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son, et c'est une fille du peuple, une paysanne de la Lorraine qui conduit les Français à la victoire. Jeanne d'Arc, après avoir fait sacrer l'indolent Charles VII, se dirigea vers Paris qu'elle voulut en vain emporter d'assaut. Les bourgeois et les gens de métier avaient tant souffert sous le règne des Valois, qu'ils opposèrent une résistance invincible; ils détestaient la tyrannie des Anglais, mais les Armagnacs leur inspiraient tant d'horreur, qu'ils ne voulurent pas faire cause commune avec les troupes royales. Sur ces entrefaites, la noble héroïne fut faite prisonnière sous les murs de Compiègne par les Anglais qui l'emmenèrent à Rouen où ils la firent périr sur un bûcher, sans que l'ingrat Charles VII fit la moindre démarche pour secourir sa libératrice. Henri VI, roi d'Angleterre, vint se faire sacrer à Paris, pendant que le duc de Bourgogne, honteux de pactiser avec les étrangers, se réconciliait avec Charles VII. Le parti français devenait de jour en jour plus nombreux dans la capitale, et les gens de métier eux-mêmes promirent de seconder l'armée royale. On tendit des chaînes dans les rues; les Anglais furent poursuivis, traqués comme des bêtes fauves; les habitants du quartier des halles déployèrent surtout une valeur extraordinaire. Enfin, Charles VII rentra dans sa capitale en 1436. On jouit de quelques années de paix, l'industrie et le commerce réparèrent leurs désastres et la levée des impôts n'éprouva plus aucune difficulté.

:

Jeanne d'Arc avait expié au milieu des flammes son noble et généreux patriotisme il restait encore auprès du roi deux hommes sortis des rangs de la bourgeoisie, et qui l'avaient puissamment aidé à conquérir son royaume; c'étaient Bureau Devenu, chef de l'artillerie, et le célèbre Jacques Cœur. Ce dernier, qui avait compris au commencement du quinzième siècle toutes les ressources du commerce et de l'industrie, avait acquis une immense fortune qu'il employa généreusement à solder les troupes qui chassaient les Anglais; il était en relation avec les contrées les plus lointaines, et ses facteurs faisaient le commerce dans toutes les parties du globe. Il prêta non-seulement au roi, mais encore aux seigneurs, et bientôt l'envie qu'excitaient sa haute position et sa capacité inventèrent les mensonges les plus ridicules, les plus odieux. On accusa l'argentier du roi de magie et de sorcellerie. Les seigneurs, habitués à s'enrichir par le pillage, ne pouvaient croire qu'il fût possible d'acquérir une immense fortune par le travail et l'industrie. On

trouva des juges qui condamnèrent Jacques Cœur au bannissement perpétuel; ses biens furent confisqués, et le célèbre banquier, ou plutôt homme d'État; mourut en exil.

Et pourtant Paris comptait déjà plusieurs riches lombards et des marchands très-opulents; la fortune passait des mains de la noblesse oisive dans celles de la bourgeoisie active et industrieuse. Plusieurs chefs de métier jouissaient d'une honorable aisance; mais cette révolution dans la propriété n'avait pas dessillé les yeux des grands seigneurs; pour eux le travail était de la magie, et ils condamnaient la capacité industrielle comme une science occulte, un pacte infernal. Voilà donc le secret de l'inique jugement qui frappa Jacques Cœur.

Comme tous les novateurs qui devancent leur siècle, il fut condamné par la stupide ignorance de ses contemporains.

Les bourgeois, les gens de métier et le peuple, ne virent pas sans indignation le roi abandonner Jeanne d'Arc aux Anglais, et Jacques Cœur à la vengeance de ses ennemis; on murmura tout bas; mais la démocratie parisienne avait soutenu des luttes si terribles, depuis 1353 jusqu'en 1436, elle avait tant souffert des factions des grands, qu'il ne lui restait plus assez de force pour manifester son mécontentement. Elle garda donc le silence, laissa au temps le soin de cicatriser ses blessures, sans oublier toutefois Étienne Marcel, les Maillotins et les Cabochiens, c'est-à-dire ses trois grandes batailles, où elle donna à la capitale celte suprématie politique et industrielle qui lui est restée depuis.

