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aut quatuor? turba utique non erit. Il faut donc, au moins, qu'il y ait un rassemblement de cinq individus pour constituer la réunion séditieuse, c'est-à-dire, qu'un nombre égal d'individus ait pris part au pillage ou dégât1.

La Cour de cassation n'a point adopté cette doctrine; elle a déclaré : « que l'art. 440 n'a point déterminé le nombre d'individus dont le rassemblement doit avoir été composé pour constituer la réunion ou bande dont il parle; mais que, ce crime rentrant par sa nature et son objet dans la classe de ceux qui compromettent la sûreté publique, il faut entendre et interpréter cet article suivant les principes établis dans les art. 211 et 212; que, d'après la combinaison de ces derniers, la rébellion est qualifiée ainsi, lorsqu'elle a été commise par une réunion armée de trois personnes au plus; qu'il suffit donc que le pillage ou dégât ait été commis à force ouverte, par une réunion ou bande composée de trois personnes, pour que les accusés qui en sont déclarés coupables soient passibles des peines prononcées par ledit art. 440 2. >>

2592. Ni l'une ni l'autre de ces deux interprétations n'est complétement satisfaisante. Il est, d'abord, évident que la règle proposée par Carnot est purement arbitraire; elle ne s'appuie sur aucun texte de notre législation, sur aucune analogie ; et il est même douteux que la loi romaine qu'il cite puisse être invoquée dans notre hypothèse : car le mot turba, que cette loi définit, signifie plutôt un attroupement qu'une simple réunion; et il ne s'agit point ici d'un attroupement qui suppose au moins quinze personnes, suivant la loi du 3 août 1791, ou vingt, suivant les rédacteurs du Code pénal3; il s'agit d'une réunion, et les caractères de ces deux rassemblements sont, ainsi qu'on l'a vu plus haut, entièrement distincts. Le système de la Cour de cassation peut être également critiqué. Les art. 210, 211 et 212, auxquels elle recourt, n'ont prévu que les faits d'attaque ou de résistance avec violence envers les agents de la force publique; les règles établies par ces articles sont

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2 Cass., 5 avril 1832, J.P., 3° éd., 24.939; Devill. et Car., 32.1.719; Dall., yo Dom. destr., n. 219.

3 V. notre tome 3, n. 821 et suiv.

donc spéciales pour la matière dont ils s'occupent, et doivent être renfermées dans leurs termes. Ensuite, ils ont gradué la peine, qui est l'emprisonnement, la reclusion et les travaux forcés, suivant que la rébellion est commise par une ou deux personnes, par trois jusqu'à vingt, par plus de vingt. Or quelle est celle de ces réunions que prévoit l'art. 440? Pourquoi prendre l'une plutôt que l'autre? Si la gravité de la peine doit servir de point de comparaison, ne faudrait-il pas décider, comme l'a fait l'art. 212, que les réunions de plus de vingt personnes sont seules passibles de la peine des travaux forcés; que, par conséquent, l'art. 440 n'a voulu parler que de ces réunions? Néanmoins, et malgré ces objections, nous croyons que c'est à cette dernière opinion qu'il faut se ranger. La loi est complétement muette, et cependant il faut une règle; cette règle doit donc être empruntée aux dispositions du Code qui ont le plus d'analogie avec l'hypothèse prévue par l'art. 440. Or, s'il s'agit dans les art. 211 et 212 d'une rébellion faite par une réunion d'individus contre les agents de la force publique, l'art. 440 prévoit aussi une sorte de rébellion employée par une réunion d'individus pour faciliter l'exécution d'un crime. Il existe donc entre ces deux cas une assez grande analogie, sinon dans le but que se proposent les agents, du moins dans les moyens qu'ils emploient pour l'atteindre; il est donc naturel de les soumettre aux mêmes règles. Or, les réunions nécessaires pour constituer un acte de rébellion sont de trois sortes: de moins de trois personnes, de trois jusqu'à vingt, et de plus de vingt. Les réunions de plus de vingt personnes sont, d'après les paroles mêmes du législateur, des attroupements plutôt que des réunions; celles de moins de trois personnes seraient trop peu graves pour motiver la peine des travaux forcés à temps. Il faut donc prendre comme base des réunions la règle fixée par l'art. 211, le nombre de trois personnes au moins. On objecte la peine portée par l'art. 210, lequel ne s'applique qu'aux réunions de plus de vingt personnes; mais il faut prendre garde que le crime prévu par l'art. 440 n'est pas une simple rébellion, comme dans l'art. 211, mais une rébellion servant de moyen d'exécution à un autre crime; le législateur a donc pu porter dans ce dernier cas une peine plus grave. En résumé, l'ana

logie que fournit l'art. 211 n'est point parfaite; mais, de toutes les dispositions du Code, cet article offre le plus de rapport avec l'espèce de l'art. 440. Il semble donc, puisqu'une règle est nécessaire, qu'il convient de lui emprunter la disposition qui fixe à trois le minimum du nombre des individus essentiel pour constituer une réunion,

