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on prit le parti de créer une monnaie de cuir dont la valeur était établie par un clou d'or ou d'argent fixé au milieu.

La bourgeoisie parisienne elle-même suscita des entraves aux progrès du commerce et de l'industrie, en s'emparant de la navigation de la Seine dans un certain rayon, pour monopoliser tout le commerce fluvial. Elle établit une hanse, dont l'origine remonte, dit-on, à la domination romaine; l'objet de cette confrérie, connue plus tard, sous le nom de corporation des marchands de l'eau, dont nous avons déjà parlé, était de faire participer ses membres à toutes les opérations commerciales qui s'effectuaient par la voie du fleuve. Elle siégeait au parloir-aux-bourgeois et de la marchandise, où l'on se réunissait pour délibérer sur les affaires du commerce et des intérêts particuliers de la ville. Les marchands hansés s'étaient appropriés la partie de la Seine qui bordait la ville et sa banlieue: Un bateau chargé de marchandises ou de denrées, arrivé au pont de Mantes par la basse Seine, ne pouvait plus avancer ni être déchargé, si l'expéditeur n'était pas bourgeois de Paris et affilié à la hanse des marchands de l'eau. S'il était étranger, il devait, à la limite du bassin formant le ressort de la confrérie des marchands de l'eau, déclarer où il voulait vendre sa cargaison; le prévôt des marchands ou les échevins lui désignaient alors un marchand de Paris pour être son compagnon.

Lorsque le maître de la cargaison en avait fait connaître le prix au compagnon qui lui était imposé, celui-ci avait le droit de prendre pour son compte la moitié de la marchandise, et partageait le bénéfice avec le propriétaire, s'il préférait laisser vendre le tout (1).

Dans le cas où un marchand étranger à la hanse franchissait la limite pour s'approcher de Paris, sans avoir demandé un compagnon, sa cargaison était déclarée forfaite par le prévôt et confisquée au profit du roi et de la confrérie des marchands de l'eau.

La hanse étendait aussi son système odieux de monopole sur la navigation de la haute Seine; elle portait ainsi un coup terrible au commerce des villes de Bourgogne, commerce d'autant plus important, que cette province était la seule alors qui exportât au loin les produits de ses vignobles. Les villes réclamèrent, mais il n'en fut pas moins décidé que

(1) Frégier, Administration de la police, tome 1, page 167, Ordonnances des rois de France, tome xvi, page 444, note B.

nul ne pourrait débarquer du vin à Paris, s'il n'était membre de la confrérie des marchands de l'eau. Le propriétaire de la denrée pouvait la vendre à une personne étrangère à la hanse; mais, dans ce cas, l'acquéreur était obligé de faire transporter le vin hors de la banlieue, car les bourgeois de Paris avaient seuls le privilége d'acheter du vin pour le débiter dans l'intérieur de la ville (1).

Cette courte et rapide énumération des obstacles qu'éprouvait le commerce, quoique très-incomplète, suffira pour faire comprendre combien le monopole de la banse parisienne dut être nuisible au développement du commerce et de l'industrie dans cette grande ville.

Et pourtant Paris, depuis le règne de Philippe-Auguste, fut le centre de l'industrie, du commerce, de l'élégance et des belles manières. On y. comptait six principaux corps de marchands, en tête desquels figuraient les drapiers, plus riches que les changeurs et les Lombards eux-mêmes. La confrérie des drapiers parisiens remonte à la plus haute antiquité (2).

Voici, du reste, comment se trouvent réparties et classées les principales professions de la capitale, dans le Livre des tailles de 1313; les rôles furent établis, dit M. de la Tynna, par:

Trois bourgeois, Jehan Barbette, Jacques Bourdon et Nicolas Arrode. Un orfévre, Jehan Le Queu.

Un changeur, Jehan Maillart.

Un drapier, Simon de Saint-Benoist.
Un tisserand, Jehan de Montfermeil.

Un mercier, Simon de Chatou.

