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quelque caractère de grandeur. Son architecture, qui était du quinzième siècle, offrait beaucoup de solidité. Elle avait servi de même à Jean de Morvilliers, ambassadeur de France à Venise, évêque d'Orléans, garde des sceaux, puis chancelier de France après l'Hôpital. Cette construction était certainement plus ancienne de cent ans que la mort de ce magistrat, qui eut lieu en 1577.

A l'angle nord-ouest de la place de l'Hôtel-de-Ville, était l'autre charmante tourelle, gracieuse relique de l'architecture civile du quinzième siècle. Mais, par une bizarrerie qui se rencontre fréquemment dans l'histoire des anciennes villes, l'origine de cette tourelle, témoin d'événements si nombreux et si divers, depuis quatre siècles, à une époque surtout où la vie publique de la Cité se trouvait pour ainsi dire concentrée sur la place qu'elle décore, est absolument inconnue aujourd'hui. Les historiens de Paris, les chroniqueurs, les fureteurs d'anecdotes se taisent tous sur l'époque de sa construction et sur le monument dont elle faisait partie. Quelques souvenirs historiques se rattachent cependant à cette tour. Après la bataille du faubourg Saint-Antoine, à l'époque de la Fronde, le grand Condé s'y reposa quelques minutes. En 1680, le 22 février, lors de l'exécution de la Voisin en place de Grève, la petite tourelle fut louée dix pistoles par madame de Sévigné et les personnes qui l'accompagnaient. Le dernier de ces souvenirs historiques se rattache à l'assassinat de Jacques de Flesselles, aux premières années de la Révolution. Lorsque les assassins eurent abandonné sur les degrés de l'Hôtel de Ville Flesselles mourant, son domestique le porta tout sanglant dans cette petite tourelle.

Si, au milieu des doutes où l'on est resté sur l'époque de la construction du monument dont cette tourelle faisait partie, on pouvait hasarder une conjecture, il paraîtrait qu'elle avait appartenu au grand hôtel, ou logis, comme on disait encore au quinzième siècle, de la famille de l'Epine, déjà connue à Paris au treizième, et dont un des membres a donné son nom à l'une des rues adjacentes. Il est dit dans un cartulaire de l'abbaye de Saint-Maur, de 1284, que la maison de Jean de l'Epine avait sa sortie dans la place de Grève, et qu'elle était contiguë à la rue du Mouton. Deux autres personnages de cette famille sont connus dans l'histoire de Paris, Philippe et un 48

T. VII.

autre Jean de l'Epine, greffier criminel du Parlement en 1416, époque peu éloignée de la construction présumée de cette tourelle,

Ce monument, du reste, n'a pas été perdu pour les arts. La démolition en a été faite avec tout le soin qu'exigeait la délicatesse des ornements qui le décoraient avec une certaine profusion. Diverses offres avaient été faites aux adjudicataires des matériaux, et il ne tenait qu'à eux que la charmante tourelle parisienne allât orner le manoir gothique de quelque membre de la Chambre des pairs d'Angleterre. On espérait toutefois qu'il serait fait, pour ce gracieux appendice, ce qui fut fait, il y a quelques années, pour les restes de l'hôtel de la Tremoille, et que la ville de Paris garderait sa tourelle, dont la place paraissait être toute marquée dans une des cours du Musée des antiquités du moyen âge, si bien placé dans le vieil hôtel des abbés de Cluny.

Dans ce vieux Paris, qui disparaissait ainsi pièce à pièce, étaient écrits les grands souvenirs et les histoires du passé. Au front des cathédrales, le long de ces aiguilles à perte de vue, dans ces riches et profondes ciselures, était empreinte la vie des temps, annales de pierre où défilent successivement les hommes et les choses d'autrefois.

Les tours, les tourelles, et, comme on disait au vieux temps, les tournelles, étaient des apanages de noblesse, et, tels qu'une vieille armure, ces débris de l'ancien Paris sont longtemps restés suspendus aux murs du Paris moderne. Çà et là, à travers des rues sombres et sinueuses, on retrouve encore quelque pignon sculpté, une ogive en dentelles, une balustrade en colonnettes, un arceau noir et brisé, restes vénérables de la ville gothique.

