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l'art. 16 de la loi de 1791; il ne peut donc être douteux que ce dernier article n'ait été abrogé implicitement par l'art. 457. La même matière a éte réglée par ces deux articles, la même hypothèse fait l'objet de leurs dispositions; la loi postérieure a donc abrogé la première. La Cour de cassation, qui d'abord avait paru hésiter sur ce point', l'a reconnu depuis dans les termes les plus explicites 3.

Mais la solution doit-elle être la même à l'égard de l'art. 15 du même Code? Cet article renferme deux dispositions prohibitives; la première défend à toute personne d'inonder l'héritage de son voisin; la seconde prohibe la transmission des eaux sur un fonds voisin même sans inondation, mais d'une manière nuisible or ni l'une ni l'autre de ces deux hypothèses ne rentre dans les termes de l'art. 457. Le Code pénal n'a point réglé d'une manière complète la matière des dommages causés par les eaux; il n'a prévu qu'un seul cas de dommage; comment aurait-il donc abrogé implicitement les dispositions de la législation antérieure, qui prévoit des cas différents? Non-seulement il n'y a pas ici contrariété de deux dispositions, mais il n'y pas deux dispositions sur la même matière. L'art. 15 de la loi de 1791 et l'art. 457 portent sur des objets tout à fait différents. Ces deux articles, loin de se détruire, se concilient au contraire parfaitement l'un avec l'autre; le premier a donc conservé toute sa force, et telle est aussi l'interprétation que la Cour de cassation a toujours maintenue 3.

3

Ainsi l'art. 15 de la loi du 28 septembre-6 octobre 1791 et l'art. 457 du Code pénal forment aujourd'hui la loi répressive des infractions commises en cette matière. Ces deux articles punissent l'un et l'autre l'inondation des propriétés d'autrui, mais ils la punissent produite par des moyens différents.

L'art. 15 comprend dans ses termes toute espèce d'inondation, hors l'inondation prévue par l'art. 457. Il ne recherche point les moyens employés pour la produire, il la punit quels

1 Cass., 23 janv. 1819, Devill. et Car., 6.8; J.P.15.29; Dall., v Dom. destr., n. 328.

Cass., 4 nov. 1824; Devill. et Car., 7.550; J.P.18.1078. 5 V. les deux arrêts ci-dessus cités.

qu'aient été ces moyens; il punit encore les dommages que peuvent causer des eaux même sans inondation, dans le cours qu'on leur a donné, ou dans un cours naturel auquel on aurait fait produire des effets nuisibles par des moyens quelconques. L'art. 457, restreint dans une seule hypothèse, ne punit l'inondation que lorsqu'elle est produite par l'élévation du déversoir des eaux des moulins, usines ou étangs, au-dessus de la hauteur fixée par le règlement.

2653. Nous allons analyser les éléments de ce dernier délit. L'art. 457 ne l'impute, en premier lieu, qu'aux propriétaires, fermiers ou toute autre personne jouissant de moulins, usines ou étangs. Il résulte de cette désignation que toutes les fois que l'inondation est causée par une personne qui a la jouissance d'un moulin, d'une usine ou d'un étang, l'infraction n'appartient plus à cet article, elle rentre dans les termes généraux de l'art. 15 de la loi de 1791 1.

Cette loi ne mentionnait, dans l'article abrogé par l'art. 457, que les propriétaires et fermiers des moulins et usines; le projet du Code avait reproduit ces termes. L'addition du mot étangs fut adoptée sur la proposition de la commission du Corps législatif. On lit dans le rapport de cette commission : « Cette addition est très-importante pour les pays où ce genre de propriétés est si nombreux, qu'elles occupent une grande partie du territoire. Souvent les fermiers des étangs, pour retenir une plus grande masse d'eau, exhaussent les seuils ou barre-graviers qui fixent le niveau, ou les surchargent par des pièces de bois, des batardeaux; il en résulte qu'ils inondent les fonds voisins et y causent des dégâts considérables'. »

Le fait matériel du délit consiste dans l'inondation des chemins et propriétés d'autrui. L'inondation est un fait facile à constater; mais il faut constater de plus que le terrain inondé appartenait à autrui ou constituait un chemin public. Si les eaux ont causé du dommage par leur cours, sans produire une inondation, le fait rentre dans les termes de la deuxième disposition de l'art. 15.

