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blables à celles du Codex, et qu'ainsi toute méprisé est impos sible entre les deux ouvrages; que la Cour royale de Paris, en refusant, dans l'état des faits ainsi reconnus, de faire l'application des peines relatives au délit de contrefaçon, n'a pas violé ces lois 1.

Il est évident qu'au fond cet arrêt consacre une juste application des principes de la matière, et que, dans l'espèce, l'emprunt à un recueil de formules de quelques citations pour les placer dans un traité, ne pourrait constituer une reproduction préjudiciable de ce recueil. Mais la Cour semble appuyer sa décision sur cette règle, que toute méprise était impossible entre les deux ouvrages; or, une telle règle serait dénuée de fondement, puisque la loi n'en fait nulle part une condition de son application, et que des dissemblances même graves n'empêchent pas que la reproduction soit complète.

2466. Nous avons dit, en second lieu, que la reproduction diffère essentiellement de l'imitation et du plagiat.

La simple imitation suppose qu'il ne s'agit point d'une reproduction exacte; elle s'attache soit à employer les mêmes procédés en traitant un autre objet, soit à traiter les mêmes sujets par des procédés différents; l'imitation est l'étude de la vie des beaux-arts; la littérature elle-même tend sans cesse à reproduire les formes des œuvres qu'elle proclame ses modèles proscrire l'imitation ce serait proscrire l'étude et la perfection de l'art. C'est d'après cette distinction que la Cour de Paris a décidé « que le droit des auteurs ne peut être étendu à la reproduction de leurs ouvrages au moyen d'un art essentiellement distinct dans ses procédés comme dans ses résultats; qu'ainsi l'imitation d'un tableau ou d'une gravure, en tout ou en partie, par l'art de la sculpture, de la moulure, de la ciselure, ne constitue pas le délit de contrefaçon . » Déjà la même Cour avait jugé, dans une autre espèce, sur la plaidoirie de Lépidor « que l'imitation du sujet d'une gravure par d'autres procédés ne constitue pas le délit de contrefaçon; que les droits de celui qui imite par d'autres procédés que ceux employés

1 Cass., 25 fév. 1820, Devill. et Car., 6.189; Dall., vo Propr. litt., 340. 2 Arr. Paris, 3 déc. 1831, Devill. et Car., 32.2.278; Dall., ibid., n. 407. }

par l'inventeur, tiennent à l'art, au talent, au droit naturel, et sont de l'essence universelle du commerce; que l'invention dans le mode d'exécution, incompatible avec la fraude, détruit toute idée de contrefaçon 1. >>

Et en ce qui concerne les écrits mêmes, il ne faut pas confondre l'imitation qui emprunte quelque chose de l'œuvre, avec la reproduction qui la copie servilement, en tout ou en partie. On lit dans un arrêt de rejet : « que si les lois qui protégent la propriété littéraire atteignent et punissent toute espèce de contrefaçon partielle ou totale, elles n'ont point défini en termes exprès et limitatifs les faits qui constituent la contrefaçon partielle, et elles s'en rapportent à la conscience et à l'appréciation souveraine des juges pour reconnaître en fait dans quelles circonstances et d'après quels caractères le délit de contrefaçon peut et doit résulter de la reproduction partielle d'un ouvrage; que l'arrêt constate que les articles empruntés à la Biographie universelle n'en forment point une partie importante; que ces articles sont comme perdus au milieu de huit volumes du Dictionnaire de la conversation; que ces deux ouvrages n'ont ni le même but ni la même destination; qu'il ne peut donc résulter de cette reproduction partielle aucune concurrence nuisible et aucun préjudice pour la Biographie 2. »