Un pelletier, Guille de Trie.
Un corroyeur, Robert de Linas.
Un sellier, Guille Franqueu.
Un poissonnier de mer, Vincent.
Un vinetier, Thomas de Noisy.

(4) Leroi, Dissertation sur l'hôtel de ville de Paris, deuxième partie, paragr. 4 et pièces justificatives, tome I de l'Histoire de Paris, par Félibien.

(2) On conserve à la bibliothèque de la rue Richelieu le livre des tailles qui furent mises sur la ville de Paris en 1313, pour subvenir aux frais de la fête donnée par Phi

lippe le Bel, lorsque ses fils furent reçus chevaliers. M. de La Tynna a fait de remarquables études sur ce document historique.

Un talmelier (boulanger), Evroin Ligier.

Un épicier, Gérart Godefroy.

Un boucher, Simon Tybert.

Le résultat des profondes études de M. de la Tynna a été, qu'en 1313 les professions les plus imposées se classaient comme il suit :

Les drapiers, les taverniers, les merciers, les épiciers, les orfévres, les hôteliers, les bouchers, les marchands de bois, les pelletiers, les talmeliers, les lombards (banquiers), les tanneurs, les cordonniers, les maroquiniers, les marchands de vin, les corroyeurs.

Cette classification est plus que suffisante pour apprécier le degré de richesse de chaque profession au commencement du quatorzième siècle. Les marchands drapiers figurent en première ligne; leurs magasins étaient disséminés dans la Cité, près du Grand-Pont, et dans la paroisse Saint-Méry.

La Flandre se trouvait alors à la tête de la fabrication des draps, qui n'avait pas encore créé en France d'établissements importants au commencement du quatorzième siècle : elle s'était pourtant propagée dans un certain nombre de familles parisiennes, qui avaient acquis dans ce commerce des richesses considérables. Dans l'origine, les tisserands vendaient eux-mêmes les étoffes de laine qu'ils avaient tissées; mais, insensiblement, les maîtres qui possédaient des capitaux firent fabriquer pour leur compte par les artisans qui n'avaient d'autre ressource que leur industrie, et ils devinrent ainsi, dit M. Frégier, de véritables négociants, uniquement occupés de chercher des débouchés à leurs produits.

Il s'éleva souvent des contestations entre les teinturiers et les drapiers, qui se firent une concurrence funeste aux deux industries. Mais le commerce de la draperie ne tarda pas à prendre le dessus, et engloba, nonseulement les tisserands, mais encore les cardeurs, les peigneurs, les fileuses, les fouleurs, les tondeurs, les friseurs, les presseurs, etc.

M. Alexis Monteil a dépeint de la manière suivante les tribulations d'un drapier c'est un maître marchand qui parle.

:

« Les statuts de notre métier sont et doivent être des plus sévères. Vous savez que des inspecteurs viennent visiter les laines avant qu'on les carde: les laines cardées avant qu'on les file: les laines filées avant qu'on les tisse les étoffes tissées avant qu'on les foule : les étoffes foulées avant qu'on les tire aux chardons, avant qu'on les tonde: les étoffes tirées aux

chardons et tondues avant qu'on les presse. Vous savez après quels longs examens ils mettent le sceau de cire aux draps qui doivent être foulés ; après quels examens plus longs encore ils remplacent, après le foulonnage, le sceau de cire par le sceau de plomb qui, jusqu'à la dernière aune de la pièce de drap, doit en attester la bonne qualité à l'acheteur; vous savez que, sous sa responsabilité, le presseur doit couper la lisière, vis-àvis des endroits qui lui paraissent défectueux. Vous savez qu'alors seulement on porte les draps à la maison municipale de la visitation (1).

A la fête de la confrérie des marchands drapiers, les frères de SaintFrançois n'avaient qu'une portion de pain, et le roi recevait une portion de viande (2).

On fabriquait aussi beaucoup d'étoffes de soie qui composaient les vêtements des riches; les chevaliers, les écuyers, les gentilshommes, les magistrats étaient tous vêtus de velours et de satin; les grandes dames ruinaient quelquefois leurs maris pour avoir du taffetas, du damas, du cendal, du samite. Les tentures des maisons riches, les ornements d'église augmentaient encore la consommation. On fabriquait aussi des étoffes or et soie qui se vendaient cinquante écus l'aune, somme énorme pour le temps.

