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l'ombre de ses ailes; il étend sur moi sa brillante armure... » Et le visage de la jeune fille s'éclairait d'un rayon de joie intérieure... « Et puis, continua-t-elle, celui que j'aime est en chemin..... Il me cherche toujours et va venir me délivrer.... N'entends-tu rien?

- Non, je n'entends rien que mes artères qui battent dans mes oreilles avec un bruit assourdissant. Pourtant, écoute-moi, Marguerite. Ta jeunesse innocente, ta beauté, l'amour insensé qui s'est insinué malgré moi dans mon cœur plaident encore pour toi; je voudrais t'épargner; aide-moi, prends pitié de tous deux ; c'est moi maintenant qui t'en prie. Promets-moi seulement de rompre l'engagement qui te lie à ton cousin ; jure-le par un serment sacré, et pour le reste j'attendrai que tu puisses m'aimer. »

Marguerite branla lentement la tête.

« Tu le vois, les verroux sont fermés, tu es en mon pouvoir; comprends bien que rien ne peut plus t'y soustraire, et laisse-toi fléchir. >> Et il s'approcha de la jeune fille, les mains jointes et le visage bouleversé par toutes les passions contraires.

Mais Marguerite recula de deux pas, non pas comme pour le fuir, mais plutôt comme pour voir ou écouter avec plus d'attention des choses mystérieuses vers lesquelles toutes ses facultés se portaient; eile dit en pâlissant visiblement :

«<lls viennent, ils viennent!.... Pense à ton âme.... Quel moment s'apprête! L'ange de la mort est là, murmura-t-elle à voix basse.... Mon Dieu! ayez pitié de vos pauvres créatures; vos jugements sont terribles dans leur équité. »

Et Marguerite, échappant à Sainte-Irène, interdit et peut-être glacé au dedans, alla s'agenouiller tremblante à l'autre extrémité de la chambre. Ses lèvres décolorées par l'effroi balbutiaient des paroles entrecoupées avec l'accent d'une instante prière.

On vient en effet cette fois, dit Sainte-Irène à voix basse, mais ne crois pas pouvoir m'échapper; non, non, jamais un autre ne t'arrachera vivante de mes bras. >>

Et un éclair effroyable brilla dans ses yeux, éclair de mort et de vengeance.

Il s'approche de la table, prend son poignard; cette arme est dangereuse, elle suffit à la défense; il met ses pistolets dans son sein, puis s'avançant brusquement vers Marguerite en prières, il la soulève d'un bras vigoureux.

La jeune fille ne résiste pas; elle n'a plus de force, et presque plus même de pesenteur, comme les oiseaux qui vont mourir n'ont presque plas que le poids de leurs plumes.

U s'avance ainsi chargé de son fardeau vers la porte pour l'ouvrir et

fuir avec sa proie. Mais des voix confuses se font entendre; on crie d'ouvrir, on essaie même d'ébranler la porte. Elle est solide et résiste à tous les coups qu'on lui porte.

Alors Sainte-Irène se dirige vers une fenêtre basse, il essaie de l'ouvrir... il trouve le volet fermé, et d'autres pas, d'autres voix plus rapprochées se font entendre.

«Parlez-leur, dit Sainte-Irène d'une voix rauque, dites-leur que vous voulez être à moi, ou, par l'enfer, croyez-moi, vous êtes perdue. »> Mais Marguerite, au lieu de lui répondre, murmurait de sa voix modulée et charmante encore quoiqu'un léger tremblement s'y mêlât :

<<< Ils viennent, ils viennent. Voilà la délivrance. Saints et saintes du ciel, venez aider votre pauvre servante.... Ah, mon Dieu! qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui apportent le salut! >>

Le bruit augmentait, Sainte-Irène comprenait que les deux issues étaient gardées. La sueur ruisselait sur son visage, il allait de la porte à la fenêtre et de la fenêtre à la porte, portant sa proie comme un loup pris dans une bergerie porte l'agneau dont il s'est emparé. La porte allait céder, la fenêtre était ébranlée. Il ne voyait plus de salut, quand il vint à se souvenir d'une porte-fenêtre qu'il avait remarquée le matin dans une petite chambre de bain contiguë à sa chambre; il avait oublié dans sa préoccupation qu'à tout hasard il l'avait ouverte le soir même pour sa fuite. Il se jette dans cette petite pièce où l'on descendait par plusieurs marches; la porte est entr'ouverte, elle n'est point gardée comme les autres issues, sans doute elle est oubliée. Il en franchit le seuil; le voilà hors du pavillon, sous le ciel étoilé. Il court aussi vite que le lui permet le précieux fardeau qu'il emporte avec lui. Pour éviter d'être aperçu, le ravisseur se dirige au plus épais du bois par une sombre allée; elle aboutit à une petite porte toujours ouverte. Il voit déjà luir le ciel à travers sa baie, il avance, il se croit sauvé. Son cœur commence à bondir d'une cruelle joie.