2467. Le plagiat a plus d'affinité encore que l'imitation avec la contrefaçon il consiste dans l'action de publier sous son nom et comme si on en était l'auteur, des ouvrages ou des portions d'ouvrages qui ont été composés par un autre. Il peut, dans certains cas, s'identifier avec la contrefaçon, il en diffère dans beaucoup de circonstances. En général, il n'affecte pas la fidélité d'une reproduction, il se cache, il revêt des formes différentes; il ne reproduit pas l'œuvre, il ne fait que copier servilement des passages qu'il s'attribue; il pille non avec l'intention de porter préjudice, mais pour vivre en butinant çà et là un miel qu'il est dans l'impuissance de composer. Le plagiat

1 Arrêt rendu sur la plaidoirie de Lépidor, Barreau franç., t. 4, p. 214. 2 Cass., 24 mai 1855, Bull. n. 171; Devill. et Car., 55.1.392; Journ. du 55.2.271.

Pal,

fait, en général, peu de tort à la propriété, il ne lui suscite aucune concurrence, il n'élève point ouvrage contre ouvrage, il n'est justiciable que de la critique littéraire qui le dévoile et le flétrit. Cependant cette décision peut avoir des exceptions. Si le plagiat avait usurpé une partie notable et importante de l'ouvrage, s'il avait par là même élevé une concurrence et apporté un préjudice au débit de l'ouvrage original, il aurait violé les droits de l'auteur, et prendrait le caractère d'une véritable contrefaçon.

Cette distinction a été posée par M. Daniels dans des conclusions prises devant la Cour de cassation : « Toutes les fois que le plagiat ne fait aucun tort à la propriété de l'auteur, que le second ouvrage ne peut, sous ce rapport, faire aucun préjudice au débit du premier, la question du simple plagiat n'est plus du ressort des tribunaux. Mais lorsqu'on a pillé l'ouvrage d'un auteur et que cette entreprise fait réellement tort à sa propriété, c'est à raison de ce préjudice que le plagiat prend le caractère de la contrefaçon défendue par la loi 1. » La Cour de cassation n'a fait que confirmer cette distinction par un arrêt rendu sur ces conclusions, et portant « que s'il a été déclaré en fait, par la Cour de Paris, que des fragments de quelques articles du Dictionnaire universel avaient été copiés par aucuns des rédacteurs de la Biographie universelle, il ne suit pas de cette déclaration qu'il y ait eu édition d'un ouvrage imprimé, en entier ou en partie, au mépris des lois et des règlements relatifs à la propriété des auteurs; que dès lors, en jugeant qu'il n'y avait pas contrefaçon et en renvoyant les prévenus de la plainte, cette Cour n'a pas violé la loi du 19 juillet 1793, ni l'art. 425 du Code pénal 2. »

2468. La reproduction est entière ou partielle.

La reproduction entière consiste dans la réimpression identique d'un écrit, dans la copie pure et simple d'un ouvrage quelconque. Cette reproduction était la seule qui eût le caractère d'une contrefaçon sous notre ancienne législation, au moins jusqu'à l'arrêt du conseil du 30 août 1777. Il ne peut,

1 Merlin, Rép. de jurisp., vo Plagiat, n. 2.

2 Cass., 3 juill. 1812, Devill. et Car.,4.413; Rép., ibid., n. 2; Dall., ibid., n. 339.

dans ce cas, s'élever que peu de difficultés constater une reproduction identique, c'est évidemment, sauf les questions de propriété et de bonne foi, constater le délit. Ainsi il n'y a point lieu de distinguer si le contrefacteur a accompagné l'écrit qu'il reproduit de notes ou de commentaires, car ces additions n'altèrent nullement l'identité du texte. Il est également indifférent que l'écrit original ait été contrefait isolément ou ait été réimprimé avec d'autres écrits non contrefaits, car cette circonstance ne change rien au caractère et aux effets de la reproduction. Ainsi la Cour de cassation a jugé que le contrefacteur qui renferme dans son édition un ouvrage appartenant à autrui, avec un autre plus considérable qu'il avait le droit de réimprimer, commet le délit de contrefaçon 2.