L'aspect d'une vieille tour surtout jette dans l'âme une expression indéfinissable: triste et sombre au dehors, elle éveille les plus brillants souvenirs de gloire et de tendresse.

Au milieu de la nuit des siècles et de l'obscurité du donjon, dit à ce sujet un gracieux agiographe moderne, on voit passer et se succéder des drames héroïques, galants et fantastiques. Cette construction carrée ou sphérique, frêle ou colossale, c'est un abri d'amour, c'est une prison d'Etat, c'est l'habitation d'un fantôme; toujours quelque chose de mystérieux; et le vague instinct de l'homme se plaît au mystère. Il aime une forme indécise se dessinant à l'ho

rizon brumeux, une étoile entourée de vapeurs, une lumière trem-. blante sous le feuillage.

Dans ces temps de guerres incessantes, les femmes sentaient le besoin qu'elles avaient de la protection des chevaliers. Leurs mœurs et leurs occupations étaient distinctes: les soldats, les écuyers et les pages se livraient à l'exercice des armes; ils apprenaient à dompter les chevaux, à franchir les barrières.

Au haut de la tour, à travers la fenêtre grillée, une jouvencelle ve nait épier les jeunes guerriers. Alors un jeune seigneur, un damoisel ou un paladin, apercevait au-dessus de lui une tête charmante et blonde, qui semblait se lever comme un astre naissant pour présider à sa destinée.

La jeune beauté, à la hauteur des créneaux, dans la région de l'air, radieuse au milieu des nuages, était regardée comme un être surnaturel; on l'invoquait, on l'adorait; et de là ces croyances superstitieuses de fées, d'enchanteresses, de magiciennes, cette fabuleuse poésie qui colore tous les récits du moyen âge.

Lorsque, dans ce séjour aérien, les chants d'une voix virginale se mêlaient aux accords d'une harpe invisible, le cœur du guerrier tremblait sous la cuirasse d'acier, et les sons éclatants du cor répondaient à l'amoureux appel de cette céleste harmonie.

La voûte de la tour profonde avait reçu les confidences de la joie et de la douleur. Elle avait entendu les soupirs de la jeune fille et les gémissements du prisonnier, le nom du tyran maudit et le nom du page adoré.

Nul ne verra, nul n'entendra ce que la tour a vu et entendu : ce qu'elle sait, tout le monde l'ignore; mais quand après des siècles on pénètre dans son enceinte, on sent qu'il y a là bien des secrets, et on écoute, comme si l'écho allait parler pour vous les raconter.

L'amour a quitté ces sombres retraites, mais son souvenir y est resté. Et quand, le soir, deux blanches colombes se posent sur la haute ruine, on croit voir l'âme des deux amants qui viennent visiter le séjour où ils se sont aimés.

Du milieu des décombres de ces vieilles habitations qui tombaient quelque découverte venait de temps à autre jeter quelque mystère sur ce qui pouvait s'être succédé sur leur emplacement.

Tantôt, dans les fondements d'une des maisons en démolition près de l'Hôtel de Ville, un ouvrier, en creusant, trouvait deux petites figures d'ours en or. Il serait difficile de dire quelle peut être l'origine de ces objets dont la pesanteur ne dépassait pas 10 onces. Ce n'est pas la première fois qu'on a fait à Paris des découvertes de cette nature. Au commencement du quinzième siècle, un ours en or fut trouvé au milieu de vieilles constructions souterraines, à l'endroit où est actuellement le marché Sainte-Catherine, au faubourg Saint-Antoine. Il est à croire que la présence de semblables objets sous terre est due à la superstition, à un usage religieux quelconque; mais à quel usage précis les rapporter, c'est ce qu'on ne saurait dire.

