Page images
PDF
EPUB

quié et de Caramanie. Balbek pourrait donc commander à la fois à toutes les extrémités de la Syrie; elle dominerait le Liban beaucoup mieux que Damas ou Beyrouth, parce que la première de ces villes est trop éloignée et la seconde trop basse. Le versant du Liban qui regarde la mer est fort élevé et d'un accès difficile, tandis que celui qui tourne à l'est est peu haut et facile à gravir. Ainsi, pour détruire une insurrection dans la montagne, il faudrait l'attaquer non point par le côté de Beyrouth, mais par celui de Balbek, et, pour la soumettre entièrement, il suffirait de placer quelques forts sur les hauteurs et d'y tenir garnison. Enfin, dans tous les cas, un blocus serait le plus efficace de tous les moyens à employer contre elle, puisqu'elle n'a point de greniers où se trouvent des approvisionnements et qu'elle ne produit point. de blé. Dans toutes ces alternatives, la capitale serait toujours parfaitement placée à Balbek.

La Syrie est un pays d'une immense fertilité; elle donne tous les fruits de l'Europe et tous ceux de l'Asie; les semailles produisent depuis dix-huit jusqu'à vingt-quatre grains de blé pour un, tandis qu'en France elles ne rendent que de huit à neuf.

Les vins y sont de bonne qualité et jouissent d'une réputation justement méritée; les soies y sont produites en abondance, et le Liban seul en fournit de huit à neuf mille balles; les cocons, les sézames, l'olivier, la garance, la laine, tout peut s'y récolter en abondance. Ainsi l'agriculture, première fortune des Etats, pourrait recevoir en Syrie le plus vaste développement et prospérer à l'ombre d'une sage administration.

Le commerce, autre source de prospérité, trouverait encore à répandre ses bienfaits sur tous les marchés de la Syrie. D'une part les échanges des denrées les plus précieuses, et de l'autre les communications entre l'Orient et l'Occident, suffiraient pour y ramener l'aisance et la splendeur des villes de Tyr et de Sidon.

Ainsi nous nous abusons étrangement, ou bien la force d'un nouvel Etat en Syrie serait suffisamment appuyée sur de bonnes frontières,. une bonne position géographique, un centre convenable de pouvoir et une grande richesse territoriale.

Voyons maintenant comment ce pays devrait être administré. Les sociétés dans l'enfance ne peuvent avoir un gouvernement libéral, parce que l'action qui dirige une société doit être en harmonie avec l'état même de cette société. Ainsi on ne pourrait pas plus instituer une république dans la Russie qu'imposer un despote à l'Amérique. Une monarchie indigène offrirait à la Syrie le meilleur de tous les gouvernements. Nous disons monarchie, parce que des peuples dégénérés ont besoin d'une main sûre qui les guide; nous disons indigène,

+

[ocr errors]

www.

parce qu'un prince tiré du pays même connaîtrait mieux les besoins de son royaume et ne donnerait de l'ombrage à aucune puissance européenne.

Les recrues devraient être prises indifféremment dans toutes les sectes, et non point, comme aujourd'hui, chez les Turcs seulement. Il devrait être fait des régiments de Maronites, des régiments de Druzes et des régiments de Turcs, et chaque soldat ne devrait servir qu'un temps déterminé. Pour fondre les antipathies qui existent, les soldats turcs devraient être envoyés dans les pays chrétiens, les chrétiens chez les Druzes, les Druzes chez les Ansariés; avec un pareil système il n'y aurait point à craindre des révolutions qui fissent passer le pouvoir dans les mains d'un petit nombre. La noblesse qui existe déjà devrait être amenée de tous les points de la Syrie auprès du souverain pour y recevoir toutes les missions honorables. A elle serait dévolu le commandement des villes; des chefs turcs devraient être envoyés dans le Liban comme des chefs maronites dans les villes turques, et tous seraient soumis à l'action d'une même loi. De la sorte on pourrait inévitablement compter sur une prochaine fusion de tous les peuples de Syrie, et voici comment elle s'opérerait.

Les Druzes et les Ansariés, et beaucoup d'autres peuples fort peu nombreux, admettent qu'il est permis de pratiquer ouvertement la reli-gion du plus fort, pourvu qu'on reste intimement fidèle à celle dans laquelle on est né. C'est d'après ce principe que l'émir Beschir a longtemps fait croire aux Druzes qu'il n'était point devenu chrétien; mais si une génération est en apparence chrétienne et mentalement idolâtre, on ne peut mettre en doute que celle qui lui succédera sera uniquement chrétienne.

