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conter. M. de Marmol, écuyer de la Reine, s'étant retiré dans ses foyers en Belgique, en 1814, la maison d'honneur de la Reine, avait été dissoute. Sitôt qu'il apprit le retour de l'Empereur, en 1815, il vint reprendre son service près de la Reine qui le revit avec grand plaisir. C'était un excellent homme, qui lui était fort attaché. Il l'accompagna à la Malmaison, ainsi que M. d'Arjuzon. Les personnes de la maison de Reine, restées avec moi à Paris étaient de Mme de Boubers, le baron Devaux et l'abbé Bertrand. L'appartement de M. Devaux, comme je l'ai déjà dit, donnait sur la rue, en face de celui de la duchesse de Mouchy. A chaque instant il me racontait quelques nouveaux détails des démonstrations de joie dont il était témoin et qu'il apercevait de ses fenêtres; un moment pourtant cette joie se calma et fit place à la peur.

Le peuple de Paris avait appris avec douleur le départ de l'Empereur et avait peine à se résigner à son éloignement; une morne tristesse empreinte sur tous les visages annonçait le mécontentement du plus grand nombre. Dans les faubourgs, cette démonstration était remplacée par de sourds murmures, que quelques poltrons prirent pour des menaces, et l'on fit courir le bruit que le peuple, dans sa fureur, voulait se venger en massacrant les royalistes. La peur prit naturellement à l'hôtel de Mme de Mouchy, placé en face du palais de la Reine. Le silence succéda aux éclats de rire; portes et fenêtres se fermèrent et ne laissèrent aucun doute sur la prudence et les précautions des triomphants voisins de la veille.

Nulle expression ne saurait peindre l'agitation que j'éprouvais. Je ne pouvais tenir en place, je courais chez ma mère, chez mes amis, à l'affût des nouvelles,

et j'en recueillais aussi des personnes que je recevais. Ces nouvelles étaient quelquefois très contradictoires, suivant l'opinion des gens qui les colportaient; elles augmentaient mes perplexités. Plusieurs femmes de généraux vinrent me voir, entre autres Mme Corbineau, dont le mari était aide de camp de l'Empereur; elle ne comprenait pas pourquoi l'Empereur, sûr comme il l'était de toute l'armée, ne se remettait pas à sa tête pour ressaisir le pouvoir. Il lui semblait étrange que l'ennemi s'approchât de Paris, sans qu'il prît aucune disposition pour l'arrêter.

Les commissaires envoyés par les Chambres au quartier général des souverains alliés n'avaient pas même été admis auprès d'eux, tant on était loin de prendre en considération rien de ce qui avait été fait depuis dix jours.

On vint me dire que deux cents bourbonnistes armés s'étaient dirigés sur la Malmaison pour la cerner et assassiner l'Empereur, comme ce parti avait vainement essayé de le faire en Provence, lors de son voyage de l'île d'Elbe. Je voyais la Reine massacrée, et je ne n'avais plus une goutte de sang dans les veines... J'envoyai en toute hâte Vincent à la Malmaison, espérant que cet avis arriverait avant le danger, et que l'Empereur et la Reine pourraient s'y soustraire.

Vincent était à peine parti, que j'appris que la duchesse de Rovigo avait été à la Malmaison, et je sus qu'elle avait positivement rencontré beaucoup d'hommes armés et à cheval sur la route qu'elle venait de parcourir. Elle ajoutait en même temps qu'elle avait reconnu dans ce rassemblement un royaliste de sa famille. Quelles que fussent leurs intentions, l'Empe

reur était encore assez entouré pour être à l'abri d'un coup de main.

Vincent revint, le soir, m'apportant quelques mots que la Reine m'écrivait pour me rassurer, mais qui ne parvinrent pas entièrement à ce résultat. Comment aurais-je pu avoir quelque repos d'esprit, lorsque je voyais les yeux des ennemis de l'Empereur fixés sur la Malmaison, et la malveillance colporter partout, pour animer contre lui, que les alliés ne voulaient pas entendre parler d'un armistice qu'ils ne fussent certains qu'il était parti.

Le 27 au matin, La Bédoyère vint me voir :

<< Comment, vous ici! m'écriai-je en l'apercevant; et l'Empereur, et la Reine sont donc seuls livrés à leurs ennemis ?

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Rassurez-vous, me dit-il; nous nous sommes arrangés pour qu'ils ne courent aucun danger. Sans être nombreux, nous sommes tous bien armés et très déterminés. Notre service est organisé près de l'Empereur, et je puis sans inconvénients venir à Paris. tous les matins, y voir ma femme et vaquer à mes affaires. Mais, la nuit, nous veillons tous, même le jeune page Sainte-Catherine, qui est prêt comme nous à vendre chèrement sa vie.

<< Hier, nous avons eu une alerte assez vive; nous étions encore réunis chez la Reine, lorsque nous avons entendu un coup de pistolet, qui semblait avoir été tiré dans les alentours de l'appartement de l'Empereur. A l'instant, tout le monde s'apprêta à faire une vigoureuse résistance; la Reine a montré dans ce moment où le danger paraissait imminent, un calme et un courage dont je n'aurais pas cru une femme capable. Les premières précautions prises, à l'aide d'une

reconnaissance que plusieurs d'entre nous firent dans la direction d'où était parti le coup, elle a demandé à ceux qui étaient près d'elle ce que l'on comptait faire : Nous défendre comme à Bender, Madame, jusqu'au dernier ! lui ai-je répondu.

- Ah! mon Dieu! m'a-t-elle dit d'une voix émue, s'il y a du sang répandu, si l'on se tue autour de moi, je ne réponds plus de mon courage!

« Heureusement nous n'en sommes pas venus à cette extrémité; aucun ennemi apparent ne s'est présenté. Notre reconnaissance a vainement exploré les alentours de la Malmaison, sans avoir pu découvrir l'auteur du coup de pistolet. »

Lorsque La Bédoyère eut fini son récit, je lui fis mille questions; il me conta que la Reine avait tout arrangé pour que l'Empereur fût entièrement libre: il dînait seul dans son appartement. La Reine dînait avec les dames et les officiers dans la petite galerie. Beaucoup de personnes allaient à la Malmaison pour faire leurs adieux à l'Empereur; Mme Bertrand y venait tous les jours et se disposait à suivre son mari.

La Bédoyère venait de me quitter, lorsque je vis arriver M. de Marmol; j'en fus toute saisie, tant je m'y attendais peu, et ce fut avec une véritable anxiété que je lui demandai :

Que fait la Reine? Comment la quittez-vous? -Elle m'envoie chercher ses enfants, pour qu'ils viennent faire leurs adieux à leur oncle!

Est-il possible! m'écriai-je. Non contente de s'exposer, en restant près de l'Empereur dans de pareils moments, elle veut faire venir ses enfants à la Malmaison? Elle, ordinairement si craintive pour eux, à quoi pense-t-elle donc ?

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EUGÈNE-ROSE DE BEAUHARNAIS (1781-1824)

Vice-roi d'Italie (1805), prince de Venise (1807), grand-due héréditaire de Francfort (1810), duc de Leuchtenberg, prince d'Eichstadt (1817).

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