Dans tous ses efforts si longtemps méconnus, il y avait le germe de 1789, et les États généraux de 1358 étaient le prélude de l'immortelle séance du Jeu de paume, berceau des libertés françaises.

CHAPITRE VI.

Principales dispositions de l'ordonnance de 1350 relativement aux communautés ouvrières, aux subsistances, la polic de Paris. -Réformes dins la boulangerie. Corporation des jurés-vendeurs de vins. Corporation des bouchers. Ed is de 1540 et de 1545.- Louis XI donne des statuts aux charcutiers. Nouveaux règlements concernant le pâtissiers. — Jurės-visiteurs des boutiqnes d'apothicaires et d'épiciers. -L'édit de 1581 multiplie les maitrises et jurandes. Résultats désastreux pour l'indus rie.-Edit de 1597. Costume des classes ouvrières au seizième siècle. - Sully propage le système des jurandes. — Mesures fiscales sous Henri IV. -Persécutions contre la librairie parisienne.

Le rôle politique des corporations parisiennes, dans le grand drame de la nationalité française, fournirait une ample matière pour une histoire pleine d'émotions et du plus puissant intérêt. Mais nous devons nous borner à ces simples aperçus, pour ne pas trop nous détourner de notre sujet spécial. Rentrons donc dans le cercle étroit des règlements des métiers et de leurs modifications.

Nous sommes encore à la seconde moitié du quatorzième siècle. L'ordonnance de 1350, ainsi que nous l'avons déjà dit, eut pour but principal de réglementer et d'assurer les subsistances de la capitale. Elle statua en principe qu'aucune denrée destinée à Paris ne pourrait être vendue qu'aux halles et marchés publics; les convois de vivres furent mis à l'abri de toute saisie et même des prétentions du fisc. Sous Charles VI, les porteurs de grains furent autorisés à former une corporation, et une ordonnance de 1415 leur donna des statuts qui furent confirmés plus tard par Louis XI. L'ordonnance de 1350 créa aussi des bureaux où des peseurs-jurés, moyennant une rétribution déterminée, pesaient le blé qu'on portait au moulin, et la même denrée lorsqu'elle avait été réduite en farine. Le choix des prud'hommes chargés de la visite du pain fut ôté aux boulangers et confié au prévôt de Paris, assisté du prévôt des marchands.

En 1350, il y avait déjà dans Paris quatre marchés au pain, le prenier aux halles, le second au cimetière Saint-Jean, le troisième à la rue Notre-Dame, et le quatrième à la place Maubert. La profession de bouanger était incompatible avec celle de marchand de grains et de meuier (1).

(1) Delamarre, Traite de la police.

Une ordonnance du 10 juin 1391 confirmée plus tard par celle du 4 avril 1415, taxa le prix du pain et du blé. On fabriquait alors du pain de trois sortes, du pain bourgeois, du pain blanc et du pain faitis. Dans de petites assemblées de police qui se tenaient au Châtelet, on débattait le prix des grains et celui de chaque espèce de pain. Les jurés-boulangers avaient le droit d'y assister et de prendre part à la discussion. Dans les temps de disette, on n'autorisait que la vente de deux sortes de pain; le pain faitis et le pain bis; le pain blanc et les échaudés étaient confisqués si on en trouvait dans les boutiques des boulangers.

L'ordonnance de 1350 réglementa aussi le commerce de la boucherie; elle défendit aux bouchers et autres personnes d'aller au-devant des bestiaux pour en acheter, et d'en vendre ailleurs que sur les marchés affectés à l'approvisionnement de Paris.

