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imprimés sans privilége pouvaient être réimprimés par tous les libraires.

Cette législation fut modifiée par les arrêts du conseil du 30 août 1777. Jusque-là toutes les lois avaient plutôt supposé la propriété des auteurs qu'elles ne l'avaient consacrée; les priviléges étaient des actes de faveur, et leur continuation une pure tolérance. Les arrêts de règlements consacrent la propriété à perpétuité des auteurs; mais la condition de cette propriété est qu'ils ne cèdent pas l'ouvrage, soit eux-mêmes, soit leurs héritiers et ayants cause; s'ils se sont dessaisis de leurs priviléges par une cession, le fait de cette cession réduit le privilége à la durée de la vie de l'auteur. Si le privilége était accordé à un imprimeur ou à un libraire, il durait pendant toute la vie de l'auteur, ou, s'il était décédé, jusqu'au terme fixé par le privilége, terme qui ne pouvait être moindre de dix ans. A l'expiration des priviléges, tous les ouvrages tombaient dans le domaine public. Les possesseurs ou cessionnaires des priviléges avaient le droit de plainte, de recherche et de saisie.

2476. Telle fut la législation jusqu'aux décrets d'août 1789, qui abolirent tous les priviléges et proclamèrent la liberté de la presse. Les droits des auteurs demeurèrent sans protection et sans garantie, parce qu'on avait placé un droit sacré de propriété sous la protection d'une forme privilégiée; la loi du 19 juillet 1793 restreignit ces droits dans des bornes fort étroites, au lieu de les déclarer illimités comme tous les autres. Les art. 1, 2 et 7 de cette loi sont ainsi conçus : « Art. 1o. Les auteurs d'écrits en tous genres, les compositeurs de musique, les peintres et dessinateurs qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront, durant leur vie entière, du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la république, et d'en céder la propriété en tout ou en partie. Art. 2. Leurs héritiers ou cessionnaires jouiront du même droit durant l'espace de dix ans après la mort des auteurs. Art. 7. Les héritiers de l'auteur d'un ouvrage de littérature ou de gravure, ou de toute autre production de l'esprit ou du génie qui appartient aux beaux-arts, en auront la propriété exclusive pendant dix années. »

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Le décret du 5 février 1810 renouvela et modifia en ces

TOME VI.

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termes quelques-unes de ces dispositions : « Art. 39. Le droit de propriété est garanti à l'auteur et à sa veuve pendant leur vie, si les conventions matrimoniales de celle-ci lui en donnent le droit, et à leurs enfants pendant vingt ans. Art. 40. Les auteurs, soit nationaux, soit étrangers, de tout ouvrage imprimé ou gravé, peuvent céder leur droit à un imprimeur ou libraire ou toute autre personne, qui est alors substituée en leur lieu et place, pour eux et leurs ayants cause. »

Il faut ajouter à ces dispositions le décret du 1er germinal an xui, qui assimile les ouvrages posthumes aux ouvrages des auteurs vivants: « Les propriétaires par succession ou à un autre titre d'un ouvrage posthume ont les mêmes droits que l'auteur, et les dispositions des lois sur la propriété exclusive des auteurs et sur sa durée leur sont applicables, toutefois à la charge d'imprimer séparément les ouvrages posthumes, et sans les joindre à une nouvelle édition des ouvrages déjà publiés et devenus propriété publique ; » l'art. 12 du décret du 8 juin 1806, qui applique la même disposition aux auteurs d'ouvrages dramatiques « Les propriétaires d'ouvrages dramatiques posthumes ont les mêmes droits que l'auteur, et les dispositions sur la propriété des auteurs et sur sa durée leur sont applicables; » enfin le décret du 7 germinal an XIII, concernant l'impression des livres d'église, des heures et prières : « Les livres d'église, les heures et prières, ne pourront être imprimés ou réimprimés que d'après la permission donnée par les évêques diocésains. Art. 2. Les imprimeurs-libraires qui feraient. imprimer, réimprimer des livres d'église, des heures ou prières, sans avoir obtenu cette permission, seront poursuivis conformément à la loi du 19 juillet 1793. »

