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Il abolit les corvées, qui pesaient exclusivement sur les pauvres paysans, et les remplaça par une contribution foncière prélevée sur toutes les propriétes. Les vieux règlements de l'industrie manufacturière qui enchaînaient les artisans dans les grandes villes, furent abolis. Dans un rapport à jamais mémorable, il proclama: Le droit au travail ou plutôt la liberTÉ DU TRAVAIL, comme un DROIT NATUREL et IMPRESCRIPTIBLE.

Cette maxime, adoptée avec tant d'enthousiasme par la société moderne, renversait de fond en comble les systèmes des vieux économistes et surtout l'édit de 1673; mais là ne devaient pas se borner les tentatives du ministre honnéte homme. En 1776, il mit sous les yeux de Louis XVI un mémoire qui ne tendait à rien moins qu'à l'abolition complète et immédiate des jurandes et maîtrises. C'était prendre le taureau par les cornes, à la manière des athlètes, pour le terrasser plus sûrement. Le mémoire de Turgot était un éloquent plaidoyer en faveur des ouvriers des villes et des campagnes; il avait trouvé le diapason du cri de la misère, et ce cri retentit si fortement aux oreilles de Louis XVI, que ce prince ordinairement si faible, si indécis, disait dans son enthousiasme :

Il n'y a que Turgot et moi qui aimions le peuple.

Un édit portant abolition des jurandes et maîtrises fut envoyé au parlement pour y être enregistré. Ce corps célèbre, qui avait rempli l'Europe du bruit de ses querelles, lorsqu'il s'était agi de sa propre indépendance, hésita ou plutôt éprouva une répugnance presque insurmontable, au moment de signer l'affranchissement de la France industrielle, commerciale et de plus de cinq cent mille ouvriers englobés dans les réseaux des anciens règlements. Pour montrer combien devait paraître redoutable l'armée du privilége, passons en revue les corporations de la capitale, telles qu'elles étaient lorsque Turgot en proposa l'abolition.

CHAPITRE VIII.

Revue historique des corporations d'arts et métiers de la ville de Paris en 1776.

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Elles sont rétablies à la chate de Turgot. rable à l'industrie.

Abolition des jurandes. -Décret de la Constituante, 2 mars 1791. La liberté favo

AIGUILLIERS. Les statuts de la communauté des aiguilliers sont du 15 sep.

lembre 1599; ils y sont qualifiés de marchands aiguilliers, alêniers, faiseurs de burins et autres petits outils propres aux orfévres. D'après ces statuts on ne pouvait être reçu maître avant l'âge de vingt ans; il fallait en outre avoir fait un apprentissage de cinq ans, travaillé pendant trois autres années, et fourni un chef-d'œuvre. Les fils des maîtres pouvaient être reçus après une simple épreuve.

Les maîtres aiguilliers étaient tenus d'avoir des poinçons distincts et séparés, pour marquer leurs ouvrages; l'empreinte en était mise sur une table de plomb dans la chambre du procureur du roi du Châtelet. II leur était défendu, sous peine d'amende, de vendre des marchandises portant une autre marque que la leur, sans le consentement de celui à qui cette marque appartenait.

La communauté des aiguilliers avait quatre jurés préposés à la conservation et au maintien de ses statuts. Tous les ans on en élisait deux nouveaux en présence du procureur du roi. Vers la fin du seizième siècle cette corporation ne comptait plus que cinq ou six maîtres; au mois d'octobre 1693, Louis XIV la réunit à celle des épingliers.

APOTHICAIRES. Autrefois, les apothicaires étaient compris dans le corps des épiciers, qui était le second des six corps marchands de Paris.

ARMURIERS-HEAUMIERS. Cette corporation était autrefois fort nombreuse à Paris; les armuriers proprement dits fabriquaient des armures, et les heaumiers des casques. Les premiers statuts de cette communauté ouvrière datent du règne de Charles VI, qui l'érigea en corps de jurande en 1409. Ces statuts furent renouvelés en 1562 par Charles IX. Quatre jurés étaient préposés à la conservation de ses priviléges et à l'observation des règlements. Chaque maître ne pouvait avoir qu'un apprenti à la fois, obligé par-devant notaire et reçu par les jurés. L'apprentissage était de cinq ans; les fils de maîtres n'en étaient pas exempts, mais ils pouvaient le faire chez leur père ou chez des étrangers; ils étaient dispensés du chef-d'œuvre.

