Page images
PDF
EPUB

à la faute, et qu'en ce qui concerne les crimes, la proportion n'aurait jamais lieu. Un seul scrupule a retenu le législateur : il lui a paru que substituer une peine à une autre, que changer la nature des peines, c'était les commuer, et que cette commutation ne pouvait appartenir, comme la grâce, qu'au chef de l'Etat. Cette objection repose sur une méprise évidente. Le juge qui substitue une peine à une autre peine ne fait point acte de clémence, il apprécie le vrai caractère de fait, il applique une peine qui est en rapport avec ce caractère; il n'empiète point sur les droits du chef de l'Etat, puisque la grâce ne peut intervenir qu'après le jugement; il ne sort point de sa mission, puisqu'il doit rendre justice, et que la justice, en matière pénale, suppose une peine proportionnée à la nature et aux circonstances du crime. On aurait pu opposer, avec plus de raison peut-être, que la puissance du juge doit se borner, en toute matière, à mesurer la peine déterminée par la loi dans les limites qu'elle a fixées, mais qu'il ne doit pas en changer la nature, parce que le législateur seul est placé assez haut pour assurer la responsabilité du genre de la peine, pour en apprécier la portée et la convenance. Mais cette objection, qui diffère entièrement de celle qu'alléguait l'exposé des motifs, ne fut point alors présentée.

2683. L'application du principe des circonstances atténuantes aux faits qualifiés crimes par la loi, après avoir été écartée en 1810, a été reprise et adoptée en 1832.

Cette disposition a un double but :

De tempérer, par une règle générale, les pénalités trop rigoureuses et quelquefois excessives du Code;

De tenir compte de certaines circonstances du fait, de certaines nuances de la culpabilité que le Code n'a pas prévues, et qui cependant, pour que le châtiment soit juste, doivent entrer dans l'appréciation de la moralité de l'agent.

Il est nécessaire d'insister sur ces deux motifs, qui renferment tout l'esprit de la loi.

Nous avons précédemment constaté, en appréciant le caractère de la réforme opérée en 1832, que cette réforme avait été essentiellement incomplète; que le législateur n'avait voulu, à cette époque, suivant ses propres expressions, que pourvoir au

plus pressé1; que, frappé surtout de l'exagération des peines portées par le Code, son seul but avait été d'en abaisser le minimum, afin d'en assurer l'application, et de rétablir ainsi un rapport plus exact entre les délits et les peines 2.

Deux voies s'offraient pour opérer cette atténuation. La première était de reprendre chaque incrimination du Code, d'en diviser les degrés et les nuances, de multiplier les classifications des délits et d'abaisser en même temps le minimum de chaque peine, afin de laisser aux juges une plus grande latitude dans leur application. Cette voie d'amélioration, plus laborieuse sans doute, était assurément la plus sûre, celle qui devait conduire à la plus saine application des principes du droit pénal, à la distribution la plus exacte de la justice.

2684. La seconde voie consistait simplement à établir, sans entreprendre la réforme du Code pénal, et par une seule disposition qui devait réagir sur toutes les autres, une faculté générale d'abaisser le maximum de toutes les peines. Ce dernier moyen était le plus facile ; c'est celui auquel le législateur s'est arrêté.

Ainsi, après avoir proclamé l'excessive élévation des peines, le législateur ajoutait, dans l'exposé des motifs de la loi du 28 avril 1832: « Il fallait trouver un moyen d'étendre à toutes les matières la possibilité d'adoucir les rigueurs de la loi autrement que par une minutieuse révision des moindres détails. Pour atteindre ce but, le projet de loi a introduit dans les affaires de grand criminel la faculté d'atténuation que l'art. 463 ouvre pour les matières correctionnelles. >>

Il résulte de ces paroles que c'est en vue des rigueurs de la loi, c'est pour les adoucir, que le système des circonstances atténuantes a été établi. Leur application est destinée à corriger des dispositions qui n'ont pu être revisées, à abaisser des peines trop rigoureuses, à remplacer une révision générale et reconnue nécessaire du Code. Cette observation est confirmée par le rapport de la Chambre des députés.

On lit en effet dans ce rapport: «Le système des circon

1 Expression de l'exposé des motifs.

2 V. notre tome 1er, n. 13 et 14

stances atténuantes sert à éluder de très-graves difficultés qui se présentent dans la législation criminelle; il résoudra, dans la pratique, les plus fortes objections contre la peine de mort, contre la théorie de la récidive, de la complicité, de la tentative. Qu'importe, en effet, que la peine de mort soit une peine égale pour tous, et qui ne peut par conséquent s'appliquer avec équité à des crimes souvent inégaux, si l'admission des circonstances atténuantes permet d'écarter la peine de mort dans les cas les plus favorables? Qu'importe que la récidive ne procède pas toujours d'un progrès d'immoralité, et par conséquent ne mérite pas toujours une aggravation de peine, si, dans les cas privilégiés, l'admission des circonstances atténuantes écarte cette aggravation? Qu'importe que la complicité, si diverse dans ses formes et dans sa criminalité, ne puisse toujours être équitablement assimilée au crime principal, si l'admission des circonstances atténuantes rétablit les différences que l'assimilation générale du complice à l'auteur du crime a négligées? Qu'importe enfin que la loi égale dans tous les cas la tentative à l'exécution, quoique dans l'opinion commune la gravité d'un crime se mesure en partie aux résultats qu'il a produits, si l'admission des circonstances atténuantes permet au jury de tenir compte à l'accusé du bonheur qu'il a eu de ne pouvoir commettre son crime? Qu'on y pense bien, toutes ces questions si ardues, si controversées, dans l'examen desquelles il serait si difficile, même approximativement, de formuler les différences et de marquer les degrés, peuvent se résoudre avec autant de facilité que de justesse par le système des circonstances atténuantes confié à la droiture du jury. »