2477. Il faut ajouter encore la loi du 3 août 1844, qui porte «Les veuves et les enfants des auteurs d'ouvrages dramatiques auront à l'avenir le droit d'en autoriser la représentation et d'en conférer la jouissance, conformément aux dispositions des art. 39 et 40 du décret du 5 février 1810; »- le décret du 28 mars 1852, qui est ainsi conçu « Art. 1er. La contrefaçon, sur le territoire français, d'ouvrages publiés à l'étranger et mentionnés en l'art. 425, Cod. pén., constitue un délit.— Art. 2. Il en est de même du débit, de l'exportation et

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de l'expédition des ouvrages contrefaits. L'exportation et l'expédition de ces ouvrages sont un délit de la même espèce que l'introduction, sur le territoire français, d'ouvrages qui, après avoir été imprimés en France, ont été contrefaits chez l'étranger. Art. 3. Les délits prévus par les articles précédents seront réprimés conformément aux art. 427 et 429, Cod. pén. L'art. 463 du même Code pourra être appliqué. Art. 4. Néanmoins, la poursuite ne sera admise que sous l'accomplissement des conditions exigées relativement aux ouvrages publiés en France, notamment par l'art. 6 de la loi du 19 juillet 1793; » — la loi du 8 avril 1854, qui porte : « Les veuves des auteurs, des compositeurs et des artistes jouiront, pendant toute leur vie, des droits garantis par les lois des 13 janvier 1791 et 19 juillet 1793, le décret du 5 février 1810, la loi du 3 août 1844 et les autres lois ou décrets sur la matière. La durée de la jouissance accordée aux enfants par ces mêmes lois et décrets est portée à trente ans, à partir soit du décès de l'auteur, compositeur ou artiste, soit de l'extinction des droits de la veuve. >>

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2478. Tels sont les lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, auxquels se réfère l'art. 425 du Code pénal.

Ces lois et ces règlements établissent les droits des auteurs sur leurs ouvrages. Nous n'avons à nous occuper ici ni de la nature ni de l'étendue de ces droits, ni des règles relatives à leur transmission; nous rechercherons seulement à quelles œuvres de l'esprit ils peuvent s'appliquer.

La loi étend en premier lieu sa garantie aux écrits de tous genres ce sont les termes de l'art. 1er de la loi du 19 juillet 1793. Le premier corollaire de cette règle est que tous les écrits, quels que soient leur valeur relative, leur inégal mérite, leur utilité différente, obtiennent la même protection, sont placés sur la même ligne. Un autre corollaire est que tous les écrits, même les plus humbles et les plus infimes, peuvent invoquer cette garantie.

Ainsi les compilations, lorsqu'elles sont faites avec des ouvrages qui appartiennent au domaine public, peuvent être l'objet d'une propriété privée, si elles dénotent une conception de l'esprit, un labeur véritable, une création. Telle est la déci

sion de la Cour de cassation, fondée sur ce que « la loi du 19 juillet 1793 s'applique, d'après ses expressions littérales, aux auteurs d'écrits en tous genres; que si elle énonce particulièrement les ouvrages qui sont les fruits du génie, elle énonce aussi expressément les productions de l'esprit ; qu'elle s'étend donc aux recueils, aux compilations et autres ouvrages de cette nature, lorsque ces ouvrages ont exigé dans leur exécution le discernement du goût, le choix de la science, le travail de l'esprit; lorsqu'en un mot, loin d'être la simple copie d'un ou de plusieurs autres ouvrages, ils ont été tout à la fois le produit de conceptions étrangères à l'auteur, et de conceptions qui lui ont été propres, et d'après lesquelles l'ouvrage a pris une forme nouvelle et un caractère nouveau 1. >>>