Cette communauté avait pour patron saint Georges, et se réunissait dans une chapelle de l'église Saint-Jacques-la-Boucherie.

ARQUEBUSIERS. On fabriqua les premières arquebuses vers la fin du règne de Louis XII, les premiers mousquets sous François Ier, et les premiers fusils sous Louis XIII, vers 1630. Les premiers règlements de la corporation des arquebusiers furent dressés par les maîtres de cette in

dustrie alors naissante, en 1575, et enregistrés au parlement en 1577. Par ces règlements, composés de vingt-huit articles et confirmés sous les règnes suivants, les jurés étaient fixés à quatre, dont deux élus tous les ans. On ne pouvait tenir boutique sans avoir été reçu maître, ni maître sans avoir fait un apprentissage de quatre ans et servi les maîtres en qualitė de compagnon pendant quatre autres années. Un apprenti ne pouvait s'absenter plus de trois mois de chez son maître sans cause légitime, sinon il perdait tout droit à la maîtrise. Le chef-d'œuvre était indispensable excepté pour les fils de maîtres. Les arquebusiers avaient pour patron saint Éloi; leur bureau était rue Cocatrix, dans la Cité. Le brevet d'apprentissage coûtait cinquante-cinq livres et la maîtrise sept cents livres.

ARTIFICIERS. Les maîtres de cette corporation ne pouvaient travailler ni tenir boutique à Paris, sans une autorisation spéciale de la cour. Un arrêt du parlement (1706) leur enjoignit de se retirer hors des limites de la ville de Paris, dans des maisons isolées.

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BALANCIERS. Cette corporation est une des plus anciennes. En 1691 elle ne comptait que six maîtres; mais Louis XIV leur permit de recevoir quelques maîtres sans qualité, de sorte qu'en 1717 ils se trouvaient au nombre de dix, et de quinze en 1766. Tous leurs anciens statuts furent renouvelés par des arrêts du conseil en 1691 et 1695; ils n'élisaient que deux jurés à la pluralité des voix; le plus ancien se retirait tous les ans. Chaque maître ne pouvait avoir qu'un apprenti. L'apprentissage durait cinq ans, et le compagnonage deux ans pour ceux qui aspiraient à la maîtrise. Il fallait être apprenti de Paris pour être reçu compagnon en cette ville. Les aspirants devaient fournir le chef-d'œuvre. Les nouveaux maîtres recevaient les poinçons des mains des jurés en charge. Ce poinçon portait la première lettre du nom du maître, il était surmonté d'une couronne fleurdelisée, et servait à marquer l'ouvrage. Les balanciers avaient pour patron saint Michel; leur confrérie était dans l'église des SaintsInnocents. Le brevet coûtait cinquante livres et la maîtrise cinq cents livres.

Batteurs d'or et d'ARGENT. Cette corporation était distincte de celle des tireurs d'or et d'argent. On n'y faisait point d'apprentis. Les fils des maîtres pouvaient seuls aspirer à la maîtrise par rang d'ancienneté, quand il se trouvait une place vacante. Les maîtres étaient au nombre de vingt-huit; ils fabriquaient l'or et l'argent en livret. Ce livret se composait alors de

vingt-cinq feuilles, et l'once d'or battu donnait seize cents feuilles de trente-sept lignes en carré. Les batteurs d'or avaient pour patron saint Éloi, dont la fête se célébrait à Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie.

La maîtrise coûtait cinq cents livres.

BOISSELIERS. Cette corporation faisait mystère de son origine et de ses statuts. L'apprentissage était de six années; le brevet coûtait trente-six livres, et la maîtrise sept cent cinquante livres. Ils avaient pour patron saint Clair; leur bureau était rue Montorgueil. Les boisseliers ne se bornaient pas à fabriquer des boisseaux; ils vendaient aussi des soufflets, des égrugeoirs, des cuillères à pot, des tamis, toutes sortes de pelles, des sabots, etc., etc.

