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tellement qu'il y avait une espèce de déshonneur, d'infamie, à mourir sans laisser par testament un héritier de son choix. Chez nous, au contraire, il n'y a pas d'autre succession que la succession légitime. A Rome, tout testament contenait nécessairement une institution d'héritier; sans cette institution, l'acte n'aurait pas été un testament. Chez nous, au contraire, le testament ne peut jamais faire un héritier, mais seulement des légataires. Aussi, tandis que les Institutes de Justinien traitent des héritiers testamentaires et légitimes dans une même matière, en plaçant même les héritiers testamentaires en première ligne, notre Code ne parle dans ce titre que des successions ab intestat, et il range les testaments dans le titre suivant parmi les donations, qu'il subdivise en donations entre- vifs et donations testamentaires (voy. n° 36).

CHAPITRE PREMIER.

DE L'OUVERTURE DES SUCCESSIONS, ET DE LA SAISINE DES HÉRITIERS.

1. Ouverture des successions.

718. Les successions s'ouvrent par la mort naturelle et par la mort civile (1).

719. La succession est ouverte par la mort civile, du moment où cette mort est encourue, conformément aux dispositions de la section II du chapitre II du titre De la Jouissance et de la Privation des droits civils.

I.

SOMMAIRE.

Ce que c'est que l'ouverture des successions. Quand elle a lieu. Différence sur ce point entre le droit français et le droit romain.

II. Cas où il importe de connaître le moment précis où la personne est morte.
III. Transition aux articles suivants.

1.- 22. On appelle ouverture d'une succession, la fixation du droit des personnes qui y sont appelées; la transformation de leur espérance en un véritable droit, et de leur qualité de successeurs présomptifs en celle de successeurs réels. C'est donc au moment où s'ouvre la succession qu'il faut, pour être héritiers, réunir les conditions voulues par la loi; celui qui aurait cessé de présenter ces conditions quelques instants avant l'ouverture, ou qui ne les réunirait que quelques instants plus tard, ne serait pas héritier. Or, un seul événement ouvre la succession d'une personne: c'est sa mort, soit naturelle, soit civile.

que

s'ou

A Rome, ce n'était pas précisément à la mort du défunt vrait la succession ab intestat; c'était au moment où il devenait certain qu'il n'y aurait pas d'héritier testamentaire. Or, comme il fallait que l'héritier fût au moins conçu lors de la mort du défunt, la combinaison de ces principes amenait quelquefois des résultats que la raison ne sau

(1) La mort civile est abolie par la loi du 31 mai 1854.

rait consacrer et que notre art. 718 rend heureusement impossibles chez nous. Ainsi, Pierre meurt laissant un fils unique, Paul, mais avec un testament qui institue un étranger; six mois après, l'épouse de Paul devient grosse et Paul meurt; puis, plus tard, l'institué refuse la succession. Eh bien! le fils de Paul, petit-fils de Pierre, n'aura pas (à Rome) la succession de son grand-père. En effet, il ne peut pas la prendre comme héritier de Pierre, puisqu'il n'était pas encore conçu quand Pierre est mort; il ne peut pas la prendre non plus comme héritier de Paul, son père, et en prétendant que celui-ci l'a recueillie avant de mourir, puisque Paul est mort avant que cette succession fût ouverte. L'enfant serait donc privé des biens de son aïeul.

Chez nous, ce résultat inique n'est pas possible, puisque, la succession légitime s'ouvrant toujours par la mort même, Paul aurait recueilli cette succession avant de mourir et l'aurait transmise à son fils dans la sienne propre.

II.

23. Il est souvent indifférent de connaître l'instant précis où une personne est morte. Quand l'héritier présomptif de la personne a vécu longtemps après elle, peu importe le moment de la mort de celle-ci. Ainsi, quand ma mère est morte le 10 janvier 1842 et que moi, son unique enfant et son seul héritier, je viens quelques jours après réclamer sa succession, il importe peu qu'elle soit morte à une heure du matin, ou à midi, ou à quatre heures du soir; car, dans tous les cas, il est évident que j'existais quand elle est morte, et que, par conséquent, j'ai recueilli sa succession.

Mais quand l'héritier présomptif de la personne est mort à peu près en même temps qu'elle, il devient très-important de préciser l'instant de la mort de chacun d'eux; ainsi, quand Pierre a pour seul héritier présomptif Paul, son cousin paternel, et Jacques, son cousin maternel, et que le cousin paternel meurt le même jour que lui, il importe de savoir lequel des deux est mort le premier. En effet, si Pierre est mort avant Paul, celui-ci a recueilli la moitié de la succession et l'a transmise à ses propres parents; tandis que si c'est lui qui est mort avant Pierre, la succession entière de celui-ci appartient à Jacques, le cousin maternel. Que si Paul, cousin paternel de Pierre, était son unique parent, il aura la succession entière s'il lui a survécu; tandis que, s'il est mort le premier, elle passera, ou à la veuve de Pierre, ou à l'État si Pierre n'est pas marié. C'est qu'en effet, pour succéder, il faut nécessairement exister à l'instant de l'ouverture de la succession (art. 725).