La polygamie, le dégoût qu'inspire l'abus des femmes, le vice qui en est la suite, sont causes que le nombre des Musulmans diminue chaque jour. Les chrétiens, au contraire, augmentent dans une proportion considérable.

D'après ce fait, constaté par tous les voyageurs, il est évident qu'un avenir immense est ouvert aux populations chrétiennes de l'Orient, que les Turcs doivent être anéantis, et qu'on se demandera peut-être un jour comment a fini la religion de Mahomet.

Les peuples du Liban veulent des lois et demandent un maître. Aujourd'hui ils sont en guerre parce que les Maronites demandent le retour de Beschir comme prince chrétien, et les Druzes veulent reconquérir pour un de leurs chefs le commandement de la montagne; mais tous sont d'accord sur la nécessité d'avoir un régime plus régulier que celui des Turcs.

Les Bédouins du désert de Syrie (tout à fait différents de ceux d'Ara

bie), que l'on voit continuellement sur les frontières, qui viennent dans les foires publiques pour y vendre leurs laines, qui plantent sur les lisières de leur domaine, qui demeurent à cheval tant que la récolte n'est pas faite, ceux-là peupleraient volontiers les campagnes et adopteraient l'aisance d'un état social plus avancé que le leur, s'ils ne devaient point redouter des avanies continuelles et la perte de leur indépendance.

Ibrahim-Pacha avait rappelé dans la Beka une foule de Bédouins et leur avait donné du terrain à cultiver, sous la condition que, d'une part, ils construiraient des villages, et, de l'autre, qu'ils ne payeraient que les impositions fixées dans le désert. En effet, une cinquantaine de villages s'étaient élevés de la sorte; mais au retour du régime turc tous ces villages ont été bientôt abandonnés et détruits.

Quel magnifique tableau! comme l'imagination s'enflamme lorsqu'elle aperçoit la possibilité de faire renaître d'une terre antique tant de puissantes cités, de tirer du désert de nouvelles populations, de ramener enfin la civilisation au point d'où elle est partie!

Que ceux qui ne seront point de notre avis nous pardonnent de chercher avec amour la nouvelle aurore d'un pays plongé dans les ténèbres. S'ils ne veulent point que la Syrie puisse former un Etat indépendant, qu'ils croient au moins à la possibilité d'ériger en principauté tributaire du Grand-Seigneur, sous la garantie des puissances, l'ancien domaine de Fakr-el-Din, c'est-à-dire tout le pays chrétien contenant le Liban, l'anti-Liban et les villes de Seyda, Beyrouth et Tripoli, en tout quatre cent à quatre cent cinquante mille habitants; qu'ils rétablissent les droits de la famille Chehab ou qu'ils en créent d'autres, que toute protection de la France cesse dans ce pays, et que, moyennant un tel sacrifice de notre part, l'Angleterre abandonne la lutte d'influence qu'elle veut soutenir; que cette puissance même prenne son passage vers l'Inde sans esprit d'envahissement. La diplomatie peut faire tout cela. Le moment est venu il faut que l'Europe s'occupe enfin de la Syrie comme la religion et la bonne politique le lui commandent; il faut que ses sympathies se réveillent et se manifestent en faveur d'un peuple chrétien trop longtemps opprimé !

J. ROSTAND.

х

SITUATION RELIGIEUSE DE L'ESPAGNE.

Pendant qu'au sein d'une paix profonde les autres grandes nations de l'Europe ont pu consacrer tous leurs efforts à augmenter leurs richesses, la malheureuse Espagne s'est vue plongée, depuis plus de vingt ans, dans une suite non interrompue de guerres civiles. Tous les éléments de la société y ont été confondus dans un chaos politique d'où devait surgir, nous disait-on, une nouvelle création. Aujourd'hui le trouble paraît enfin tendre à se calmer; une sorte de tranquillité relative se rétablit; les oscillations deviennent plus faibles, et l'on peut du moins entrevoir le moment où la législation, dont le cours a été si longtemps interrompu ou détourné, rentrera dans son lit naturel. Un pays placé dans une telle situation excite nécessairement un vif intérêt. Déjà l'homme d'Etat et l'industriel s'empressent de le visiter; ses ressources, encore peu connues, sont soigneusement recherchées et calculées. CeJui-ci trace un chemin de fer; celui-là sonde le terrain pour découvrir les trésors minéraux; un troisième entreprend la construction d'un pont; tous promettent à l'Espagne le bonheur, sans oublier les bénéfices qu'eux-mêmes en retireront.

