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leurs créanciers. Nous pensons cependant, avec Chabot (no 21) et M. Duranton (IV, 120), qu'il faut répondre négativement.-L'art. 1166 permet à un créancier d'exercer, pour l'acquit de sa créance, toutes les actions appartenant à son débiteur : c'est qu'en effet, ces actions sont des biens dans la main du débiteur, et tous les biens d'un débiteur sont le gage de ses créanciers (art. 2093). Mais le même art. 1166 excepte de cette faculté les droits et actions exclusivement attachés à la personne; or, l'action dont il s'agit nous paraît être de ce nombre. Les rapports d'un créancier avec son débiteur sont de purs rapports d'argent, et ce n'est pas pour un intérêt pécuniaire que notre action est organisée. La question d'indignité est une affaire toute morale, un débat de famille auquel les étrangers ne doivent pas se mêler; l'avantage pécuniaire n'en ressort que par contre-coup et accessoirement. C'est aux héritiers du défunt, c'est aux légataires ou donataires qu'il a enrichis de ses bienfaits en leur partageant son patrimoine, de juger s'ils doivent intenter l'action: lorsqu'ils se tairont; lorsque, par respect pour la mémoire même de leur parent ou bienfaiteur, ils épargneront son héritier pour éviter un scandaleux éclat, un autre ne doit pas venir, pour un simple intérêt d'écus, anéantir cette louable idée et intenter l'action malgré eux. L'action, nous le répétons, nous paraît exclusivement attachée à la personne.

729.

L'héritier exclu de la succession pour cause d'indignité, est tenu de rendre tous les fruits et les revenus dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession.

SOMMAIRE.

I.

La propriété de l'indigne, antérieure à la déclaration, est résolue quant à lui; mais elle est maintenue quant aux tiers, et leurs acquisitions sont respectées, même quand elles sont à titre gratuit. Erreur de Chabot.

II. L'indigne doit en général les fruits à partir de l'ouverture, sans qu'il puisse invoquer pour eux aucune prescription; il doit aussi les biens acquis en échange, le prix des biens vendus et quelquefois de ceux donnés, toujours avec les intérêts. Cas particulier où les revenus ne seraient pas dus à compter de l'ouverture.

III. La déclaration d'indignité fait renaître les dettes et les créances qui existaient entre l'indigne et le défunt.

I. — 79. Jusqu'à la déclaration d'indignité, l'héritier est propriétaire des biens par lui recueillis dans la succession, et il cesse de l'être à partir de cette déclaration : il ne saurait y avoir de doute sur ces deux idées. Mais que devient la propriété antérieure de l'indigne? C'est là un point sur lequel la loi ne s'explique pas catégoriquement et que nous sommes réduit à décider par des inductions.

Le législateur pouvait prendre trois partis différents quant à cette propriété antérieure à la déclaration d'indignité: 1o il pouvait la maintenir absolument et ne briser les droits de l'indigne que pour l'avenir; 2o il pouvait au contraire la frapper, absolument aussi, d'une résolution rétroactive, et déclarer que l'indigne serait censé n'avoir jamais été

propriétaire; 3° il pouvait, enfin, prendre un moyen terme et résoudre cette propriété relativement à l'indigne lui-même, en la maintenant relativement aux tiers auxquels cet indigne aurait transmis des droits sur les biens. C'est ce dernier parti, selon nous, que le législateur dewait prendre, et qu'il a pris en effet.

