Page images
PDF
EPUB

(VI, 45 et 46), que les présomptions de nos articles doivent s'appliquer aux personnes mortes dans le même événement, mais dont l'une seulement était appelée à la succession de l'autre sans réciprocité.

Supposons trois cousins germains, Primus, Secundus et Tertius: Primus qui a un enfant, et Secundus qui n'en a pas (et qui n'a pas non plus de plus proches parents que Primus et Tertius), meurent dans le même événement, sans que les circonstances donnent aucune certitude ni aucune probabilité de la survie de l'un ou de l'autre. Si l'on décide que nos articles doivent s'appliquer, et que dès lors Primus, parce qu'il était plus jeune que Secundus, doit être présumé lui avoir survécu, Primus ayant ainsi recueilli pour moitié la succession de Secundus, cette moitié passera dans sa propre succession à son enfant, et Tertius n'aura que l'autre moitié de cette même succession; si, au contraire, on applique le droit commun, rien ne prouvant que Primus ait survécu, il sera déclaré n'avoir rien recueilli de la succession de Secundus, laquelle passera à Tertius pour le tout. Or, c'est évidemment cette seconde idée qu'on doit adopter, puisque la présomption légale n'est admise que pour des personnes « respectivement appelées à la succession l'une

de l'autre. »

Mais, dit-on, on ne doit pas tenir compte de ce mot respectivement; car la loi n'a pu avoir de raison pour rejeter, dans le cas de non-réciprocité, la présomption qu'elle créait pour le cas contraire... La réponse est facile; car alors même que le législateur n'aurait eu aucune raison pour restreindre la présomption au cas par lui prévu, nous n'aurions pas encore le droit de l'étendre, attendu que nous n'avons pas à juger et à modifier la loi, mais seulement à l'interpréter. Mais il y avait une raison de cette différence; et cette raison, c'est que la présomption aurait été beaucoup moins utile, aurait produit beaucoup moins d'effets, dans le cas de vocation non réciproque.

En effet, quand il y a réciprocité, l'application de la présomption légale aura toujours pour résultat de simplifier singulièrement les caleuls en réunissant toutes les successions en une seule : ainsi, qu'au lieu de deux héritiers, il y en ait trois, quatre ou un plus grand nombre, ce sera toujours tel d'entre eux qui, par sa survie présumée, aura réuni tous les biens dans sa succession unique, et il n'y aura que cette succession à déférer. Quand, au contraire, les personnes ne sont pas appelées à se succéder réciproquement, la présomption légale de survie n'apporterait aucun changement ou qu'un changement peu sensible : ainsi, quand quatre frères, dont trois ont des enfants, meurent dans le même événement, si c'est à celui qui n'a pas d'enfants que la présomption légale attribue la survie, il y aura toujours quatre successions séparées à déférer, absolument comme si cette présomption n'existait pas; que si la présomption le fait mourir le second ou le troisième, la liquidation des successions se trouvera plus compliquée encore qu'en l'absence de la présomption. Or, quand il s'agit d'une présomption qui sera presque toujours contraire à la réalité des faits (ainsi que l'avoue lui-même M. Duranton), le législateur ne devait l'admettre qu'autant

qu'il y avait quelque utilité à le faire (conf. Paris, 30 nov. 1850; J. P., 1851, I, 125).

VII. 34. M. Duranton (no 46), en écrivant la doctrine que nous venons de critiquer, paraît constamment dominé par l'idée, déjà réfutée plus haut, de la prétendue nécessité d'une présomption.

Il suppose que deux frères, dont un laisse un enfant, meurent dans un même événement, sans que rien prouve ni rende probable la survie de l'un d'eux; et il pense que l'enfant, fils d'un défunt et neveu de l'autre, n'aurait aucun moyen de recueillir la succession de son oncle, si l'on ne supposait pas la survie de l'un ou de l'autre frère. Selon lui, l'enfant n'a que deux moyens d'arriver à la succession de l'oncle; ce serait: 1o de la prendre comme étant venue tomber dans celle du père (mais il faut pour cela que la survie du père soit présumée), ou bien 2o d'y venir par représentation de son père (mais il faudrait alors que l'oncle eût survécu, car on ne peut représenter que les personnes mortes avant celui de la succession duquel il s'agit).