Les merciers de Paris tiraient les matières premières de l'étranger, de l'Italie et du Levant; ils les faisaient filer et tisser par diverses corporations d'ouvriers, car les opérations mécaniques n'étaient pas réunies, comme de nos jours, dans de vastes établissements. Le Livre des Métiers contient les statuts de la corporation des fileuses de soie, et il paraît que ces ouvrières ne jouissaient pas d'une grande réputation de probité; on les accusait de soustraire de la soie, soit en nature, soit filée, pour la vendre à des merciers receleurs, ou la mettre en gage chez les lombards et chez les juifs; les dispositions pénales introduites dans leurs statuts démontrent clairement que ces fileuses connaissaient toutes sortes de ruses pour abuser des précieux dépôts que leur confiaient les merciers. La sévérité des règlements ne mit point fin à ces fraudes traditionnelles dans le métier:

(4) Les Français de divers états, tome 1, pag. 286. Lettres du roi de France relatives à la draperie. Ordonnance des prévôts, pag. 392 du Livre des Métiers, deuxième partie.

(2) Articles 3, 6 et 7 des lettres-patentes du mois de juillet 1362 relatives aux statuts des drapiers de Paris.

en effet, les mêmes vols ne tardèrent pas à se renouveler; les merciers jetèrent de hauts cris, et le prévôt fit comparaître devant lui toutes les fileuses de soie en les menaçant du bannissement et même du pilori (1), si elles étaient encore convaincues d'avoir trompé la bonne foi de leurs patrons.

Il y avait aussi des tisserands en soie, dont les statuts figurent au Livre des Métiers une corporation de boursiers ou fileurs de bourses. Les Métiers deP aris désignent: 1° les boursiers de lièvres et de chevrotain; 2o les boursiers et brayers; 3° aumosnières ou bourses sarrasinoises; nous ne parlerons que de ces dernières, qu'on appela ainsi, disent plusieurs historiens, parce que les dames et les gentilshommes devaient consacrer tout l'argent qu'ils y ramassaient à solder les chrétiens qui allaient faire la guerre aux Sarrasins; en effet, ces aumônières paraissent dater des croisades. Elles étaient richement brodées, ornées d'élégantes bordures, et quoique leur nom eût semblé devoir exclure toute destination profane, dit M. Frégier, elles ne servaient pas toujours à serrer de la monnaie pour les pauvres; elles furent quelquefois les dépositaires de tendres secrets. Les hommes portaient aussi une bourse suspendue à la ceinture de leur robe, mais elle était en cuir (2). La jolie confrérie des brodeurs et des brodeuses, dit M. Monteil, brodait les manches, les robes, les ceintures, les meubles, les tabourets, les chaises, les bancs, les lits, les tableaux (3). Pendant les treizième et quatorzième siècles, les hommes et les chevaux étaient couverts d'argent et d'or ouvrés en broderie. Tel grand seigneur portait souvent sur sa manche le travail de six mois, d'un an, d'une brodeuse. La broderie en fils d'or simples sur drap écarlate était regardée comme la plus noble, quoiqu'elle ne fût ni la plus savante, ni la plus riche. Aux processions et dans les fêtes publiques, la confrérie des brodeurs marchait sous la bannière de saint Clair.

La coiffure occupait aussi plusieurs corporations d'ouvriers distinctes les unes des autres, ayant chacune ses statuts particuliers. Chaque âge

(1) Ordonnances des prévôts, page 377; Registres des Métiers, page 449. (2) Voir les statuts des brodeurs, Livre des Métiers, page 204.

(3) On peut remarquer au Musée du Louvre des tableaux du quinzième siècle, où les personnages ont des auréoles dorées. A la même époque, les tapisseries étaient aussi quelquefois tissues de soie, d'or et d'argent. Voir les Mémoires de Lamarche, livre II, chapitre 4.

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