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d'appel et ne peut être revisée par la Cour de cassation'.

2471: Est-ce reproduire partiellement un livre que d'en publier l'abrégé? Il peut exister deux sortes d'abrégés : l'un qui reproduit l'ouvrage original en conservant son plan, ses idées, même son style, et en éloignant seulement des détails inutiles; l'autre qui résume seulement la substance du livre sans conserver ni le plan ni le style. Dans le premier cas, la contrefaçon est évidente: l'abréviateur s'empare des travaux de l'auteur pour lui susciter une concurrence redoutable, car son abrégé, plus court et à moindre prix, peut remplacer dans le commerce l'œuvre originale et en paralyser la vente2. Mais la question est plus difficile si l'abrégé n'a fait que prendre la substance du livre, s'il constitue lui-même un ouvrage consciencieux, un travail original, s'il a mêlé aux idées de l'auteur quelques idées qui les altèrent ou les modifient, s'il a revêtu un autre plan, une autre forme, un autre titre. Néanmoins nous serions porté à admettre en ce cas une action en contrefaçon, parce qu'il serait trop difficile d'apprécier si l'abrégé n'est qu'un extrait fidèle de l'ouvrage original, ou s'il n'a fait qu'y puiser sans le calquer servilement; s'il s'est emparé de toute sa substance et de toute sa vie, ou s'il n'a fait que résumer les matières qu'il traite, sans prétendre prendre sa place et supprimer ses développements; enfin s'il a pu causer un préjudice à la vente de l'ouvrage, ou bien s'il a servi, au contraire, à le faire connaître et à le répandre.

2472. Après avoir signalé les caractères de la reproduction, il faut indiquer les moyens par lesquels elle s'opère. L'art. 2 de la loi du 19 juillet 1793 et l'art. 425 du Code pénal semblent ne qualifier contrefaçons que les reproductions faites par l'impression et la gravure. Faut-il induire de ces termes que ces deux modes de reproduction puissent seuls constituer une contrefaçon, et que tout autre mode soit licite ?

Cette interprétation serait évidemment contraire à la loi;

1 Cass., 24 mai 1845, Bull. n. 108; Dev.45.1.767; Dall.45.1.272. 2 M. Renouard, Traité des droits d'auteur, t. 2, p. 30.

elle aurait, en effet, pour première conséquence que les ouvrages de sculpture seraient dépourvus de toute garantie légale, car ces ouvrages sont principalement contrefaits par le contre-moulage et la copie; et ces moyens de reproduction sont en dehors des termes de la loi : or, comment supposer que la loi ait voulu faire une pareille exception, quand elle étend sa protection non-seulement aux écrits, aux œuvres musicales, au dessin, à la peinture, mais à toute autre production, et quand ces derniers termes sont expliqués par l'art. 7 de la loi du 19 juillet 1793, qui ajoute : « Toute autre production de l'esprit ou du génie qui appartient aux beaux-arts. » Les ouvrages de sculpture sont donc compris dans la disposition de l'art. 425, bien qu'il ne mentionne que les ouvrages imprimés ou gravés ; on en trouve d'ailleurs une preuve évidente dans l'art. 427, qui s'est nécessairement référé aux ouvrages de sculpture lorsqu'il a ordonné la confiscation des moules. Cette interprétation est confirmée par un arrêt qui déclare : « que si l'art. 1er de la loi du 19 juillet 1793 ne dénomme pas les sculpteurs parmi les auteurs au profit desquels il garantit la propriété exclusive de leurs œuvres pendant leur vie, cet article doit être interprété et expliqué d'abord par les raisons d'analogie qui ne militent pas moins en faveur de la protection due aux produits de la sculpture que de celle des ouvrages de peinture et de dessin; puis par sa combinaison : 1° avec l'art. 3 qui, après avoir répété l'énumération des auteurs, compositeurs, peintres ou dessinateurs, comprise en l'art. 1, exprime suffisamment, par l'addition des mots et autres, la pensée que l'art. 1o n'est qu'énonciatif, et que ses effets doivent être étendus à d'autres artistes que ceux qui y sont nominativement désignés; 2° avec l'art. 7, qui reconnaît le même droit de propriété exclusive pendant dix années aux héritiers de l'auteur d'un ouvrage de littérature, de gravure ou de toute autre production de l'esprit ou du génie appartenant aux beaux-arts, ce qui s'étend nécessairement aux productions de la sculpture, et ce qui présuppose à fortiori la préexistence du même droit au profit de l'auteur de son vivant; que cette interprétation se trouve en outre corroborée par la généralité des termes de l'art. 425 et par la disposition de l'art. 427,