« Elle est à moi, murmure-t-il; elle est à moi ! »>

Mais, au milieu des émotions qui l'agitent, Sainte-Irène n'a point remarqué que Marguerite murmurait toujours le cantique de sa déli

vrance.

<«< Heureux, disait-elle de sa voix harmonieuse et pure dont le son s'unissait à la brise du soir, heureux ceux qui meurent dans la grâce du Seigneur. O mon Dieu! vous allez m'appeler et je vous répondrai. Je sais que vous avez compté tous mes pas, mais vous tendrez votre main secourable à l'enfant que vous regardez avec miséricorde... » Et puis elle reprenait après une courte pause :

« Les voilà, les voilà! Voici ceux qui doivent me délivrer de toutes

les chaînes qui pèsent depuis si longtemps sur moi. C'est lui! que Dieu soit béni. »

Comme la jeune Marguerite achevait ces mots, une main nerveuse comme un étau de fer se posa sur l'épaule de Sainte-Irène, et une voix formidable s'écria:

«Arrêtez, lâche et misérable ravisseur ! »

C'était Hubert. Le chant de Marguerite l'avait guidé.
Les yeux du jeune homme lançaient du feu.

Laissez cette jeune fille à l'instant! »>

Et il broyait le bras dont Sainte-Irène tenait Marguerite pour la lui faire abandonner.

Sainte-Irène essaya d'abord de se défendre avec le poignard qu'il tenait toujours à sa main; mais, gêné par la position d'Hubert, dont le bras d'acier le tenait à distance, embarrassé par le corps de Marguerite replié sur son bras, il ne pouvait l'atteindre. Les gens du chiteau accouraient, il allait se trouver serré de toutes parts; plus d'espir, Marguerite va lui être enlevée pour toujours. Alors la rage s'empare de lui, et, rabattant sa main armée sur Marguerite, il fit un léger mouvement; puis, laissant tomber sur le gazon, entre Hubert et lui, le corps inerte de la jeune fille, il fit un bond et s'enfuit en criant : La voilà, ta fiancée; je te la laisse à présent ! >>

Et il s'enfonça dans le bois en poussant un éclat de rire strident et sauvage qui glaça de crainte tous les gens accourus sur les traces d'Hubert.

• Au meurtre ! à l'assassin! cria le jeune homme hors de lui. J'ai vu briller le glaive dans sa main. Marguerite! prenez soin de Marguerite. D

Et il s'élança sur les traces de Sainte-Irène.

M. d'Amboise arrivait alors sur le lieu de cette déplorable scène. Fermez toutes les issues, dit-il; qu'on veille à chaque porte et traquez ce misérable comme une bête féroce. »

On court, on se disperse à sa poursuite; la lune se levait comme pour favoriser les recherches.

Bientôt dans le lointain retentirent plusieurs coups de feu. SainteIrène, comme on sait, était armé de deux pistolets; Hubert sans doute 'était pas parti sans armes. Les gardes aussi avaient des fusils; aucun n'avait envie d'épargner l'assassin.

* Le violent périra par la violence, » dit l'Ecriture.

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Hubert revint quelques instants après; il avait au bras une légère blessure dont il ne paraissait pas s'apercevoir; mais il était pâle et ses févres étaient agitées par une sorte de frémissement intérieur.

XIV

«Et Marguerite, comment est Marguerite? dit Hubert arrivant près de la jeune fille qu'on transportait avec de grandes précautions au château. Nous l'avons trouvée sans connaissance, et nous n'avons pas encore pu la faire sortir de son évanouissement, dirent Mme d'Arbelles et la jeune suivante, accourues au lieu de l'événement.

J'ai vu briller le fer; il l'a certainement atteinte, dit Hubert avec une terrible angoisse.»>

On arrivait. Marguerite fut portée dans sa chambre et posée sur un sofa. On apporta des lumières.

O douleur ! sa poitrine était inondée de sang.

« Vous le voyez, dit Hubert, le monstre l'a tuée.

Marguerite! Marguerite! s'écrie Mme d'Arbelles avec un accent déchirant; parle-nous, Marguerite.