Il était logique et moral que l'indigne ne tirât aucun profit de la succession dont on l'exclut, et qu'il n'en pût pas même conserver les fruits c'est aussi ce que déclare positivement notre article, qui veut que l'indigne restitue tous les fruits, intérêts et revenus quelconques qu'il a recueillis depuis l'ouverture de la succession. Mais il était juste aussi que les tiers qui ont traité avec l'indigne, sachant qu'il était l'héritier réel et le véritable propriétaire, fussent maintenus dans leurs acquisitions et ne fussent pas frappés pour la faute d'un autre ; et c'est là aussi ce qui résulte, non des termes exprès, mais du silence même de la loi. L'indigne, en effet, étant l'héritier réel et le vrai propriétaire, son droit ne peut se briser et disparaître, qu'autant que la loi viendra l'enlever. Or, notre article, implicitement, déclare bien ce droit résolu quant à l'indigne lui-même; mais ni cet article, ni aucun autre, n'étend jusqu'aux tiers les effets de la résolution, qui doit être toute personnelle comme la faute qu'elle vient punir.

80. Chabot, qui accorde bien que les aliénations ou concessions de servitudes et autres droits réels seront valables quand elles auront été faites à titre onéreux, professe qu'elles seront nulles quand elles auront été faites à titre gratuit. Il s'appuie sur la maxime soluto jure dantis, solvitur jus accipientis; et il ajoute que la différence entre l'acquéreur à titre onéreux et l'acquéreur à titre gratuit provient de ce que le premier est bien plus favorable, puisque certat de damno vitando, tandis que le second certat de lucro captando. Mais cette doctrine est inadmissible. Car, d'une part, si la règle soluto jure dantis (1) était applicable ici, c'est-à-dire si la résolution du droit, quant à l'indigne, entraînait résolution quant aux tiers, il est clair qu'il en serait ainsi pour tous acquéreurs sans distinction, puisque celui qui n'est pas propriétaire d'un bien ne peut pas plus le vendre que le donner: Chabot, en admettant la validité des acquisitions faites à titre onéreux, reconnaît par là même que le principe soluto jure ne s'applique point ici. Quant à la différence de position entre les deux classes d'acquéreurs, elle est insignifiante; ce n'est point entre deux acquéreurs, l'un à titre gratuit, l'autre à titre onéreux, qu'il faut établir la comparaison, mais entre l'acquéreur quelconque et celui qui vient demander l'annulation de son acquisition, puisque c'est entre ces derniers que le débat existe. Or, si le donataire de l'indigne ne lutte que pour faire un gain, telle est aussi la position de celui qui vient enlever la succession à l'indigne; et dans cette position semblable, c'est le donataire, par cela seul qu'il possède, qui doit être

(1) Rappelons-nous que dantis signifie : de celui qui aliène, et non pas de celui qui donne. On sait que dare ne signifie pas donner, mais bien transférer la propriété un titre quelconque; c'est donare, dono-dare, qui signifie donner.

préféré : in pari causâ, melior est causa possidentis. Enfin, l'analogie de l'art. 958 décide la question pour tous acquéreurs, puisque le Code, en organisant dans les art. 955 et 1046, contre les donataires et les légataires, des causes d'indignité analogues à celles de notre article, déclare dans cet art. 958, absolument et sans distinction, que la révocation prononcée pour ces causes ne préjudicie en rien aux aliénations consenties par le coupable.

II.

81. Notre article déclare que l'indigne doit restituer tous les revenus qu'il a recueillis depuis l'ouverture de la succession, sans distinguer après combien d'années, depuis cette ouverture, la déclaration d'indignité est prononcée; en sorte qu'il ne pourrait prescrire la restitution de ces revenus qu'en prescrivant la restitution des biens euxmêmes, c'est-à-dire par trente ans depuis l'ouverture. Il devrait restituer aussi, quoique le texte ne le dise pas, les revenus qu'il a négligé de recueillir, et, par exemple, les intérêts des sommes de la succession qu'il a eues entre les mains; car l'usage qu'il en a fait a été pour lui l'équivalent d'un revenu. Il est clair, du reste, que parmi les sommes à restituer avec leurs intérêts se trouveraient les prix des ventes qu'il aurait consenties; il rendrait de même, et avec leurs revenus, les biens reçus en échange de biens de la succession. L'idée évidente de la loi, c'est qu'il ne profite en rien de cette succession.