qui ordonne la confiscation des moules servant à la contrefaçon1. 2473. La même lacune atteindrait les ouvrages de peinture. La copie à la main d'un tableau pour la répandre dans le commerce est assurément une contrefaçon; il en est de même de la reproduction soit d'une gravure, soit d'un tableau, par les procédés de la lithographie ou de la lithochromie. En effet, l'art. 1er de la loi du 19 juillet 1793 accorde aux auteurs un droit exclusif sur leurs ouvrages, et l'art. 425 punit toute reproduction, au préjudice de ce droit, d'une peinture ou d'un dessin. Cependant, si l'on se renfermait rigoureusement dans les termes de ce dernier article, il faudrait déclarer que dans ces deux hypothèses le délit n'existe pas; car la lithographie, la lithochromie et la copie à la main ne peuvent être considérées ni comme des impressions, ni comme des gravures.

Enfin l'impression lithographique, l'autographie et l'écriture peuvent suppléer l'impression; elles peuvent opérer la même reproduction, et dans certains cas porter le même préjudice. L'emploi de ces procédés placera-t-il cependant la contrefaçon à l'abri de toute répression, parce que la loi ne les a pas énumérés? S'ils ont été les instruments d'un dommage réel, protégeront-ils l'auteur de ce dommage?

Nous ne pouvons admettre que le délit dépende de la nature de l'instrument employé pour le commettre; cet instrument n'est point un élément du délit; la culpabilité du contrefacteur n'est pas plus grande parce qu'il a fait choix de tel ou tel procédé. Le principe de cette culpabilité est dans le fait même de la reproduction; les moyens employés pour y parvenir sont indifférents. Cette reproduction, qui est le seul objet de l'incrimination, le seul élément du délit, il importe peu qu'elle ait été faite de telle ou telle manière; il suffit qu'elle ait été faite, et qu'elle ait pu causer quelque préjudice à l'auteur. Il nous paraît donc certain que l'énumération des moyens de reproduction énoncés dans l'art. 425 est plutôt démonstrative que limitative 2.

