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genoux défaillir, mes oreilles tinter, & un feu rapide courir dans mes veines en le voyant: je n'étais point Sapho ; & je n'aurais point fait le faut de Leucade comme elle. Mais fans me croire aussi sensible, je me flattais d'aimer Alcime autant que je pouvais aimer. J'étais charmée de sa figure, enchantée de son langage, idolâtre de ses vertus: nul mortel, à ma connaiffance, ne me semblait comparable à lui pour l'excellence du caractere, ni pour l'agrément de l'esprit: auprès de lui, je ne défirais rien au monde, & par-tout dù il n'etait pas, il manquait à mes yeux, il manquait à mon cœur ses entretiens étaient pour moi une source intariffable de délices; je ne m'en raffafiais point; je me les rappelais fans ceffe; j'y trouvais tous Jes jours de nouvelles douceurs. On a, ce semble, quelque raison de se croire amoureuse lorsqu'on en est là; point du tour: Alcime favait mieux que moi ce qui se paffait dans mon ame; & bientôt ma mere elle-même vit sa prédiction s'accomplir.

Il est vrai qu'on semblait s'entendre pour faire valoir à mes yeux tout le mérite du jeune homme. Chacun lui faisait à l'envi l'accueil le plus flatteur ; & Alcime ne manquait pas de faire naître ou de saisir l'occasion de le mettre en scène.

D'abord parla peu, mais bien. Enfuite il se laissa insensiblement engager à développer davantage ses sentimens & fes idées; & fur l'article de la jeunesse de ce temps-là, il dit modestement, mais ingénument fon avis, en avouant que dans la licence, la mollesse, l'oisiveté où ses pareils paffaient leurs plus belles années, dans la vanité de leur luxe, dans l'aviliffement de leur galanterie, dans la bassesse de leurs goûts & de leurs inclinations, il avait peine à reconnaître le caractère mâle & noble de leurs peres, & qu'il ne voyait plus en eux que des hommes dégénérés.

La sagesse de ses propos, la bienséance de fon maintien, le naturel de ses manieres, la grace & la facilité de son langage, l'air dont il l'animait attira mon attention, mais fans me distraire d'Alcime. Seulement dans Néray je crus entendre fon Difciple. Ce jeune homme, disais-je, a le même bonheur que moi; nous fommes à la même école. Ce fut d'abord entre lui & moi une espece d'affinité.

Je le revis; & ce jour-là, tandis qu'il exprimais avec vivacité combien il était fier & glorieux de l'amitié dont l'honorait Alcime; l'un de mes regards, en paffant, ayant effleuré sa figure, je lui trouvai de la reflemblance avec l'image que, dans ma fantaisie, je me faisais d'Alcibiade. Oui, me dis-je à moi-même, mais mon Socrate est beau, plus beau même que son Difciple. Je me souviens que je fus fort contente de lui avoir donné l'avantage; & pour le lui afsurer mieux, je les regardai tour à tour. En effet, Néray me parut avoir les traits moins réguliers ; & quoique plus jeune & plus vif, cette mobilité de physionomie, cette fraîcheur de teint, ce feu dans le regard, ne m'éblouirent pas allez pour ne pas voir qu'Alcime eût été pour un Peintre un beaucoup plus parfait modele. Néray avait bien dans la taille plus de souplesse & d'élégance; mais Alcime avait plus de dignité dans le maintien. Dans l'un, je ne voyais qu'un simple mortel; & dans l'autre, je croyais voir un Dieu. Cette comparaison du Dieu & du mortel me semblait si prodigieusement décifive en faveur d'Alcime, que dans ma folitude je ne cessais d'y réfléchir; & ces deux images fans cefle retracées à mon efprit, devinrent presque l'unique objet de mes rêveries mélancoliques; car dès - lors je fus triste sans soupçonner pourquoi.

Moi, qui ne m'impatiente guere, je ne pus fans dépit entendre mes compagnes préférer l'élégance, la grace de Néray à la beauté d'Alcime. Je leur soutins que l'un n'était que du joli moderne, & que l'autre était du bel antique. Mais elles se moquerent de moi & de l'antiquité; & il n'y en eut pas une à qui l'agrément ne parût préférable à la perfection. Du côté de l'esprit, elles convinrent toutes qu'Al

DE FRANCE.

cime était plus raisonnable; mais je vis clairement que la raison était ce qui les seduisait le moins ; & parmi elles, ce fut à qui m'abandonnerait mon Alcime, & à qui me disputerait les attentions de Néray. Je crus les leur céder sans regret & sans jaloufie; & en songeant avec pitié à la frivolité de ce goût de leur âge : Les voilà, dis-je, toutes éprises de ce jeune arrivant; voyons laquelle aura le bonheur de lui plaire, & s'énorgueillira de la belle conquête où chacune aspire en secret..

Cette curiofité me prit si vivement, & fut bientôt si inquiete, que nulle autre pensée ne pouvait m'en distraire. Quand nous étions ensemble, & Néray avec nous,, jobservais tout du coin de l'œil. Comme il était d'une poliresse exceffive, il ne négligeait rien, il n'oubliait personne ; & chacune à son tour obtenait de lui la faveur d'un regard obligeant, ou d'un mot agréable. J'avais mon tour auffi, & je trouvais plaisante l'illufion que j'étais tentée de me faire à moi-même ; car il me semblait que ses yeux & le fon de sa voix avaient, en s'adressant à moi, quelque chose de fingulier qui me distinguait de la foule. Pour détromper mon amour-propre, jobservai le jeune homme avec plus d'attention; & cette fingularité, que je n'avais d'abord que légérement apperçue, prit à mes yeux le caractere d'une sensibilité dif AS

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crete & réservée, qui semblait ne vouloir se décéler qu'à moi.

O Ciel! combien nous sommes vaines, me disais-je avec confufion ! me voilà prefque intimement perfuadée que ce serait à moi que Néray voudrait plaire. Eh bien, je gage que chacune de mes compagnes croit auffis, pour fon compte, trouver dans l'accent de la voix & dans le feu de ses regards la même expression de sensibilité. Heureusement j'ai le cœur épris d'un objet qui l'occupe seul, & qui n'y laiffe aucune place. Les Demoiselles courent plus de danger que moi. Amélie est légere, elle lui échappera; Posalie est trop nonchalante pour s'en affecter vivement; Adélaïde eft fiere, & fera peu flattée d'un hommage fi partagé; mais Eléonore est sensible, & quoiqu'elle n'ait pas fort appuyé sur son éloge, c'est elle qui a le plus rougi quand j'ai contrarié le bien qu'on en difair. Oh! celle-là y fera prise; & l'indolente Rofalie pourrait bien s'animer pour lui. Il est riche, & bien né: il n'est aucune d'elles qui ne fût très-flatrée de l'avoir pour époux. Déjà même peur - étre a-t-on fur lui quelque deffein; & fans cela,, pourquoi Alcime l'aurait-il amené? Oh oui, dans tour ceci je soupçonne quelque mystere. Surprise & impatientée de voir que ces idées m'obfédaient malgré moi: Eh que m'importe, dis-je en roulant ma tête fur mon chever,

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