Quant aux donations par lui faites, il en devrait indemnité dans un cas, t'est quand elles l'auraient vraiment enrichi. Ainsi, quand il aura donné en dot un immeuble de 30 000 francs à sa fille, qu'il aurait dotée d'une somme égale sur sa fortune particulière, ce serait le cas de lui dire: eo locupletior factus es quantùm propriæ pecuniæ pepercisti.

82. Mais ce n'est pas toujours jusqu'au moment de l'ouverture de la succession qu'il faut faire remonter les revenus à restituer. L'effet ne peut pas précéder sa cause, ni la punition frapper avant que la faute soit commise. Or, il est un cas où l'héritier ne devient indigne qu'après un certain délai depuis l'ouverture de la succession : c'est quand, dans le cas de meurtre commis sur le défunt par un autre que l'héritier, celui-ci n'acquiert la connaissance de ce meurtre ou n'arrive à sa majorité qu'un certain temps après l'ouverture. Ainsi, quand l'héritier n'obtient la connaissance du meurtre qu'un an après avoir recueilli les biens, il est clair qu'il ne peut pas être privé, pour indignité, des revenus de cette première année, puisque ce n'est qu'à la fin de cette année qu'est survenue la cause de l'indignité. On ne peut pas, pour cette première année, l'assimiler à un possesseur de mauvaise foi. Les effets de l'indignité une fois déclarée peuvent bien rétroagir jusqu'au jour où elle a été encourue, mais ils ne peuvent pas remonter au delà de sa cause. C'est en parlant des cas les plus fréquents et en statuant de eo quod plerumque fit que notre article exige la restitution des fruits à compter de l'ouverture. Sans doute, dans le cas même dont nous venons de parler, l'héritier sera réputé n'avoir jamais été propriétaire; mais il aura été pendant la première année un véritable possesseur de bonne foi, faisant dès lors les fruits siens.

III.

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83. Puisque, par l'effet de l'indignité prononcée, le successible est exclu de la succession et réputé n'avoir pas été héritier, il s'ensuit qu'il se retrouvera débiteur, vis-à-vis de la succession, des obligations dont il était tenu envers le défunt, comme aussi il reviendra créancier pour celles dont le défunt était tenu envers lui: sa qualité de représentant du défunt avait éteint les uns et les autres par confusion (art. 1300), attendu qu'on ne peut pas être débiteur ou créancier envers soi-même ; mais cette qualité n'existant plus et étant censée n'avoir point existé, les unes et les autres renaîtront et seront censées ne s'être pas éteintes.

Il est vrai que le droit de Rome, pour punir plus énergiquement l'indigne, faisait renaître ses obligations sans faire renaître ses créances (D., I. 34, t. 9, 17); mais un tel résultat serait contraire à l'esprit de notre législation, qui ne permet pas qu'on s'enrichisse jamais aux dépens d'un tiers, alors même que ce tiers est de mauvaise foi. Cette différence de principes entre les deux législations a été remarquée déjà sous l'art. 555. Le rétablissement des créances de l'indigne était d'ailleurs admis déjà dans notre ancienne jurisprudence (Lacombe, v° Indignité; Lebrun, Success., 1. 3, ch. 9).

730.

Les enfants de l'indigne, venant à la succession de leur chef, et sans le secours de la représentation, ne sont pas exclus pour la faute de leur père; mais celui-ci ne peut, en aucun cas, réclamer, sur les biens de cette succession, l'usufruit que la loi accorde aux pères et mères sur les biens de leurs enfants.

SOMMAIRE.

I. L'indigne que la loi entend ne pouvoir être représenté est celui qui a été déclaré tel, et qui dès lors a survécu au de cujus. Erreur de Merlin, Delvincourt, M. Duranton et M. Zachariæ.

II. L'indigne peut recueillir dans la succession de son enfant ou de tout autre parent, les biens originairement provenus de la succession dont il a été exclu. II peut représenter celui vis-à-vis duquel il a été déclaré indigne, et peut être représenté lui-même par ses enfants, pour toute autre succession que celle de

cet auteur.