Ainsi, et c'est le législateur qui le déclare, la théorie de la loi sur la tentative, sur la complicité, sur la récidive; cette théorie si critiquée, si controversée, est déférée au jury; le jury est appelé à juger si les peines égales de la complicité sont avouées par la justice, si la tentative doit être frappée du même châtiment que l'exécution, si l'aggravation de la récidive n'est pas une règle trop absolue : la déclaration des circonstances atténuantes doit résoudre tous ces problèmes de la législation, ces questions ardues de droit; cette déclaration peut donc chercher ses éléments en dehors du fait.; elle peut donc les

chercher dans l'examen du droit lui-même. Il y aura des circonstances atténuantes si le coupable n'a pas consommé son crime, parce que la simple tentative est moins grave que l'exécution entière; il y aura des circonstances atténuantes si les accusés ne sont que des complices, parce que les complices sont coupables à un moindre degré que l'auteur principal; il y aura des circonstances atténuantes même si l'accusé se trouve en état de récidive, car cette position le menace d'une aggravation de peine, et cette aggravation peut être jugée trop rigoureuse. Voilà l'esprit de la loi.

2685. Il suit de là, et tel est le vice du système des circonstances atténuantes, que le législateur a voulu donner comme correctif à un Code défectueux, il suit de là que la loi convie, en quelque sorte, les jurés à méditer sur la proportion des délits et des peines : ils sont, en quelque sorte, appelés à vérifier le droit lui-même; ils ne constatent pas seulement les éléments constitutifs du crime, ils en évaluent l'importance, ils examinent si la peine portée par la loi est en proportion avec le crime, et ils se servent des circonstances atténuantes pour la graduer; telle est la première conséquence de ce système, conséquence nécessaire, et, on peut le dire, prévue par le législateur car, en motivant la faculté qu'il établissait sur la rigueur trop haute des peines, il faisait de cette rigueur une raison légitime de son application; et, en négligeant de déterminer lui-même un plus juste rapport entre les châtiments et les délits, il abandonnait aux juges cette tâche difficile, et supérieure peut-être à leurs fonctions.

La deuxième conséquence de cette disposition, conséquence hautement déclarée par le législateur, et qui assure plus que la première une saine distribution de la justice, a été de pouvoir tenir compte au prévenu de certaines circonstances du fait, de certains actes personnels qui sont en dehors des excuses légales, et qui modifient essentiellement le caractère de l'imputation.

En effet, la loi pénale résume et incrimine sous une même dénomination tous les faits qui ont entre eux une ressemblance extérieure et matérielle : ainsi toute soustraction frauduleuse est un vol, tout homicide volontaire est un meurtre; mais que

de classes différentes dans le vol! que de nuances dans l'homicide volontaire ! Ces classes multipliées, ces nuances infinies, la loi les néglige; elle saisit les caractères généraux, elle ne descend pas aux caractères particuliers de chaque action. Ensuite, elle peut sans doute classer et qualifier les actes, mais elle ne peut classer et qualifier les agents; or, la position de l'agent, son âge, sa profession, son éducation, ses préjugés, impriment à son action mille nuances morales différentes; le même délit n'a pas la même valeur quand il est commis par des agents qui n'ont pas les mêmes lumières, les mêmes besoins, les mêmes passions. La conscience tient compte de toutes ces circonstances, et elle place souvent à de grandes distances des faits que la loi punit de la même peine et confond sous le même nom. A la vérité, notre Code a admis, comme atténuant la culpabilité et la peine, plusieurs faits qui sont qualifiés d'excuses, tels que la minorité au-dessous de seize ans, la provocation violente, la défense, pendant le jour, contre l'effraction ou l'escalade, etc. Mais ces circonstances sont étroitement définies, et ne s'appliquent qu'à quelques crimes, tandis que tous les crimes sont susceptibles d'atténuation, et que les circonstances atténuantes sont, par leur nature, indéfinissables et illimitées. C'est pour remédier à l'impuissance de ces dispositions générales que la loi a introduit dans chaque accusation un droit absolu d'atténuer le crime et la peine, et de rectifier ainsi, par l'appréciation de la conscience, l'appréciation générale de la loi.

2686. Maintenant faut-il préciser ce qu'on doit entendre par circonstances atténuantes? La loi ne les a point définies, et cette définition était évidemment inutile. Cette expression renferme en effet, ainsi qu'on vient de le dire, tous les faits, toutes les considérations, soit qu'elles soient puisées dans les circonstances du fait, dans la position personnelle de l'agent, ou dans la sévérité trop rigoureuse de la loi, qui peuvent ou modifier la culpabilité ou motiver une atténuation de la peine. Voici, du reste, dans quels termes l'exposé des motifs expliquait cette expression: « Les circonstances atténuantes ne sont pas des accessoires du fait principal; elles sont une partie essentielle de ce fait lui-même, et elles déterminent son plus ou 16

TOME VI.

« PreviousContinue »