2593. La même difficulté se présente en ce qui concerne les bandes, mais elle n'a peut-être pas la même importance. Il faut, d'abord, écarter ici l'application par analogie des art. 210, 211 et 212. L'hypothèse, en effet, n'est plus la même; il ne s'agit dans ces articles que de réunions soudaines et éphémères qui se forment tout à coup sans concert préalable, et se dissolvent aussitôt. Or, ces réunions ne peuvent être assimilées à des bandes : le signe distinctif de la bande, c'est l'organisation; elle suppose un chef qui la dirige, une certaine discipline, un concert, un but. Les réunions et les bandes diffèrent en ce point, que les premières prennent leur gravité dans le nombre des individus qui les composent, et les autres dans le lien qui réunit ces individus. Le nombre des membres d'une bande est donc moins important à constater que celui des membres d'une réunion; le caractère de la réunion dépend de ce nombre, le caractère de la bande dépend de son organisation. C'est par ce motif que nous avons décidé précédemment, en nous occupant, d'abord, des bandes séditieuses', ensuite des bandes de malfaiteurs, qu'aucune règle positive ne doit être posée, même par voie d'analogie, sur le nombre d'individus dont une bande doit être composée, parce que ce nombre rentre dans la question de l'organisation même des bandes; nous n'avons aucune raison de modifier ici ce principe. La bande dont s'occupe l'art. 440 suppose plusieurs individus, et assurément au moins trois; mais il est impossible d'assigner le nombre dont ce minimum doit se composer. Nous avons dit que le caractère particulier d'une bande, c'est l'organisation : il ne s'agit pas toutefois dans l'art. 440 d'une organisation régulière, ni même d'une véritable association des membres entre eux. Cette asso

1 V. notre tome 2, n. 390.

V. notre tome 3, n. 951.

ciation, qui est l'un des éléments du crime dans les hypothèses prévues par les art. 96, 97 et 265, n'est plus nécessaire dans celle que prévoit l'art. 440. L'association suppose un règlement arrêté à l'avance, soit pour la participation de chacun des associés à l'action, soit pour le partage des produits. Cette convention est inutile dans l'espèce de ce dernier article, puisqu'il ne s'agit pas d'une bande organisée pour commettre des crimes en général, mais dans le but de commettre un seul crime, un seul pillage. Il suffit donc que les individus qui la composent soient réunis même accidentellement pour la perpétration de ce pillage.

2594. Le dernier élément du crime est que le pillage ait été commis à force ouverte. La force ouverte suppose non-seulement la violence, mais l'emploi public et flagrant de cette violence. C'est cette circonstance qui imprimne à l'action le caractère du pillage; si elle n'existait pas, il ne resterait qu'un vol commis de complicité.

Il suit de là qu'elle doit être caractérisée dans les termes les plus explicites. Plusieurs individus avaient été renvoyés devant la Cour d'assises par la Chambre d'accusation, comme accusés d'avoir pillé à main armée, en réunion de malfaiteurs, etc. Le procureur général, en rédigeant l'acte d'accusation, fit porter l'accusation sur le fait d'avoir volontairement pillé des armes et des vivres, en réunion et à force ouverte. Un pourvoi fut fondé sur ce que le procureur général avait substitué une accusation nouvelle à la première. La Cour de cassation l'a rejeté «< attendu que l'arrêt de la Chambre d'accusation, en déclarant qu'il y avait lieu d'accuser Guignard d'avoir volé et pillé à main armée, en réunion de malfaiteurs armés, dans des maisons habitées, comprenait évidemment le fait d'avoir pillé des objets mobiliers, en réunion ou bande, et à force ouverte; que le ministère public, en rédigeant l'acte d'accusation dans les termes de l'art. 440, ne s'est point écarté de l'arrêt de renvoi, et n'a point substitué une accusation à une autre1. » Il ne faut point inférer de cette décision que, dans l'opinion de la

1 Cass., 12 avril 1833, Bull. n. 132; Devill. et Car., 33.1.715; Journ. du dr. crim., t. 5, p. 105; Dall., v° Dom. destr., n. 211.

TOME VI.

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Cour, les mots à main armée soient équivalents des mots à force ouverte. Il ne s'agissait point d'un verdict de culpabilité, ni, par conséquent, de prendre ces termes pour base de la peine, il s'agissait seulement de la position des termes de l'accusation; l'accusation soumise au jury se trouvait implicitement contenue dans la première. Le jury avait formellement déclaré la circonstance de la force ouverte; la Cour de cassation a dû déclarer, comme elle l'a fait, que la peine avait une base légale. Mais cette décision n'aurait pas été la même, si la substitution des mots à main armée aux mots à force ouverte avait eu lieu dans la question posée au jury: car les auteurs d'un vol peuvent être porteurs d'armes, et n'exercer cependant aucun acte de force ou de violence; ils peuvent commettre l'action à main armée, sans la commettre à force ouverte : cette dernière expression suppose l'emploi de la force; la première ne suppose pas l'usage des armes. Il serait donc impossible de considérer ces expressions comme équivalentes les unes des autres.

2595. Il résulte de ce qui précède que le pillage ou le dégât de marchandises ne peut constituer un crime qu'autant qu'au fait de pillage ou de dégât se joignent les circonstances de réunion ou de bande et de force ouverte; il est donc nécessaire que ces circonstances soient formellement constatées par le jury. Aussi la Cour de cassation a annulé des condamnations qui s'appuyaient sur des déclarations dans lesquelles l'une ou l'autre de ces circonstances avait été omise : « attendu que le pillage ou le dégât de denrées ou marchandises auxquels l'article 440 attache le caractère de crime, sont ceux qui se commettent en réunion ou bande, et à force ouverte; que les circonstances de la réunion ou bande et de la force ouverte doivent nécessairement avoir accompagné le pillage pour qu'il ait le caractère de crime 1. >>>

Si ces circonstances n'étaient pas constatées, le fait ne constituerait plus qu'un simple vol, s'il s'agit d'une accusation de pillage; et qu'un dommage volontaire causé aux propriétés

1 Cass., 27 oct. 1815, Bull. n. 60; Dev. et Car., 5.105; Dall., v° Complice, n. 105; et 8 mars 1816, Bull. n. 12; Dev. et Car., 5.164; Dall., v° Dom., destr. n. 212.

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