de Montmorency fut pourvu de cette vice royauté après le prince de Condé.

HIST.

GÉN. DES ANT. II.

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Le duc de Ventadour remplaça le duc de Montmorency, mort le 18 mai 1649.

Danville de Ventadour succéda au duc de ce même nom.

Et d'Estrades en avait été pourvu en 1662.

Dans le cours de cette année 1684, le conseil souverain de la Martinique, appelé à décider quelques questions fort graves, s'était livré à des travaux dont l'appréciation pourra mieux être jugée dans les Annales.

Le 25 avril, il fut décidé que le juge de Saint-Pierre, vu le nombre des affaires et l'accroissement de la population du FortRoyal, tiendrait tous les jeudis de l'année une audience, depuis huit heures du matin jusqu'à midi, dans la maison du nommé Payen, sise au bourg du Fort-Royal.

Des lieux furent désignés pour les marchés qui se tenaient au Fort-Royal et à Saint-Pierre.

Une convention décida entre les jacobins et les jésuites, les limites de leurs cures. Ces deux ordres avaient chacun une paroisse à Saint-Pierre. Celle du Fort était desservie par les jésuites, et celle du Mouillage par les jacobins ou dominicains. La construction de l'église du Mouillage, à ce que nous apprend Labat, est due aux officiers des vaisseaux du roi, particulièrement au comte de Crancey et à de la Clocheterie.

Ce fut encore dans le courant de cette année qu'un arrêt du conseil d'État ratifia les bornes faites aux paroisses de la Martinique et de la Guadeloupe, qui furent plus tard réglées de nouveau.

Enfin de Blénac et Bégon, ayant reconnu l'utilité d'un canal pour faciliter l'exploitation des terrains situés dans le fond de la baie du Fort-Royal, terrains qui formaient le quartier de la Rivière-Salée, chargèrent Renaudin, officier de milice, de conduire ce travail et d'en faire le tracé (1).

(1) Archives de la marine.

CHAPITRE IV.

SUITE DE L'HISTOIRE DE LA JAMAÏQUE. -LE CODE NOIR, LA RÉVOCATION DE L'ÉDIT DE NANTES. ÉVÉNEMENTS SURVENUS AUX ANTILLES

FRANÇAISES, JUSQU'EN 1687. — COUR SOUVERAINE ÉTABLIE A SAINT

DOMINGUE.

Cette année 1685 s'ouvrait grosse d'événements que l'on ne pouvait prévoir d'avance, car, avec l'opiniâtreté que le prince d'Orange mettait à poursuivre ses projets, on devait s'attendre, en Europe, à une nouvelle conflagration. Il avait espéré un moment que ses conseils décideraient les Hollandais à déclarer la guerre à la France, quoique Louis XIV les eût forcés à accepter les conditions de paix qu'il leur avait imposées.

Gendre du duc d'York, ce prince avait-il complé sur les faveurs de la fortune? avait-il rêvé qu'après avoir terrassé le roi d'un Etat puissant, il poserait, quelques années plus tard, sur sa tête, une couronne usurpée ?

Charles II, oncle de sa femme, était mort, le 12 février 1685. << Avec de grands défauts, dit Burnet dans son Histoire d'An» gleterre, il n'avait presque point de vertus pour les réprimer, » et ce n'était guère chez lui que quelques défauts plus légers » qui servaient de contre-poids aux autres. >>

Jacques II, fils, comme ce monarque, de ce prince dont la tête avait rougi de son sang royal le pavé de Wite-Hall, était monté sur le trône qu'avait occupé son frère.

Grand amiral d'Angleterre, Jacques avait commandé les flottes durant la guerre de Hollande, et avait donné, en diverses occasions périlleuses, les preuves les plus éclatantes de son courage.

Les colons anglais, à son avènement à la couronne, auraient pu se réjouir, car, pour les colonies, un roi savant dans les choses de la mer était une bonne fortune, et Jacques jouissait de la réputation d'habile marin; mais, à la Jamaïque, ce n'était plus la

guerre qu'il fallait aux Flibustiers, qui tous, lassés des poursuites qu'on avait exercées contre eux, s'étaient adonnés à la culture des terres.

Certes, ils auraient pu se féliciter des mesures prises pour leur importer des nègres ; des nègres, richesses premières des colons, richesses auxquelles participaient les métropolitains, toujours privilégiés, en Angleterre comme en France, pour faire la traite sur les côtes d'Afrique; mais l'avidité des négociants leur avait valu de si grands maux, que, s'étant vu retirer les bénéfices de la piraterie, ils redoutaient une ruine complète.!

Charles II avait donc établi, le 26 septembre 1672, la compagnie royale d'Afrique, et lui avait accordé le privilége exclusif à tous autres de faire le-commerce des nègres en Guinée, à Angola et dans la Barbarie occidentale.

Le duc d'York, depuis peu Jacques II, roi d'Angleterre, s'était, ainsi que quelques autres grands personnages, intéressé dans cette société. Le crédit de ces seigneurs avait fait étendre si loin les priviléges de la compagnie d'Afrique, qu'ils avaient prétendu être en droit de s'approprier tout le commerce de ces contrées, et de confisquer les vaisseaux qui en rapportaient des nègres ou autres marchandises, sans être munis d'un pouvoir de la compagnie.

<< Celle injuste manœuvre, dit un auteur anglais, fit un tort >> immense à nos colonies, surtout à celle de la Jamaïque (1). »

Les nègres, avant cette mesure, se vendaient fort bon marché, et les habitants, par cette facilité que leur donnait le commerce interlope des nègres, trouvaient de grandes ressources pour la culture de leurs terres.

Waughan, au gouvernement duquel nous nous sommes arrêté dans notre narration historique de la Jamaïque, n'avait point tardé à s'apercevoir que les prix exorbitants des nègres, portés par cette compagnie, nuisaient au développement de la colonie. Dès lors il facilita les interlopes, et la cour, instruite de cette

(1) Histoire de la Jamaïque.

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