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riorité, quand toute l'Europe n'y voyoit que le desir le plus ardent, manifesté par Napoléon, de consolider la paix continentale sur les bases de l'intérêt d'état ménagé réciproquement?

Tout ce qu'il a été possible de faire pour maintenir l'harmonie entre les deux empires a été employé. Sa durée paroissoit si certaine, que les premiers bruits qui coururent à Paris d'une rupture, furent regardés comme aussi peu fondés qu'invraisemblables. L'ukase du 19 décembre 1810 parut une surprise faite à la Russie qu'elle s'empresseroit à la première réclamation d'annuler, du moins de modifier. La France, persuadée qu'elle parviendroit à l'éclairer sur ses véritables intérêts, mit dans ses négociations une modération et une patience qui ne peuvent être trop admirées, lesquelles cependant sont justifiées par l'aversion que la France devoit éprouver contre une expédition aussi éloignée que dispendieuse, et de laquelle d'ailleurs il ne pouvoit résulter pour elle aucun profit. « L'année 1811 tout entière fut employée à des pourparlers et à des négocia<«<tions avec la Russie, dans l'espérance de « détourner, s'il étoit possible, le cabinet de << Saint-Pétersbourg de la guerre qu'il parois

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« soit avoir résolue, et de parvenir à connoître « ses véritables intentions.» (Rapport du ministre des relations extérieures à S. M. I., du3 juillet 1812.) Mais cette même année il rétablit ses anciens rapports commerciaux et politiques avec l'Angleterre, rendit à ses agens leur ancienne influence, remplaça des ministres pacifiques par des hommes dévoués à l'Angleterre, rassembla des armées sur les frontières occidentales de l'empire, essuya enfin des défaites par les Turcs pour conduire plutôt ses troupes contre la France, qu'il ne cessoit de provoquer par les actes les plus prononcés et les plus insultans.

Russes! vous nous avez provoqués en fournissant des vivres et des matériaux pour la construction des navires à nos plus implacables ennemis; vous nous avez déclaré la guerre par l'ukase du 19 décembre 1810, qui subordonnoit notre industrie au commerce de l'Angleterre; vous nous avez fait connoître clairement vos intentions hostiles en refusant toute négociation avant que nos soldats n'aient évacué les places fortes de la Prusse et de la Poméranie suédoise Si nous eussions aussi impérieusement, exigé de votre cour l'évacuation de la

Moldavie et de la Valachie, combien vous

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seriez-vous récriés! Espériez-vous que la grande nation dont Frédéric avoit dit, il y a cinquante ans, «que, s'il en étoit le chef, on << ne tireroit pas un coup de canon en Europe << sans sa permission, » endureroit plus longtemps les injures sanglantes que vous lui faites en présence de l'univers? Vous seriez-vous flattés, en vous alliant à l'Angleterre, de trou→ ver des partisans parmi les peuples qui ont été à même d'apprécier vos projets et vos prétentions? Que vos ministres cessent de s'abuser sur l'esprit continental; les guerres actuelles ne sont plus, comme autrefois, l'ouvrage de l'intrigue; elles sont le libre résultat de la conviction des peuples qui réclament à haute voix la liberté des mers et l'achèvement de l'ordre actuel des choses.

Une cause dont le but est de favoriser le commerce des Anglais, de leur conserver la prééminence sur les mers, de les laisser établir chez vous des dépôts de marchandises, dans l'espérance de les faire circuler clandestinement sur le continent, ne peut trouver des partisans dans la saine partie de votre nation. Le profit honteux que vos douanes retirent de cette contrebande doit finir le jour même où la paix maritime ouvrira l'océan à toutes les

nations. Vous jouez le rôle du singe qui prête sa patte au léopard pour tirer les marrons du feu. Quel résultat espérez-vous de cette conduite? En enrichissant des négociants qui trou, vent leur compte à rester les commissionnaires des Anglais, vos paysans en seront-ils plus libres et plus éclairés? vos manufactures en seront-elles plus florissantes? votre industrie acquerra-t-elle plus d'étendue? Ne tombez vous pas dans l'erreur de ces politiques qui confondent le bien-être de la partie indus, trieuse d'une nation avec celui de quelques négociants habitant des ports de mer, qui, peu patriotiques, élèvent des cris chaque fois que l'importation est entravée, quoique les fabricants du pays s'en félicitent hautement (12)?

Les intérêts du continent sont aussi les vôtres. Vous deviez partager avec lui les avantages. innombrables qu'il conquerra, en arrachant aux habitants de la Tamise le trident de Neptune. Pouvez-vous croire que l'Angleterre se relâchera en votre faveur d'une partie de ses prétentions, ou qu'elle vous ménagera plus long-temps qu'elle n'aura besoin de votre contrée, comme le seul débouché qui lui soit maintenant ouvert sur le continent européen ? Non; votre lâche complaisance envers elle

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n'aura produit sur son esprit que la conviction de votre foiblesse.

Vous parlez de la liberté du continent, et vous ne rougissez pas de vouloir nous contraindre à alimenter l'industrie de l'Angleterre avec notre or, dont vous vous applaudissez de recouvrer une partie sous le titre humiliant de subsides (13). Mais quels sont donc les peuples qui ont appelé des serfs à défendre les intérêts de la liberté? Aucun ne se range sous vos drapeaux; au contraire, toutes les nations que la Grande-Bretagne avoit soulevées contrela France, ont fini par se prononcer en faveur de cet empire. Vous êtes les seuls du parti contraire; au lieu de combiner, de concert avec les confédérés du continent, pour vos propres intérêts, une expédition contre les GrandesIndes, vous avez préféré prolonger le spectacle de cette tragédie qui ensanglante l'Europe depuis plus de vingt ans (14).

Il faut donc vous forcer à respecter les droits des nations; il faut achever le grand édifice politique destiné à recevoir sous son toit hospitalier tous les peuples du continent, pour leurassurer, avec les fruits de leur civilisation, un avenir tranquille. La France en a fait naître l'espoir dans l'ame de ses alliés; elle le réali

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