Mais c'est là une grave erreur; l'enfant peut très-bien prendre les biens de son oncle, sans prétendre qu'ils sont tombés dans la succession de son père, et aussi sans venir par représentation de ce père : il viendra les prendre directement et de son chef, comme étant le plus proche parent dont l'existence fût certaine au moment de la mort de l'oncle. Il dira, en se fondant sur l'art. 136: Il n'est pas reconnu que mon père, héritier présomptif de mon oncle, existât encore quand la succession de celui-ci s'est ouverte; donc cette succession est dévolue à celui qui devait la recueillir à défaut de mon père, c'est-à-dire à l'héritier le plus proche après mon père; or, cet héritier le plus proche, c'est moi... La survie d'aucun des deux frères n'étant ni prouvée, ni légalement presumée, il y a alors deux successions distinctes et indépendantes qui s'ouvrent simultanément, et c'est le même enfant qui est appelé à toutes deux. Et comme cet enfant appelé à deux successions distinctes peut dès lors accepter l'une en répudiant l'autre, M. Duranton tombe dans une seconde erreur (conséquence de la première) quand il dit que l'enfant, si l'oncle n'a pas survécu, ne peut pas prendre la succession opulente de cet oncle sans prendre la succession supposée mauvaise de son père. Il en donne pour raison cette idée à laquelle il revient toujours, qu'en supposant le décès simultané des deux frères, la représentation serait inadmissible!... Eh! mon Dieu, que vient faire là l'idée de représentation? Sans doute, l'enfant ne peut pas succéder à l'un par représentation de l'autre, puisque tous deux sont morts en même temps; mais il lui succédera de son chef. Et en face de ces deux successions ouvertes simultanément indépendamment l'une de l'autre, pourquoi donc ne pourrait-il pas dire : Je prends celle-ci, mais je ne veux pas de celle-là ?...

Il est surprenant que M. Duranton et tant d'autres aient pu ne pas saisir une idée que proclament les principes de la logique, que consacrent expressément et la règle générale de l'art. 135 et la règle spéciale de l'art. 136, qui a été écrite en toutes lettres dans le projet du

Code, et que le conseil d'État a retranchée precisément parce qu'on l'a trouvée inutile comme présentant une règle de droit commun!

35. Et ce n'est pas seulement quand l'un des deux défunts laisse un parent plus proche que ne l'était celui qui est mort avec lui, comme dans le cas des deux frères dont un laisse des enfants; ce n'est pas alors seulement que cesse la réciprocité, et dès lors l'application de nos articles c'est aussi quand l'un des deux laisse un successeur de son choix, lequel doit exclure l'autre de la succession. Ainsi, quand, de deux frères sans parents, l'aîné a fait un testament qui lui donne un légataire universel, il est clair que ce frère aîné était toujours appelé à la succession du jeune; mais celui-ci ne l'était plus à celle de l'aîné : ils n'étaient donc pas appelés respectivement, et l'on ne pourrait plus appliquer nos articles.

Et en effet, si l'on prétendait qu'il suffit qu'il y ait une vocation de la loi, alors même qu'elle doit être inefficace par suite d'une disposition de l'homme, il s'ensuivrait qu'il y a lieu d'appliquer nos articles entre deux frères ou deux cousins qui laissent tous deux un légataire universel; car tous deux étaient respectivement héritiers l'un de l'autre d'après la loi. Or, comment pourrait-il être question de s'occuper de fixer la survie entre deux personnes dont chacune a un successeur de son choix, en sorte qu'aucune des deux n'a droit à la succession de l'autre?