III. - 24. Le point de savoir à quel moment est morte chacune des personnes entre lesquelles se débat la question de survie est une simple question de fait que les tribunaux doivent décider, dans chaque affaire, par les preuves résultant de témoignages et, à défaut de preuves positives, par les présomptions résultant de l'ensemble des circonstances (art. 1353) (1).

(1) Nous avons vu sous l'art. 79 que celui qui prétendrait que le moment marqué

Au reste, il est un cas particulier où le Code indique lui-même, en les élevant au rang de présomptions légales, les probabilités qui devront l'emporter; ce cas est celui où les personnes étaient appelées à se succéder réciproquement, et où elles ont péri dans un même événement. C'est la fameuse matière des comourants, de commorientibus, si longuement traitée par la plupart des anciens auteurs : elle fait l'objet des trois articles suivants.

720. - Si plusieurs personnes respectivement appelées à la succession l'une de l'autre, périssent dans un même événement, sans qu'on puisse reconnaître laquelle est décédée la première, la présomption de survie est déterminée par les circonstances du fait, et, à leur défaut, par la force de l'âge ou du sexe.

721. Si ceux qui ont péri ensemble, avaient moins de quinze ans, le plus âgé sera présumé avoir survécu.

S'ils étaient tous au-dessus de soixante ans, le moins âgé sera présumé avoir survécu.

Si les uns avaient moins de quinze ans, et les autres plus de soixante, les premiers seront présumés avoir survécu.

722. Si ceux qui ont péri ensemble, avaient quinze ans accomplis et moins de soixante, le mâle est toujours présumé avoir survécu, lorsqu'il y a égalité d'âge, ou si la différence qui existe n'excède pas

une année.

S'ils étaient du même sexe, la présomption de survie, qui donne ouverture à la succession dans l'ordre de la nature, doit être admise : ainsi le plus jeune est présumé avoir survécu au plus âgé.

I.

II.

III.

IV.

V.

SOMMAIRE.

Cas où plusieurs individus, réciproquement héritiers l'un de l'autre, périssent dans le même événement. Trois règles: 1o si la survie de l'un d'eux est certaine, on lui donne effet d'après le droit commun; 2o si les circonstances du fait la rendent probable, on lui donne effet encore, et toujours par le droit

commun.

3o S'il n'y a ni certitude, ni probabilité, on applique les présomptions légales tracées par nos articles.

Cette dernière règle, étant une exception au droit commun, ne peut plus s'ap-
pliquer quand on est en dehors des termes de la loi. On suit alors la règle
de l'art. 135.

Ainsi on retombe dans le droit commun quand il est impossible de reconnaître
la différence d'âge sur laquelle la présomption est basée. Erreur de Chabot,
Delvincourt et M. Duranton. Étrange doctrine de Toullier désavouée par
M. Duvergier.

Ainsi encore, ces présomptions ne s'appliquent pas à des personnes qui ne sont pas mortes dans un même événement. On rentre alors dans le droit commun. Erreur de Chabot.

dans un acte de décès comme étant celui de la mort n'est pas exact ne serait pas tenu d'attaquer cet acte par la voie périlleuse et difficile de l'inscription de faux. Ce serait là un simple témoignage qui pourrait être combattu et détruit comme toute autre déposition de témoins (voy. l'explication des art. 45 et 79).

VI.

Elles ne s'appliquent pas davantage quand les personnes mortes dans le même événement n'étaient pas appelées à se succéder réciproquement. Erreur de M. Duranton.

VII. Suite de la même idée.

VIII. Elles ne s'appliquent pas non plus en cas de testament. Erreur de Toullier. C'est aux représentants du légataire de prouver la survie de celui-ci.

IX. Elles ne s'appliquent pas, enfin, en cas de donation soit de biens présents avec clause de retour pour le prédécès du donataire, soit de biens à venir. - Au premier cas, c'est aux représentants du donateur de prouver le prédécès du donataire. Au second, c'est aux représentants de ce donataire de prouver sa survie. Erreur de Chabot.

X.

Elles s'appliquent à des successeurs irréguliers comme à des héritiers proprement dits.

XI. Elles peuvent être invoquées par tout représentant, quel qu'il soit, du survi

vant.

XII. Quid si plusieurs personnes sont frappées en même temps de mort civile ?
XIII. Observation générale.

I. - 25. Quand deux personnes (et il en serait de même pour un plus grand nombre), entre lesquelles on débat la question de survie, étaient appelées respectivement à la succession l'une de l'autre et qu'elles ont péri dans le même événement, la loi trace pour la dévolution de leur succession trois règles subsidiaires l'une à l'autre.