2469. La reproduction partielle donne lieu à plus de difficultés; car il est impossible de poser avec précision la limite où les citations et les emprunts peuvent prendre le caractère d'une reproduction, et où cette reproduction acquiert assez d'importance pour porter préjudice à l'auteur.

:

Les citations ne constituent point en général une reproduction punissable. Il est nécessaire, en effet, que l'écrivain d'un sujet quelconque cite les auteurs qui ont écrit sur la même matière, soit pour réfuter leurs opinions, soit pour appuyer les siennes. Il serait impossible de développer une discussion, ou de constater la marche et les progrès d'une science, si ce droit était contesté. Les citations, d'ailleurs, attestent la bonne foi de celui qui les fait le contrefacteur pille et ne cite pas. Il faudrait toutefois excepter le cas où la citation, par son étendue, serait une véritable reproduction déguisée. Ainsi le critique qui, en annonçant qu'il veut examiner un livre, commencerait par le reproduire et le ferait suivre de ses observations, ne ferait pas une simple citation, mais bien une reproduction préjudiciable 3. Ainsi l'auteur qui publierait mensuellement sur les questions les plus importantes du droit des fragments de divers ouvrages, en annonçant que sa publication devra tenir

1 Merlin, Quest. de dr., vo Contrefaçon, § 4.

2 Cass., 4 sept. 1812, Devill. et Car., 4.185; Pal.10.712; Dall., n. 488. 5 Arr. Paris, 13 juill. 1830, Devill. et Car., 30.2.211; Dall., n. 338.

lieu, un jour donné, des ouvrages copiés furtivement, commettrait un délit de contrefaçon.

2470. Les emprunts emportent avec eux une présomption moins favorable. La citation, en effet, est publiquement avouée et est exempte de tout déguisement; l'emprunt n'indique pas la source où il puise, et cherche même à se déguiser. S'il est de peu d'importance, relativement à l'ouvrage où il a été pris, on ne doit pas le considérer comme une reproduction partielle de cet ouvrage, puisqu'il n'entraîne aucun préjudice appréciable. Ainsi l'emprunt fait à un recueil de poésies d'une seule pièce ne serait point une reproduction partielle de ce recueil. Mais dès que les extraits prennent assez d'étendue pour produire quelque préjudice au débit de l'ouvrage, ils peuvent devenir la base d'une action en contrefaçon. Il en doit être ainsi surtout s'ils sont multipliés, s'ils ont servi de canevas à un ouvrage du même genre, et si le contrefacteur a cherché à les celer en les déguisant1. Cette sorte de distinction, qui n'est qu'une appréciation de fait, entre les emprunts qui ont le caractère d'une reproduction partielle, et ceux qui n'ont aucun caractère préjudiciable, se trouve consacrée dans un arrêt qui porte « que l'arrêt attaqué s'est déterminé, pour écarter l'action du demandeur, sur ce que, si l'on trouvait dans l'écrit incriminé la reproduction sous une forme nouvelle de quelques idées émises par le demandeur dans un ouvrage antérieur, ces emprunts n'étaient ni assez nombreux ni assez importants pour constituer le délit de contrefaçon; que l'arrêt n'a pas jugé par là que la contrefaçon partielle n'était pas punissable, ce qui eût été contraire au texte même de l'art. 425; qu'il n'a pas jugé non plus qu'il fût licite de s'emparer des idées d'un auteur, pourvu qu'on les revêtit d'une forme nouvelle; mais que, partant d'un principe certain, à savoir, que les emprunts faits à l'ouvrage d'autrui peuvent être trop peu considérables pour porter atteinte à la propriété de l'auteur et pour constituer le délit de contrefaçon, il a apprécié en fait le caractère légal des emprunts faits dans l'espèce à l'ouvrage du demandeur; que cette appréciation rentrait dans les attributions de la Cour

1 Cass., 23 flor. an xi, Devill. et Car., 1.371.

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