1 Cass., 21 juill. 1855, Bull. n. 260; Devill. et Car., 55.1.859; Journ. du Pal., 56.2.375; Dall.55.1.335.

V. dans ce sens M. Renouard, Traité des droits d'auteur, p. 79; Gastambide, Traité des contrefaçons, p. 204.

2474. Ces expressions imprimées ou gravées, qui se trouvent dans l'art. 425, donnent lieu à une autre question: faut-il en conclure que le fait de la fabrication suffit à lui seul, et indépendamment de toute mise en vente, pour constituer la contrefaçon? La Cour de cassation a jugé l'affirmative dans une espèce où les feuilles d'une édition contrefaite avaient été saisies avant que l'impression eût été terminée. Le pourvoi formé par le prévenu contre le jugement qui l'avait condamné fut rejeté, « attendu qu'il n'y a pas simple tentative dans le fait dont il s'agit, mais contrefaçon réelle, puisque des feuilles imprimées et contrefaites ont été saisies1. » Cette décision nous semble fondée. D'après les termes de l'art. 425, ce n'est pas la publicité, mais le seul fait de l'impression des écrits ou de la gravure contrefaits qui forme la condition du délit. La loi, en effet, eût été illusoire, si la publicité de l'édition contrefaite eût seule constitué le délit, puisqu'il eût fallu attendre cette publicité pour saisir, et que le contrefacteur aurait toujours pu faire disparaître les exemplaires contrefaits. A la vérité, tant que l'édition n'est pas mise en vente, l'auteur n'a éprouvé aucun préjudice; mais, ainsi que l'a fait remarquer M. Renouard, <«< ce n'est pas seulement sur le préjudice déjà éprouvé, c'est aussi sur le préjudice possible que doit s'étendre la garantie assurée au privilége. Si l'on s'en tenait à la réparation du préjudice déjà causé effectivement, il faudrait donc, quand une édition contrefaite est saisie, n'accorder de réparations qu'eu égard au nombre d'exemplaires qui auraient été réellement vendus; ce serait éluder la loi et presque consacrer l'impunité. Le caractère de contrefaçon s'attache à toute fabrication illicite, de manière à porter préjudice à l'exploitation vénale de l'auteur, et à troubler cette exploitation par des risques dont la loi a expressément voulu la garantir . » Si les feuilles n'étaient pas encore imprimées ou gravées, le fait d'une reproduction partielle n'existant pas, les préparatifs ne constituent tout au plus qu'une simple tentative qui échapperait à toute répression, puisque la tentative d'un délit n'est punissable qu'autant qu'elle a été expressément prévue par la loi.

1 Cass., 2 juill. 1807, Devill. et Car., 2.407; Dall., v° Propr. litt., n. 366. 2 Traité des droits d'auteur, t. 2, p. 51.

2475. Nous avons analysé les principaux caractères de la reproduction ce n'est là que l'un des éléments du délit de contrefaçon. Le deuxième élément de ce délit est le préjudice réel ou possible produit par cette reproduction.

Ce préjudice prend sa source dans la violation des droits de

l'auteur.

Ces droits furent pendant longtemps établis d'une manière assez obscure dans l'ancienne législation. Les défenses d'imprimer aucun livre nouveau sans permission remontent à l'époque où l'imprimerie commença à prendre son essor et à multiplier les livres. Les permissions étaient d'abord indistinctement délivrées par le roi, le parlement et l'université. Une ordonnance du 17 mars 1539 porte: « Voulons que aucuns livres nouveaux ne soient imprimés sans permission de nous ou de justice. » L'ordonnance de Moulins de février 1566 ajoute aux permissions les lettres de privilége, et consacre un usage qui s'était peu à peu introduit : « Défendons à toutes personnes d'imprimer ou faire imprimer aucun livre ou traité sans notre congé et permission et lettres de privilége expédiées sous notre grand scel (art. 78). » On doit distinguer dans cette disposition souvent renouvelée les permissions et priviléges. Les permissions avaient pour but de prévenir les écarts de la presse; elles supposaient la censure; elles proclamaient l'examen, la surveillance, la prohibition. Les priviléges accordaient, sous la forme d'une concession aux auteurs, ou plus souvent aux libraires, la jouissance exclusive des ouvrages qu'ils avaient composés, ou qu'ils voulaient éditer. Ces priviléges étaient les seuls titres de la propriété. Ainsi l'art. 33 du règlement de 1618, l'arrêt du conseil du 20 décembre 1649, l'art. 65 du titre 14 du règlement général de 1686, et l'article 109 du règlement du 28 février 1723, portent à peu près dans les mêmes termes : « Défendons à tous imprimeurs ou libraires de contrefaire les livres pour lesquels il aura été accordé des priviléges ou continuation de priviléges, de vendre ou débiter ceux qui seront contrefaits, sous les peines portées par lesdits priviléges, lesquelles peines ne pourront être diminuées ni modérées par les juges. » Au reste, toutes les permissions n'étaient pas accompagnées de priviléges les livres

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