Mais pour que l'application de nos articles cesse pour cette raison, il faut, bien entendu, que le successeur choisi par l'un des défunts, ou par chacun d'eux, exclue entièrement les héritiers; car si ces héritiers étaient toujours appelés à une partie de la succession, nos articles s'appliqueraient pour cette partie. Ainsi, un père et son fils, morts dans le même événement sans qu'on connaisse le survivant, laissent chacun un légataire universel: le père étant héritier réservataire du fils, puisqu'il a droit à un quart que le fils n'a pu lui enlever (art. 915), et le fils étant héritier réservataire du père pour une moitié dont celui-ci n'a pas pu disposer (art. 913), il s'ensuit que les deux légataires ont seulement droit, celui du père à la moitié de la succession, et celui du fils à trois quarts; les deux défunts étaient donc respectivement appelés à se succéder, l'un pour moitié, l'autre pour un quart, et il y a lieu dès lors d'appliquer nos articles.

[ocr errors]

VIII. 36. Enfin, et en quatrième lieu, les présomptions de nos articles ne peuvent pas s'appliquer, malgré l'opinion contraire de quelques auteurs, notamment de Toullier (IV, 78), au cas de donation, soit entre-vifs, soit testamentaire. La raison en est simple: c'est qu'aucun texte ne reproduit pour les donations la règle exceptionnelle que nos articles portent pour les successions.

Pour motiver sa doctrine, Toullier dit que la loi admet deux espèces de succession: la succession légitime, et la succession testamentaire ; et que, nos articles ne distinguant pas, leur règle doit s'appliquer à l'une comme à l'autre. Il ajoute que cette règle n'est pas la seule qu'il faille reporter de notre titre au titre suivant, et que le bénéfice d'in

ventaire (qui ne peut s'appliquer, comme nos présomptions, qu'à des héritiers) peut aussi, bien qu'il ne soit écrit que dans le titre des successions ab intestat, être invoqué dans les successions déférées par le choix de l'homme. Mais c'est là une erreur qu'on ne pourrait adopter qu'en bouleversant toute l'économie du Code : l'idée du célèbre auteur était vraie à Rome et dans nos anciens pays de droit écrit ; mais elle est complétement fausse aujourd'hui. Le droit romain, suivi dans plusieurs de nos anciennes provinces, admettait des hérédités testamentaires et des hérédités légitimes; mais le Code, qui a consacré le principe de nos anciennes coutumes, n'admet que des successions ab intestat. La preuve en est tout d'abord et dans l'art. 711 et dans la division de notre livre III, lesquels nous présentent comme manières distinctes d'acquérir: 1o la Succession, dont s'occupe notre titre Ier, et 2o la Donation, soit entrevifs, soit testamentaire, dont traitera plus tard le titre II. L'ensemble des textes du Code, et ce qui s'est passé lors de leur discussion, ne saurait d'ailleurs laisser de doute à cet égard.

En effet, l'art. 723, pour nous donner le plan de notre titre et le tableau complet des successions tant régulières qu'irrégulières, nous indique 1o les héritiers légitimes proprement dits, 2o les enfants naturels, 3o le conjoint survivant, et 4° l'État : il se garde bien de parler des légataires, même universels. Aussi, dans la discussion au conseil d'État, le premier consul disait que « cet article prouve que les dispositions de ce titre ne s'appliquent qu'aux successions ab intestat. » (Fenet, XII, p. 9, in fine.) Sans doute, il existe ici des règles qui s'appliquent à d'autres matières; mais ce sont seulement celles qui ne supposent pas l'existence du titre d'héritier. Telles sont les règles du partage il est clair qu'il y a lieu de les appliquer toutes les fois que plusieurs propriétaires se trouvent dans l'indivision. Mais quant aux règles qui supposent le titre d'héritier, elles ne s'appliquent qu'aux successions ab intestat... Dans la même séance, lorsqu'on discuta l'art. 724, qui proclame la saisine (c'est-à-dire l'investiture légale de la possession) des héritiers légitimes, Cambacérès, tout en approuvant l'article en soi, demandait qu'on en changeât la rédaction, attendu qu'en accordant la saisine aux héritiers légitimes sans parler des héritiers testamentaires, l'article semblait la refuser à ceux-ci et préjuger ainsi une question qui n'était pas encore résolue. Mais on combattit son idée par deux raisons dont chacune prouve la vérité de notre doctrine. On dit d'abord « qu'autrefois, en pays de droit écrit, on admettait et on plaçait même en première ligne la succession testamentaire; qu'en pays coutumier, au contraire, la qualité n'était jamais déférée que par la loi; que le Code civil devant faire cesser cette diversité, il avait semblé juste de préférer les habitudes des pays coutumiers. »> On ajouta que, d'ailleurs, « ce titre ne s'occupait que des successions légitimes; que, par conséquent, on devait ajourner la difficulté au titre des Donations et Testaments. » (Fenet, p. 9 et 10.)