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D'abord, si l'on peut arriver à savoir d'une manière certaine, par des dépositions de témoins ou autrement, laquelle a succombé avant l'autre, il est clair que sa succession aura été recueillie par la seconde et qu'elle passera avec la succession de celle-ci, dont elle fait désormais partie, aux représentants de cette seconde personne. Cette première règle, qui n'est que l'application du droit commun, résulte d'ailleurs de l'art. 721, qui déclare qu'on n'aura recours aux deux autres règles que quand on ne pourra pas reconnaître quelle personne est décédée la première. S'il est impossible d'arriver à une certitude, on devra se contenter des présomptions résultant des circonstances du fait; et cette seconde règle, que présente formellement le même art. 721, n'est encore que l'application du droit commun. Ainsi, quand un incendie a commencé par le bas de la maison, on décidera que la personne qu'on trouve morte dans son lit, à l'une des chambres d'un étage supérieur, n'est morte qu'après celle dont on trouve le cadavre au rez-de-chaussée. Que si, enfin, les circonstances ne donnent ni certitude ni probabilité sur la question de survie, on arrive alors à la troisième règle de nos articles, règle tout exceptionnelle, toute spéciale pour le cas dont il s'agit, que dès lors on n'aurait pas pu appliquer si la loi ne l'avait pas formellement écrite, et qu'on ne pourrait pas étendre aux cas non prévus par nos articles.

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II. - 26. Voici quelle est la théorie de la loi dans cette règle toute d'exception. Les hommes sont divisés par le législateur en trois catégories, selon qu'ils sont au-dessous de quinze ans, entre quinze et soixante, ou au-dessus de soixante.

Au-dessous de quinze ans, d'après la théorie du Code, l'homme est dans la faiblesse, mais il marche vers la force; en sorte que, s'il s'agit de deux personnes se trouvant l'une et l'autre dans cette catégorie,

c'est la plus âgée qui est la plus forte et qui survit. — Entre quinze et soixante ans, l'homme est dans toute sa force, et la loi tient compte tout d'abord d'une circonstance qu'elle néglige dans les autres catégories, le sexe : c'est le mâle qui est plus robuste que la femme et qui lui survit, pourvu cependant qu'ils soient du même âge à un an près; que s'il y a plus d'un an de différence entre les personnes de différents sexes, ou si les personnes sont de même sexe, c'est tout naturellement le plus jeune qui survit au plus âgé. — Au-dessus de soixante ans, l'homme retombe dans une faiblesse qui va toujours en augmentant, en sorte que c'est également le plus jeune qui survit au plus âgé. Enfin la faiblesse du vieillard est plus grande que celle de l'enfant; en sorte que la personne de plus de soixante ans est déclarée mourir avant celle qui se trouve au-dessous de quinze ans.

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Il reste deux cas que la loi n'a pas prévus, mais qui ne présentent aucune difficulté. La loi fait l'application de sa théorie 1° pour la première classe; 2° pour la seconde ; 3° pour la troisième; et 4° pour le concours de la première avec la troisième; mais il reste à régler le concours de la seconde; 5° avec la première, et 6° avec la troisième. La décision est toute simple, car la première et la troisième catégorie étant celles de la faiblesse, et la seconde celle de la force, il est évident que la personne qui se trouve entre quinze et soixante ans devra toujours être déclarée avoir survécu, soit à l'enfant, soit au vieillard.

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III. 27. Nous avons dit que cette théorie du Code, ce système de présomptions légales, constitue une règle tout exceptionnelle, laquelle par conséquent ne peut plus s'appliquer dès là qu'on est en dehors du cas prévu par la loi.

Ainsi, 1o il s'agit de deux personnes entre lesquelles il est impossible de savoir laquelle était plus âgée, et laquelle plus jeune (et nous supposons en outre, si c'est entre quinze et soixante ans, qu'elles sont du même sexe); ou bien 2o les deux personnes ne sont pas mortes dans le même événement; ou bien 3o les deux personnes sont mortes dans le même événement, mais l'une d'elles seulement était appelée à la succession de l'autre, sans qu'il y eût réciprocité; ou bien enfin 4° les deux personnes mortes dans le même événement étaient appelées mutuellement aux biens l'une de l'autre, mais c'était par donation et non par succession. Dans tous ces cas, on est en dehors du système de présomptions légales indiqué ci-dessus, et par conséquent on rentre sous l'application des principes du droit commun. Or, ces principes sont clairs et faciles à saisir.

La raison proclame que celui qui prétend à l'exercice d'un droit doit prouver que ce droit lui appartient. Ainsi, quand une personne vient réclamer comme siens des droits qu'elle dit s'être ouverts au profit d'un individu qui les lui a transmis ensuite par sa mort, c'est à elle de prouver que cet individu, aujourd'hui mort, a véritablement recueilli les droits en question : par exemple, s'il s'agit d'une succession, c'est à elle de prouver que l'individu par la mort duquel elle prétend avoir

T. III.

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