III. Y a-t-il lieu à indignité pour celui qui ne vient à une succession que par représentation?

I. 84. On sait dejà qu'on peut venir à une succession ou de son chef ou par représentation : on vient de son chef quand on est par soimême en ordre utile pour succéder; on vient par représentation quand on est par soi-même à un degré trop éloigné, et que l'on n'arrive qu'en prenant, sur la permission de la loi, la place laissée par un ascendant prédécédé, lequel est censé revivre en la personne de celui qui vient le représenter. Il suit de là qu'on ne peut pas représenter, dans une succession, une personne encore vivante lors de l'ouverture de cette succession (art. 744).

Ceci nous explique la première phrase de notre article. Cette phrase déclare que les enfants de l'indigne ne seront point exclus de la succes

sion quand ils y viendront de leur chef et sans le secours de la représentation; c'est bien dire que s'ils s'y présentaient par représentation de l'indigne, ils seraient exclus.

Et en effet, pour que je sois l'enfant d'un indigne, il faut que mon père ait été déclaré tel pour l'une des trois causes indiquées par l'article 727, il faut qu'un jugement d'indignité ait été prononcé contre lui; or, le jugement d'indignité ne peut être prononcé, et la demande même ne peut être formée qu'après l'ouverture de la succession: donc, si mon père a été reconnu indigne et exclu comme tel, c'est qu'il était encore vivant lors de cette ouverture; et puisqu'on ne peut pas représenter les personnes vivantes, il s'ensuit qu'on ne peut jamais représenter un indigne. Il y aurait d'ailleurs une seconde raison pour que les enfants de cet indigne ne pussent pas prendre la succession en le représentant. En effet, quand même ils viendraient prendre sa place (ce qui n'est pas possible, puisque cette place n'est pas vide), ils ne succéderaient pas davantage; car ils ne pourraient, en tout cas, exercer que les droits qu'il a lui-même : or, il n'en a aucun, puisqu'il est exclu pour son indignité. Il est donc bien évident que les enfants d'une personne écartée d'une succession comme indigne ne peuvent pas la représenter à l'effet de recueillir cette succession. Tel est, selon nous, le sens, bien naturel et bien simple, de cette règle implicite de notre article, que les enfants d'un indigne ne peuvent pas le représenter pour la succession dont il est indigne.

85. Mais tout le monde n'est pas d'accord là-dessus. Beaucoup de jurisconsultes prétendent que cette règle implicite s'applique, non pas seulement aux enfants de celui qui vivait encore à l'ouverture de la succession et qui a été déclaré indigne, mais aussi aux enfants de celui qui est mort avant le de cujus (1). Ainsi, Pierre a été condamné pour avoir tenté de donner la mort à son père, ou pour avoir fait contre lui une dénonciation capitale reconnue calomnieuse; puis il est mort avant son père. Dans ce cas, plusieurs prétendent que les enfants de Pierre ne pourront pas succéder à leur aïeul par représentation de Pierre, et qu'ils ne le pourraient qu'en venant de leur chef : c'est à ce cas, selon eux, que notre article fait allusion.

Les partisans de cette doctrine l'appuient sur deux arguments, l'un de texte, l'autre de principes.

Si la pensée de la loi, disent-ils, avait été que la représentation ne doit être refusée qu'aux enfants de l'individu déclaré indigne et survivant dès lors au de cujus, elle ne se serait pas donné la peine d'y faire allusion dans notre article, puisque c'est un principe général, proclamé ailleurs par un article exprès, l'art. 744, qu'on ne représente jamais les personnes vivantes, pas plus les dignes que les indignes. Ce premier argument mérite peu qu'on s'y arrête : le Code nous a accoutumés à des vices de rédaction assez fréquents et souvent assez graves, pour qu'une

(1) Merlin (Rép., vo Représentation, sect. 4, 23); Delvincourt, Duranton (VI, 131); Zachariæ (IV, p. 176).

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