BONNETIERS. Dans les ordonnances des métiers de Paris dressées en 1390, les bonnetiers sont appelés aumussiers-bonnetiers, mitainiers et chapeliers de Paris, quoiqu'il y eût déjà une communauté de chapeliers; leur commerce devint par la suite si considérable qu'en 1514 ils entrèrent dans les six corps de marchands à la place des changeurs, qui y avaient longtemps occupé le cinquième rang, mais dont le corps s'était considérablement affaibli depuis que la pragmatique sanction, donnée en 1268, avait interrompu le commerce d'argent avec la cour de Rome.

Avant 1678 il y avait deux catégories de bonnetiers; l'une, dont les statuts étaient de 1608, portait le nom de corporation des marchands bonnetiers-aumussiers, et composait le cinquième corps des marchands; elle ne tenait boutique que dans la ville. L'autre était appelée corporation des maîtres bonnetiers au tricot; cette communauté particulière d'ouvriers habitait le faubourg Saint-Marcel; elle avait des jurés et des statuts renouvelés en 1527, en 1619; en 1716, les deux coporations de bonnetiers furent réunies par un arrêt du conseil.

Pour être reçu dans ce corps, il fallait avoir vingt-cinq ans, avoir servi les bonnetiers cinq ans en qualité d'apprenti et cinq autres années comme garçon; il fallait aussi avoir fourni le chef-d'œuvre; il avait à st tête six maîtres-gardes chargés de faire les visites chez les maîtres. Ses statuts furent renouvelés en 1701.

Les bonnetiers avaient pour patron saint Fiacre dont ils célébraient l'office dans l'église de Saint-Jacques-la-Boucherie, près de laquelle se trouvait leur bureau.

Les armes qui leur furent accordées par la ville en 1629 étaient d'azur

à cinq navires d'argent, à la bannière de France, et en chef une étoile d'or. Ils changèrent par la suite ce blason, ôtèrent l'étoile pour mettre en abîme une toison d'argent accompagnée de trois navires en chef et deux en pointe.

Le brevet d'apprentissage coûtait soixante-quinze livres et la maîtrise dix-sept cents livres.

BOUCHERS. Nous avons déjà dit que la communauté des marchands bouchers est probablement la plus ancienne des corporations de Paris; Philippe-Auguste leur accorda divers priviléges. Ils ne figurent pas au Livre des Métiers d'Étienne Boileau, probablement parce qu'ils ne voulurent pas se soumettre aux exigences du prévôt de saint Louis. Leurs statuts ne furent homologués et enregistrés au parlement que le 22 décembre 1589, ensuite au Châtelet le 12 janvier 1590, et enfin confirmés par Henri IV en 1594; ces statuts furent modifiés en 1630, sur la demande des maîtres. Quatre jurés gouvernaient la corporation; ils étaient élus de deux en deux ans par l'assemblée des maîtres en présence du procureur du roi. Les jurés étaient tenus de visiter les bêtes amenées, tuées et exposées en vente.

L'on ne pouvait être reçu à la maîtrise, si l'on n'était fils de maître ou apprenti de Paris; il fallait en outre être âgé de vingt-quatre ans. Les fils de maîtres devaient servir chez leurs parents au moins pendant trois ans comme simples apprentis avant de pouvoir exercer eux-mêmes l'état de boucher. L'appentissage des étrangers durait six années, après lesquelles l'aspirant pouvait être reçu au chef-d'œuvre, qui consistait à habiller un bœuf, un mouton, un veau.

Dans une assemblée des maîtres de la communauté tenue le 27 mars 1630, on ajouta de nouvelles conditions concernant la réception des aspirants à la maîtrise. D'après ces conditions, approuvées par le parlement le 25 juin 1653, on ne pouvait être reçu maître sans être apprenti de maître de ville; l'aspirant devait être présenté à la chambre ou par son maître, ou par l'ancien des jurés.

Les bouchers avaient un syndic et six jurés, ils marchaient sous la bannière du Saint-Sacrement et célébraient leur fête à la Merci. Le brevet coûtait deux cent deux livres et la maîtrise quinze cents livres.

BOULANGERS. Nous avons déjà si longuement parlé des boulangers que nous nous bornerons à ajouter quelques détails omis à desseín pour ne pas interrompre le récit historique.

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