Mais si d'autres s'intéressent à l'Espagne parce qu'elle leur offre un théâtre ouvert à leurs spéculations, nos yeux, au contraire, se tournent vers elle pour y chercher avec avidité quelques indices de son état moral et religieux. Ce n'est pas seulement en qualité de catholique, c'est surtout comme catholique anglais que nous nous sentons attiré par le spectacle extraordinaire que présente l'Espagne. Là, plus que partout ailleurs, les calomniateurs de notre sainte religion ont prétendu trouver matière à confirmer leurs assertions. Sous quelles sombres couleurs ne nous a-t-on pas dépeint l'ignorance des Espagnols, leur superstition, le despotisme de leurs prêtres? N'a-t-on pas affirmé que ce noble pays démontrait jusqu'à l'évidence le profond avilissement dans lequel pouvait tomber un peuple qui ne lisait point la Bible? On n'a cessé de nous répéter que sa religion ne consistait que dans une vaine pompe extérieure, éblouissant les yeux par des cérémonies.

magnifiques célébrées dans de superbes églises et devant des autels resplendissant des trésors des deux Indes, sans faire naître la conviction dans la raison ni la sincérité dans le cœur, tandis qu'une multitude de prêtres ambitieux et gorgés de richesses, soutenus par un tribunal sanguinaire, s'entendaient avec un gouvernement despotique pour maintenir le peuple dans un état habituel d'illusion, d'erreur et d'esclavage.

Ne devait-on pas naturellement penser que, chez un tel peuple et avec une telle religion, il suffirait d'enlever les étais vermoulus auxquels l'édifice s'appuyait pour le voir soudain tomber en poussière, et ne laisser à sa place qu'une masse informe d'irréligion et d'immoralité? Eh bien, on n'a rien négligé pour faire cette douloureuse épreuve. L'Eglise d'Espagne, dépouillée de toutes ses richesses temporelles, est demeurée dans une indigence digne des temps apostoliques : à ses revenus territoriaux, à ses dîmes, on a substitué de modiques pensions que l'on met un soin scrupuleux à laisser s'arriérer. Les temples n'ont plus de tableaux, les autels n'étincellent plus d'or et de pierreries; l'alliance de l'Eglise et de l'Etat a été rompue ouvertement, avec un mépris affecté pour le clergé, par l'exil des évêques, des dignitaires, des prêtres de paroisse; par la clôture des communautés religieuses dont les habitants ont été chassés de leurs demeures.

L'épreuve, disons-nous, a été accomplie, et le résultat a été de nature à porter la joie la plus pure dans le cœur de tout catholique. Sous ce rapport l'auteur de cet article peut, à plusieurs égards, parler d'après sa propre expérience. Il a vu les moines exilés d'Espagne, lors du premier décret de suppression, se réunir aux communautés de leur ordre en d'autres pays, et les édifier par la sévérité de leur discipline et la sainteté de leur vie. Il a vu les membres du clergé, parqués dans quelques petites villes de France et mourant presque de faim, vivre en commun, réciter dévotement ensemble les offices divins, toujours prêts à se rendre utiles, et toujonrs exemplaires dans l'accomplissement de tous leurs devoirs. Il a vu la robuste jeunesse de Catalogne, couvrant le pont des pyroscaphes qui la ramenaient de Rome, où elle s'était rendue, sans un maravédi dans la poche, pour y recevoir une ordination qu'elle ne pouvait obtenir chez elle, soit parce que ses évêques étaient bannis, soit parce qu'elle n'avait aucune confiance dans les administrateurs intrus des siéges vacants. Oui, il a vu les évêques, chassés de leurs églises par le fléau révolutionnaire, se faire partout révérer par leur science, leurs vertus et leur inébranlable courage; il a vu une foule de laïques espagnols, de tout âge et de toutes les classes de la société, fermement attachés à leur religion, en suivre avec zèle les pratiques, tout éloignés qu'ils étaient de leur patrie. Notre but aujour

[ocr errors]
« PreviousContinue »