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rendre florissants. Cromwel sut ensuite leur donner plus d'énergie par ce fameux acte de navigation publié en 1651, lequel défendoit aux étrangers d'importer en Angleterre d'autres productions que celles de leur propre sol. Son but étoit d'anéantir le commerce de la Hollande, entièrement nuisible à l'industrie naissante de son pays (3); mais les Hollandais cherchèrent à parer le coup funeste dont ils étoient menacés, en obtenant, à la paix de Breda en 1667, que cet acte ne seroit pas étendu aux productions qui arriveroient sur le Rhin dans leur pays, et qu'on ne pourroit même les empêcher d'importer des munitions de guerre dans les ports des ennemis de l'Angleterre. Cet acte de navigation n'auroit donc pas eu certainement tous les effets qu'il a eus, si la nation anglaise, encouragée par l'avantage d'une position insulaire, et plus encore par l'insouciance des cabinets de l'Europe, à prétendre au commerce du monde, n'eût trouvé dans Guillaume III un chef, qui lui apprît que, pour s'en emparer, il falloit avant tout se procurer une influence décidée sur les affaires du continent.

Formé dans une république que son exiguité géographique obligeoit d'appuyer sa politique

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de toutes les ressources que présentoit le commerce, Guillaume avoit plus de finesse que de profondeur dans ses vues; il possédoit plus l'esprit d'intrigue que l'ascendant d'une politique franche et libérale. Il croyoit que, pour captiver l'attachement d'un peuple aussi turbulent que celui de l'Angleterre, il falloit lui donner un but, lequel, flattant à la fois son amour-propre et son intérêt, absorberoit en même tems son activité. Il falloit surtout prévenir ces orages révolutionnaires dont ses prédécesseurs avoient souvent été les victimes. La rivalité commerciale

qui s'étoit élevée depuis quelque temps entre les Anglais et les Français, lui en donna les moyens : persuader à ses sujets qu'ils obtiendroient la prépondérance dans cette lutte, s'il parvenoit à les rendre les arbitres de l'Europe, c'étoit réellement détourner leur attention des atteintes qu'il cherchoit à porter à leur démagogie; mais, trop foible pour exécuter seul un plan aussi gigantesque, il imagina un prétexte capable d'intéresser en sa faveur les puissances du continent. Il mit donc en avant la fameuse idée de la liberté de l'Europe; en conséquence, il insinua aux cours étrangères que la Grande-Bretagne surveilleroit l'équi

libre politique des états, comme étant le seul moyen de conserver leur liberté.

Il est impossible de trouver une idée plus fausse que celle de l'équilibre politique des états; contraire aux lois de la physique, l'expérience en a démontré l'absurdité. L'équilibre parfait ne peut exister qu'autant que chacune des puissances n'a point de prépondérance, et qu'elles n'ont entre elles ni action ni réaction. Or, un semblable état, annoncant un repos absolu, ne peut exister dans la nature, puisque la mort elle-même est un état d'action, de destruction. Ces vérités physiques s'appliquent également à la politique. Supposons que pendant un siècle chaque peuple se fût strictement renfermé dans ses limites sans chercher à les étendre; malgré l'harmonie qui doit résulter de cette situation pacifique, l'équilibre politique n'en sera pas moins dérangé après quelques lustres, parce que, parmi ces nations, il s'en trouvera toujours une laquelle se sera rendue supérieure par ses connoissances et ses lumières, et qui, par cette raison, aura acquis une force morale et une prépondérance d'autant plus assurée, qu'elle n'aura été que l'effet du génie. En admettant le système de l'Angleterre, il faudroit envahir cet état, défendre

à ses habitants d'exercer les facultés que la nature leur a données, détruire ses fabriques, circonscrire son industrie, en un mot le faire rétrograder jusqu'à ce qu'il soit revenu au point d'où il étoit parti.

Que les Anglais prennent garde qu'un jour le continent, avec plus de raison, ne tourne ce principe contre eux. Au reste, ils ne tiennent à cet équilibre qu'autant qu'il favorise leurs intérêts, et s'en écartent aussitôt qu'un plus grand avantage leur est offert ; c'est ainsi qu'ils ont permis le partage de la Pologne, et suggéré aux puissances européennes, en 1792, celui de la France. Il est difficile de concevoir comment des écrivains renommés ont pu regarder cette idée comme le palladium du bonheur social, et des peuples y trouver l'appui de leur indépendance, tandis que ceux-ci ne pouvoient ni régler leur commerce, ni faire la guerre ou la paix qu'au gré du cabinet de Londres, qui leur laissoit en récompense la faculté de prôner la liberté émanant de ce système. Cependant, à l'époque dont nous parlons, il fut saisi avec empressement et par les Anglais et par les puissances continentales; ces dernières comptèrent dès-lors sur l'Angleterre dans toutes les guerres où elles pouvoient risquer d'avoir le dessous,

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comme sur une protectrice assurée, qui ne souffriroit pas que l'équilibre européen fût dérange par leur affoiblissement. De leur côté, les Anglais entrevirent que chaque guerre leur fourniroit l'occasion d'étendre, avec leurs enctreprises commerciales, leurs usurpations .maritimes, et qu'ils seroient les maîtres de les faire ratifier par les traités subséquents, dans lesquels ils interviendroient en leur qualité d'arbitres. Dès le moment où ils avoient -fait cette remarque, leur politique devint zentièrement commerciale, ou ce qui revient - au même, leur commercé dévint le pivot de leur politique. Ils adoptèrent donc, sans hésiter, les desseins guerriers de Guillaume, lui prodiguèrent les revenus, créèrent de nou-velles taxes, et lui permirent de faire des emprunts considérables,colng n'li

Ainsi ce prince fut le premier qui donna aux Anglais les moyens de se rendre les maîtres du commerce du monde et de l'océan, en faisant valoir ce fantôme de l'équilibre. politique; ils, comprirent qu'il suffiroit de proclamer la liberté de l'Europe en danger, pour -exciter la guerre contre la nation qui nuiroit à leurs intérêts par les progrès de son industrie ou de son commerce. Dès ce moment

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