Ses yeux sont fermés, dit M. d'Amboise, elle est toujours évanouie; cherchez quelques spiritueux pour la faire revenir.

- Il l'a tuée ! » répétait Hubert, et il n'avait qu'une vie pour expier un tel crime...

« Ce sang, disait Adèle avec désolation, comment l'arrêter? »> Mais ayant aperçu la blessure d'Hubert, un éclair d'espérance traversa sa pensée.

« Monsieur Hubert, peut-être c'est le vôtre qui aura coulé sur elle tout à l'heure quand vous vous en êtes approché?

-Oh! que ne dis-tu vrai et que ne puis-je le donner tout entier pour épargner une goutte du sien. »>

Mais Adèle se trompait. On découvrit bientôt une blessure triangulaire entre l'épaule et la poitrine: c'était la forme du poignard de ce misérable. La plaie était peu de chose en apparence, mais quelle en était la profondeur? qui pouvait le savoir? La jeune fille paraissait toujours plongée dans un profond anéantissement, et depuis un moment quelques spasmes nerveux l'agitaient.

On étancha le sang; on banda la blessure, et chacun resta dans le silence autour d'elle, attendant avec anxiété l'issue de ce cruel événement. Aucun n'osait dire à l'autre ses craintes et ses pressentiments funestes. Hubert, sombre et farouche, était assis à ses pieds, ne voyant et ne regardant que ce visage pâle dont la vue lui perçait le cœur. Oh que d'années de douleur on dévore dans une heure d'une pareille angoisse! Mme d'Arbelles paraissait consternée; cette peine l'avait surprise dans son imprévoyance et la foudroyait; M. d'Amboise, recueill dans ses tristes pensées, jetait des regards irrités sur sa sœur, don

le profond chagrin ne pouvait suffire à l'apaiser. Tout le passé se réveillait en lui comme il arrive à ceux qui ont beaucoup souffert, et augmentait encore, s'il était possible, la peine présente.

Cependant, après plusieurs heures d'un repos absolu, Marguerite sembla se ranimer un peu. Quelques fugitives couleurs reparurent à ses joues et sur ses lèvres, même elle les agita comme si elle eût voulu prononcer quelques paroles; mais sa voix était faible; ses accents inarticulés ne pouvaient se comprendre, et tout son corps frémissait en proie à de sourdes convulsions.

Adèle, tout en pleurs, la regardait avec désolation sans détourner d'elle un seul moment ses regards; elle lui dit :

Ne voulez-vous donc plus parler à vos amis, les rassurer par de bonnes paroles? Mademoiselle, comment vous trouvez-vous ? Marguerite, ma sœur, mon amie, ajouta-t-elle avec un redoublement de chagrin, parle-nous, je t'en supplie. » Mais la jeune malade n'entendit pas la voix d'Adèle, et ses lèvres continuèrent à se remuer doucement. Il semblait qu'elle s'entretenait tout bas avec des êtres mystérieux, visibles seulement pour elle.

Hubert aussi voulut se faire entendre; il lui parla, et ses paroles Aaient empreintes d'amour et de désespoir.

« Marguerite, ma bien-aimée, ma fiancée chérie, n'as-tu pas un mot ȧme dire pour me rendre la vie?... Hélas! hélas ! elle est perdue, perdue à jamais pour moi. »

Et son cœur se brisait de douleur ; car on sent l'irrémédiable dans le Geur avant qu'il soit démontré à l'esprit.

Mais, chose étrange, la voix même d'Hubert, sa voix aimée, ne se fit point entendre à Marguerite, et n'arriva pas jusqu'à elle.

Dans l'angoisse de son désespoir, il voulut prendre sa main pour y poser ses lèvres; ce contact lui donna comme une commotion terrible, qui augmenta beaucoup son tremblement nerveux.

Md'Arbelles, dans sa consternation, s'était tenue à l'écart; son imprudence lui apparaissait à présent tout entière et elle se disait avec une grande amertume:

«C'est moi qui suis, par d'autres mains, le meurtrier de cette enfant pour qui j'aurais donné ma vie. J'ai voulu la guérir, je l'ai voulu avec passion, et je la tue. Mais aussi qui pouvait deviner de pareils mysfres? »

Cependant cet état se prolongeait indéfiniment; des médecins de la ville voisine avaient été appelés, et ils n'osaient rien tenter parce que font contact immédiat paraissait causer de nouvelles souffrances à la unlade.

La journée presque entière s'était ainsi passée.

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