1 Cass., 22 fév. 1868, Bull. n. 54; Devill. et Car., 68.1.423; J.Pal.68. 1118; D.P.68.1.368.

2 Procès-verbal du Conseil d'État, séance du 18 janv. 1810.

2654. Mais l'inondation même constatée ne constitue le délit prévu par l'art. 457 qu'autant qu'elle a été produite par le moyen montionné par cet article, c'est-à-dire par l'élévation du déversoir des eaux au-dessus de la hauteur déterminée par l'autorité compétente.

Le droit de fixer la hauteur des eaux appartient à l'autorité administrative 1.

Maintenant deux hypothèses peuvent se présenter : ou l'inondation s'est produite avant que la hauteur du déversoir ait été fixée par l'autorité compétente, ou elle a lieu après cette fixation et nonobstant ses dispositions.

Lorsque la hauteur du déversoir n'a pas été fixée par l'autorité administrative, le fait de l'inondation est étranger à l'art. 457, puisque cet article ne punit l'inondation que lorsqu'elle est causée par l'infraction à l'arrêté administratif. L'article 15 du Code rural, qui punit toute espèce d'inondation, devient donc, dans ce cas, la seule disposition applicable : plusieurs arrêts ont sanctionné cette doctrine.

Ainsi, dans une espèce où l'inondation avait eu lieu par suite du débordement d'un étang, sans que la hauteur du déversoir. cût été fixée par l'autorité administrative, la Cour de cassation a jugé : « que le fait imputé au prévénu était d'avoir retenu les eaux de son étang à une hauteur telle qu'elles avaient par leur débordement inondé les champs environnants et y avaient causé des dommages; qu'il a été reconnu par le jugement dénommé que la hauteur du déversoir de cet étang n'avait été fixée par aucune autorité compétente; que, si ce fait ne rentrait pas ainsi dans l'application de l'art. 457 du Code pénal, il rentrait dans les dispositions prohibitives et pénales de l'art. 15, titre 2 de la loi du 28 septembre-6 octobre 1791 2. »

Dans une deuxième espèce, où la hauteur du déversoir n'avait également été fixée par aucun règlement, la Cour de cassation a décidé encore que le fait d'avoir, par la trop grande

1 Loi du 4 flor. an iv; arrêté du 19 vent. an vi; décrets des 19 mars et 11 août 1808, 17 oct. 1809, 3 janv. 1812; Cass., 10 juin 1859, Bull, n. 133; 1er et 6 déc. 1862, Bull. n. 92 et 270.

Cass., 4 nov. 1824, Devill. et Car., 7.550; J.P.8.1077; Dall., v. Dom. destr., n. 328.

TOME VI.

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élévation des eaux d'un moulin, inondé l'héritage voisin, constitue le délit prévu par l'art. 15 du titre 2 du Code rural. Les motifs de cet arrêt sont : « que l'art. 15 du titre 2 du Code rural de 1791 contient une disposition générale applicable à toute espèce d'inondation et de transmission nuisible et volontaire des eaux d'un héritage sur l'héritage d'autrui ; que l'article 16 du même titre contenait une disposition particulière relative aux propriétaires des moulins et usines qui, en les soumettant à une responsabilité spéciale, dans le cas où l'autorité administrative avait réglé les eaux dont ils se servaient, ne les exemptait pas des peines portées par l'art. 15, dans le cas où l'autorité compétente n'était pas intervenue pour le règlement, et où ils avaient volontairement inondé le voisin, et lui avaient porté un préjudice volontaire par la transmission de leurs eaux; que l'art. 457 du Code pénal a remplacé l'art. 16 du Code rural; qu'il a étendu sa disposition aux propriétaires des étangs; mais qu'il a laissé les uns et les autres sous l'empire de l'art. 15, titre 2, du Code rural de 1791, dans tous les cas où ils nuisent volontairement aux héritages voisins, soit en les inondant, soit en leur transmettant les eaux d'une manière dommageable '. »