D'autres fois, les démolitions opérées dans la rue des FossésSaint-Germain-l'Auxerrois, pour la rue de Rivoli, mettaient à découvert, au coin de cette rue et de la rue de l'Arbre-Sec, protégées jusqu'à ce jour par la devanture d'un marchand de vin, de vieilles affiches de spectacle, datées de 1772 (23 juillet et 28 novembre). Plusieurs ouvriers d'une imprimerie voisine enlevèrent deux de ces affiches encore bien conservées. Le théâtre était le Colysée. L'une annonçait une joute de coqs anglais, l'autre la première représentation des Titans, spectacle pantomime mêlé de feu d'artifice. Les fleurs de lis, l'adresse de l'imprimeur (Hérissant, rue Notre-Dame) et les permis s'y étalaient avec non moins de complaisance que de nos jours; mais ce qu'on ne retrouve plus sur les affiches d'aujourd'hui, c'était la ligne suivante qui n'est pas la moins curieuse de celles de 1772: La livrée n'entrera pas, même en payant.

Dès le 5 février 1852, cette nouvelle rue de Rivoli, qui allait effacer du sol de Paris tant de curieuses pages d'histoire, macadamisée, cylindrée, bordée de trottoirs, illuminée par des candélabres, fut livrée à la circulation dans une partie de son parcours au nord de l'Hôtel de Ville.

RUE RAMBUTEAU. Dans la partie ouverte en 1852, la longueur de la rue Rambuteau est de 747 mètres. On y a construit 111 maisons représentant ensemble 220 boutiques et 95 magasins au premier. La construction de ces maisons, leur appropriation en boutiques, en magasins, entraînèrent une dépense évaluée à 27,878,500 fr. Mais, en raison du percement de cette artère principale, 17 maisons du

rent être rebâties à l'angle ou dans le parcours des rues qui y débouchaient. Ces immeubles, y compris l'appropriation des magasins et boutiques, ont coûté 2,200,000 fr. L'ensemble des travaux représentait donc un capital mis en œuvre de 30,078,500 fr.

Voici maintenant ce que la ville avait dépensé pour arriver à ce résultat. Les indemnités foncières et locatives, y compris les frais généraux, s'élevèrent à 5,259,793 fr. Il faut déduire de cette somme le chiffre de la revente, soit 903,863 fr., c'est-à-dire un peu moins du 7o du capital qu'elle avait mis en jeu. Si l'on calculait le chiffre permanent des affaires qu'elle a suscitées dans ce quartier, on trouverait des résultats cncore plus merveilleux.

On peut juger par là quel immense mouvement de travaux et de capitaux ont fait naître les grands projets de 1852, qui tendaient à rajeunir le vieux Paris.

RUE DES ECOLES. En mars 1852, la commission municipale de Paris rendit un vote que l'opinion publique réclamait depuis longtemps au nom de la morale et de l'humanité. Jusqu'alors, le 12o arrondissement, réseau de ruelles étroites et fangeuses, privé d'air et de soleil, de la rue Saint-Jacques au Jardin des Plantes, et des bords de la Seine aux boulevards extérieurs, avait été oubliée, sinon délaissée pendant des siècles, par les différentes administrations qui s'étaient succédé, quoiqu'il eût fourni une part d'impôts considérable. La misère s'y était réfugiée comme à Rome dans le Ghetto, comme à Londres dans le quartier des Irlandais; les propriétés dépréciées y perdaient chaque jour de leur valeur, le mouvement y manquait, et la vie commerciale ne pouvait pas s'y épanouir.

Ce triste état de choses fut plus vivement signalé que jamais à la suite de la révolution de Février, et par les journaux et par les pétitions des pauvres gens qui habitent les quartiers Mouffetard et SaintMarcel, les bords fétides de la Bièvre et le sombre amas de maisons. jetées comme au hasard sur les flancs de la montagne Sainte-Geneviève. Les propriétaires joignirent leurs voix à celles de leurs locataires. Des savants, des membres de l'Académie des Sciences, étudièrent les souffrances profondes qui inspiraient ces plaintes, et cherchèrent les moyens d'y remédier ou du moins de les atténuer. De là naquit le projet de la rue des Ecoles, qui fut longuement

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