Et comment pourrait-il être question du bénéfice d'inventaire en cas de testament?... L'objet du bénéfice d'inventaire, ainsi qu'on le verra

plus loin, est de dispenser l'héritier de payer les dettes d'une succession au delà de la valeur des biens composant cette succession; or, l'obligation de payer les dettes ultrà vires successionis n'est imposée qu'aux héritiers proprement dits, et nous venons de voir que, contrairement aux règles suivies à Rome et dans nos anciens pays de droit écrit, notre législateur n'admet pas qu'on fasse des héritiers par testament. Et cette idée, que le Code indique dans notre titre, il l'indique de nouveau au titre des Donations: après avoir dit dans l'art. 967 qu'il tient aux idées et non pas aux mots, que par conséquent les testaments pourront disposer par telles expressions qu'ils voudront, même par celles d'institution d'héritier, il déclare dans l'art. 1002 que, quelques termes qu'on ait employés et quand même on aurait parlé d'institution d'héritier, la disposition ne sera toujours qu'un legs. Donc les testaments, chez nous, ne font plus que des légataires, et non pas des héritiers. Aussi, quand l'art. 1006 accorde, dans un cas particulier, aux légataires universels, la possession de plein droit des biens, il a bien soin de ne pas dire pour eux, comme l'art. 724 le fait pour les héritiers, qu'ils ne sont saisis que sous l'obligation d'acquitter toutes les charges. Enfin, nous verrons sous l'art. 1002 que cet article a précisément été demandé par le Tribunat et admis par le Conseil, pour qu'il fût bien entendu que les effets attachés par le droit romain au titre d'héritier testamentaire sont entièrement détruits.

Donc, il n'y a point d'autres héritiers que les héritiers de la loi, point d'autre succession que la succession ab intestat, et ce n'est que pour la mort simultanée de plusieurs personnes appelées réciproquement à l'hérédité légitime l'une de l'autre que nos articles peuvent s'appliquer. Ainsi, quand Pierre et Paul, dont chacun avait fait l'autre son légataire universel, meurent dans un même événement, sans que rien indique lequel a succombé le premier, voici ce qui arrivera: les représentants de Pierre ne prouvant pas que Pierre existait quand Paul est mort, le testament fait au profit de Pierre par Paul restera sans effet. De même, les représentants de Paul ne prouvant pas qu'il ait survécu à Pierre, le testament fait au profit de Paul par Pierre tombera. Ainsi les deux testaments seront caducs, et les biens de Pierre iront aux héritiers ab intestat de Pierre, en même temps que les biens de Paul aux héritiers de Paul (1).

IX. 37. Puisque nos présomptions ne s'appliquent pas en cas de testament, elles ne s'appliqueront donc pas non plus, et par la même raison, en cas de donation.

Ainsi, quand Pierre a fait à Paul une donation entre-vifs, en stipulant que les biens par lui donnés lui reviendraient si Paul donataire mourait avant lui, et que tous deux meurent dans un même événement, il n'y aura pas lieu d'invoquer les présomptions de nos articles

(1) Chabot (art. 720, no 7); Delvincourt, Merlin (Rép., vo Mort, 82, art. 2); Delaporte (art. 827); Duranton (VI, 48); Dalloz (vo Succ., no 12); Bordeaux, 29 janv. 1849; Paris, 30 nov. 1850 (Dev., 49, II, 625; J. Pal., 1851, I, 125).

« PreviousContinue »