Page images
PDF
EPUB

si souvent, assez habile pour surmonter toutes les difficultés de l'entreprise, et assez heureux pour la terminer. Ce fut PierrePaul de Riquet, seigneur de Bonrepos, et issu d'une famille noble originaire de Provence. Tous ses contemporains s'accordent à dire qu'il avoit un génie rare, et que la nature seule l'avoit fait géomètre. La situation d'une partie de ses possessions au pied de la montagne Noire, le mit à portée d'en observer les eaux; c'est peut-être à cette circonstance qu'il a dû la première idée de son projet. Il paroît s'en être occupé long-temps avant que de le rendre public. Il fit faire sous ses yeux plusieurs nivellemens par Pierre, fils d'un fontainier de Revel. On voit encore à Bonrepos, dans ses jardins, les essais en petit de sa grande entreprise : tels que des conduites d'eaux, des épanchoirs, et même une montagne percée.

C'est en 1662 seulement, qu'il présenta son plan au célèbre Colbert; et la manière naïve et simple avec laquelle il lui exposa son projet, n'est pas dénuée d'intérêt. «Mon» seigneur, lui disoit-il dans une lettre (1)

(1) Archives du Canal à Toulouse, A. B, B. no 4.

datée du 26 novembre 1662, « je vous écris » de ce village (de Bonrepos), sur le sujet » d'un Canal qui pourroit se faire dans cette

[ocr errors]
[ocr errors]

et

province de Languedoc pour la communi>> cation des deux mers. Vous vous étonne>> rez que j'entreprenne de parler d'une chose qu'apparemment je ne connois pas, » qu'un homme de gabelle se mêle de nivelage. Mais vous excuserez mon entreprise, » lorsque vous saurez que c'est de l'ordre de Monseigneur de Toulouse que je vous écris. » Il y a quelque temps que ledit seigneur me >> fit l'honneur de venir en ce lieu, soit parce » que je lui suis voisin et hommager, ou pour >> savoir de moi les moyens de faire ce Canal. >> Car il avoit ouï dire que j'en avois fait » une étude particulière. Je lui dis ce que » j'en savois, et lui promis de l'aller voir à >> Castres, à mon retour de Perpignan, et de » le mener de-là sur les lieux pour lui en » faire voir la possibilité. Je l'ai fait; et ledit seigneur, en compagnie de M. l'évêque de Saint-Papoul et de plusieurs autres per>> sonnes de condition, a été visiter toutes » choses, qui, s'étant trouvées comme je les » avois dites, ledit seigneur archevêque m'a >> chargé d'en dresser une relation et de vous

>>

[ocr errors]

l'envoyer. Elle est ici incluse, mais en assez >> mauvais ordre; car n'entendant ni grec ni latin, et à peine sachant parler français, il n'est pas possible que je m'explique sans

[ocr errors]

bégayer. Aussi ce que j'entreprends, c'est » pour obéir, et non de mon propre mou» vement. Toutefois, s'il vous plaît de lire » ma relation, vous jugerez que ce Canal est » faisable; qu'il est, à la vérité, difficile à » cause du coût; mais que, regardant le bien qui doit en arriver, l'on doit faire peu de » cas de la dépense.... Jusqu'à ce jour, on » n'avoit pas pensé aux rivières propres à » servir, ni su trouver des routes aisées pour » ce Canal; car celles qu'on s'étoit imaginées » étoient avec des obstacles insurmontables » de rétrogradations de rivières et de ma>> chines élever les eaux. Aussi croyez » que ces difficultés ont toujours causé le » dégoût, et reculé l'exécution de l'ouvrage. >> Mais aujourd'hui, Monseigneur, qu'on >> trouve des routes aisées et des rivières qui » peuvent être aisément détournées de leurs >> anciens lits, et conduites dans ce nouveau Canal par pente naturelle, et de leur propre >> inclination, toutes difficultés cessent, ex» cepté celle de trouver un fonds pour servir

pour

[ocr errors]

» aux frais du travail. Vous avez pour cela >> mille moyens, Monseigneur, et je vous en présente encore deux dans mon mémoire ci-joint, afin de vous porter plus facile» ment à cet ouvrage, que vous jugerez très» avantageux au roi et à son peuple, quand » il vous plaira de considérer que la facilité » et l'assurance de cette navigation fera, que >> le détroit de Gibraltar cessera d'être un >> passage nécessaire que les revenus du » roi d'Espagne à Cadix en seront diminués; >> et que ceux de notre roi augmenteront d'au>> tant sur les fermes des trésoriers et des >> entrées des marchandises en ce royaume, >> outre les droits qui se prendront sur ledit » Canal, qui se monteront à des sommes » immenses; et que les sujets de Sa Majesté profiteront de mille nouveaux commerces >> et tireront de grands avantages de cette »> navigation. Que si j'apprends que ce des» sein vous doive plaire, je vous l'enverrai

[ocr errors]

>>

[ocr errors]

figuré, avec le nombre des écluses qu'il >> conviendra faire, et des calculs exacts des >> toises dudit Canal, soit en longueur, soit » en largeur. Je suis, &c. »

Dans le mémoire que cette lettre renfermoit, Riquet exposoit que ce qui avoit fait

échouer les projets antérieurs au sien, étoit la difficulté d'élever des eaux à la hauteur des Pierres de Naurouse. « En douze lieues » de pays, dit-il, on ne trouvoit ni ruisseau » ni rivière qui pût fournir d'eau à suffisance >> pour ce Canal; et c'étoit pour cela qu'on >> s'imaginoit de pouvoir faire rétrograder à » contre-mont la rivière de l'Arriège : ce qui » avoit été trouvé inexécutable ». Il ajoutoit que les moyens de donner de l'eau à ce Canal avoient été jusqu'alors cachés à tout le monde, et que néanmoins il en existoit de naturels et presque sans obstacles.... « Mais >> ce qui me semble le plus important, disoit»il, est d'avoir d'eau à suffisance pour le >> remplir, et de la conduire à l'endroit même » où est le point de partage. Ce qui se peut >> aussi faire avec facilité, prenant la rivière » de Sor, près la ville de Revel, qu'on con» duira par pente naturelle, puisqu'il se >> trouve neuf toises de descente depuis le» dit Revel jusqu'au point (1) de partage,

(1) Dans ce premier projet de Riquet, il avoit placé le point de partage des eaux dans la paroisse de SaintFélix de Caraman auprès de Graissens. Ce choix présentoit l'inconvénient d'une trop grande élévation: aussi

« PreviousContinue »