De temps immémorial, des facteurs ou vendeurs s'entremettaient entre les marchards forains et les bouchers, pour vendre les bestiaux, en recevoir el en remettre le prix. Ils abusèrent des avantages que leur donnait cette position exceptionnelle. Une ordonnance de Hugues Aubriot, prévô de Paris, du 22 novembre 1375, leur imposa un cautionnement, les obligea à faire bon le paiement des marchands, huit jours après la vente, leur interdit d'être marchands en même temps que vendeurs; Charles VI, par des lettres-patentes du 10 avril 1465, érigea ces charges en offices et en fixa le nombre à douze. Ceux qui les exercèrent s'appelèrent jurés-vendeurs. Des lettres-patentes du 18 mars 1477, constituèrent parmi eux une bourse commune pour atténuer le monopole qui s'était établi au profit de quelques-uns d'entre eux (1).

La part que prirent les bouchers à la dissension qui s'éleva entre les ducs de Bourgogne et d'Orléans, leur attira l'animadversion des rois de France. Une ordonnance du prévôt de Paris abolit la communauté de la grande Boucherie, et statua que tous les bouchers de Paris, formeraient une seule et même corporation régie comme tous les autres corps de métier.

Les anciennes familles de bouchers, les Legoyx, les Thibert, les de La Hors, les Dauvergue enrichis par le monopole, dédaignèrent d'exercer leur industrie, et louèrent leurs étaux à des compagnons bouchers qui

(4) Bizet, du Commerce de la Boucherie, in-8° 1850,

commirent toutes sortes d'abus pour s'enrichir à leur tour. Le parlement rendit plusieurs arrêts pour contraindre les titulaires à exercer euxmêmes; mais les bouchers étaient si influents que, par un arrêt du 4 mai 1540, ils furent autorisés à louer leurs étaux sous la direction des officiers du Châtelet. On essaya à diverses époques de taxer le prix de la viande; mais aucune de ces tentatives n'eut de résultat, et on se borna à contraindre les bouchers à faire constater sur un registre spécial le nombre et le prix des bestiaux qu'ils avaient achetés. On vendait la viande à la main, c'est-à-dire par morceaux, aussi bien qu'au poids.

François 1er, par une ordonnance du mois de novembre 1545, créa un certain nombre de garçons bouchers sous le nom de tueurs et écorcheurs de bestiaux, et les étaliers, chargés de découper et de préparer les chairs pour les mettre en vente. Les maîtres bouchers se trouvèrent ainsi restreints à l'achat du bétail.

Une ordonnance de Henri II (juin 1550) conserva aux bouchers les priviléges dont ils étaient en possession depuis des siècles; Henri III voulut diminuer ces priviléges en 1587, mais un arrêt du parlement réforma son ordonnance en 1589, et cet arrêt fut confirmé par Henri IV. Une sentence du Châtelet (12 janvier 1590), statua que les quatre jurés bouchers qui gouvernaient la corporation seraient choisis de deux en deux ans dans l'assemblée des maîtres, et en présence du procureur du roi.

Avant le quinzième siècle, les charcutiers, quoique aussi anciens dans Paris que les bouchers, ne formaient pas une corporation comme ces derniers; ce commerce était à peu près libre, sans aucune police ni surveillance. En 1475, les charcutiers eux-mêmes adressèrent une requête au prévôt des marchands Robert de Touteville, pour demander des statuls. Le 17 janvier, sur l'avis des avocats et du procureur du roi au Châtelet, on leur donna des règlements qui se composent de dix-sept articles et où se trouvent exposées toutes les mesures de police, de surveillance et les statuts du métier. On créa en même temps des offices de langayeurs et de tueurs qui devaient être commissionnés par le chef ou maître de la grande Boucherie.

Les charcutiers n'en restaient pas moins forcés d'acheter, comme par le passé, aux maîtres bouchers la viande de porc dont ils se servaient pour leur commerce. Louis XII, par une ordonnance du 18 juillet 1513, les autorisa à acheter des porcs sur pied dans les marchés et ailleurs. Les

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