2655. Lorsque la hauteur du déversoir des eaux du moulin, de l'usine ou de l'étang, a été fixée par l'autorité administrative, plusieurs hypothèses peuvent encore se présenter, dans lesquelles l'inondation sort des termes limitatifs du Code pénal.

Ainsi, lorsque l'inondation a lieu quoique les eaux soient restées au-dessous du déversoir légalement établi par l'administration, il n'y a pas de délit ; la partie lésée a une action civile en dommages-intérêts contre celui qui inonde ses propriétés.

L'art. 457 est également inapplicable toutes les fois que l'inondation a une autre cause que l'élévation des eaux audessus du déversoir. Ainsi la Cour de cassation a dû décider

1 Cass., 4 nov. 1824, Devill. et Car., 7.550; J.P.8.1077; Dall., v° Dom. destr., n. 328; Cass., 16 fév. 1867, Bull. n. 59; Devill. et Car., 68.1.239;. J.P.68.558; D.P.68.1.144; 6 déc. 1867, Bull. n. 251.

encore : « que le débordement d'une rivière ou d'un canal, et l'entrée de leurs eaux sur le terrain le long duquel elles coulent, provenant de ce que les vannes d'un moulin n'ont pas été levées au moment convenable, rentrent dans la disposition générale de l'art. 15, titre 2, de la loi des 28 septembre-6 octobre 1791, par lequel toute inondation qui, n'étant pas le résultat d'une force majeure, peut produire des effets nuisibles, soumet à une amende celui qui l'a occasionnée1. »

On doit donc reconnaître avec la Cour de cassation : « qu'il résulte de l'art. 457 que, pour qu'il y ait lieu à l'application de la peine, il faut que l'élévation du déversoir du moulin, usine ou étang, ait été portée au-dessus de la hauteur déterminée par l'autorité compétente. » C'est en effet le seul cas où cet article puisse être appliqué, le seul qu'il ait prévu.

2656. Le délit a deux degrés, suivant que l'inondation a simplement causé du dommage ou produit des dégradations. Il n'y a point de délit sans un dommage quelconque. Ainsi l'art. 15 du Code rural défend toute inondation, toute transmission nuisible d'eaux sous peine de payer le dommage et une amende qui ne pourra excéder la somme du dédommagement. L'art. 16 du même Code porte également que les propriétaires ou fermiers seront garantis de tous dommages que les eaux pourraient causer, et il prononce une amende qui ne peut excéder la somme du dédommagement. Enfin l'article 457 prévoit deux cas celui où l'inondation a causé du dommage; dans ce cas l'amende ne peut excéder le quart des restitutions et des dommages-intérêts; et le cas où il est résulté du fait quelques dégradations: la peine est alors, outre l'amende, un emprisonnement de six jours à un mois.

L'exposé des motifs du Code traçait cette distinction en ces termes «La loi des 28 septembre-6 octobre 1791 ne distingue point lorsque l'inondation a causé des dégradations, ou lorsqu'elle n'en a point occasionné. Ces deux cas sont trop dif

1 Cass., 15 janv. 1825, Devill. et Car., 8.15; J.P., 3e édit., 19.57; Dall., yo Dom. destr., n. 341.

2 Cass., 2 fév. 1817, Bull. n. 7; Devill. et Car., 5.147; 17 juin 1841, Bull. n. 179; 5 déc. 1844, Bull. n. 391; Devill. et Car., 45.1.613; J.P.45.1.688; D.P.45.1.67; 29 mars 1856, Bull, n. 129.

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