C'est d'après ce principe qu'il a été décidé que les frères Michaud avaient un droit exclusif sur les articles de la Biographie universelle, « attendu qu'il résulte des motifs de l'arrêt attaqué que les frères Michaud ont conçu le projet d'un nouveau dictionnaire biographique, qu'ils ont rassemblé des matériaux et traité avec des savants et des gens de lettres, qu'ils ont contrôlé ou fait contrôler les articles ou notices composés pour cet ouvrage; que l'arrêt a ainsi reconnu et constaté que la part prise par les frères Michaud à la création de la Biographie universelle, ouvrage collectif destiné à présenter un vaste as'semblage de faits historiques et littéraires, comprenait tout à la fois la conception première de l'œuvre générale et son organisation, le choix des matériaux, la distribution des sujets aux savants et aux gens de lettres, enfin le contrôle sur tous les travaux partiels, pour les combiner dans l'ensemble et les adapter au but commun; que ces faits doivent faire attribuer aux frères Michaud une part essentielle à la création de la Biographie; que le travail de l'esprit s'y trouve joint à l'entreprise de cette œuvre collective; que cette participation dépasse le rôle d'un simple éditeur, et qu'elle comporte nécessairement avec elle la qualité d'auteurs de l'ensemble et de coauteurs des différentes parties de la Biographie, dans leur rapport avec l'ensemble 2. >>

1 Cass., 2 déc. 1814, Bull. n. 42; Devill. et Car., 4.636; Dall., n. 88. 2 Cass. 16 juill, 1853, Bull. n. 360; Dev.53.1.545; P.53.2.101; Dall.53.1.309

2479. La même distinction s'applique, ainsi que nous l'avons établi plus haut, aux abrégés, parce que l'abréviation d'un ouvrage peut, par la composition et l'ordonnance des matières, le choix et la nature des extraits, faire un acte de création d'intelligence et d'industrie et constituer un droit de propriété 1.

Elle s'applique encore aux traductions. Une traduction est l'œuvre du traducteur, son travail propre, la création de son esprit. Sans doute, il n'a acquis aucun droit sur l'œuvre traduite; toute personne peut la traduire encore, de même que toute personne peut se servir des matériaux employés dans une compilation pour en faire une nouvelle sous un autre titre, et des livres d'une science pour les résumer dans un nouvel abrégé; mais nul ne peut copier la traduction même, parce qu'elle est la propriété privée du traducteur. Cette solution a été consacrée par la jurisprudence 2.

2480. La garantie s'étend également aux commentaires, notes et additions qui accompagnent le texte d'un livre tombé dans le domaine public, lorsque ces travaux constituent une véritable production de l'esprit et ajoutent par leur utilité au prix de l'ouvrage auquel ils s'appliquent. Ils ne donnent évidemment aucun droit sur l'ouvrage annoté ou commenté; mais ils forment par eux-mêmes un ouvrage susceptible d'un droit exclusif. La Cour de cassation avait jugé, en s'appuyant sur le règlement du 30 août 1777, que les augmentations faites à un ouvrage n'attribuaient un droit de propriété qu'autant qu'elles étaient du quart de l'ouvrage3, et cette décision a porté quelques arrêtistes à considérer comme une règle que les additions faites à un ouvrage qui appartient au domaine public, lorsqu'elles n'excèdent pas le quart de cet ouvrage, suivent le sort de la production principale ". M. Renouard a très-bien réfuté cette doctrine. Le règlement du 30 août 1777 ne pré

1 Jugem, du trib. de la Seine, 22 mars 1834, Gazette des tribunaux du 23. 2 Cass., 23 juill. 1824, Devill. et Car., 7.503; Dall., Jurisp. gén., vo Propriété littéraire, n. 91; Paris, 14 janv. 1830, Dall.33.1.133.

3 Cass., 23 oct. 1806, Rép., v° Contrefaçon, § 11; Dall., ibid., n. 96. Dalloz et Favard de Langlade, vo Propriété littéraire.

5 Traité des droits d'auteur, t. 2, p. 102.

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