Page images
PDF
EPUB

militaires par l'art. 20 de la loi du deuxième jour complémentaire an ш, n'a pas été conférée aux conseils de guerre par la loi de leur institution, qui est en date du 13 brumaire an v, et qui est d'ailleurs en opposition avec les dispositions combinées des art. 32, 33 et 42 de cette dernière loi; d'où il suit que l'atténuation de la peine prononcée par les jugements attaqués constitue un véritable excès de pouvoir 1.

2690. Nous ferons d'abord une remarque qui n'est pas sans intérêt c'est que le germe du système des circonstances atténuantes se trouvait dans la législation militaire elle-même, longtemps avant qu'il devînt un principe du Code pénal. L'article 20 de la loi du deuxième jour complémentaire an autorise les conseils de guerre à commuer et même à diminuer les peines portées au Code pénal militaire, suivant que les cas ou les circonstances en atténueront la gravité. Ainsi c'est dans un texte de la législation militaire que se rencontre le principe de cette théorie; on ne peut donc la proclamer incompatible avec cette juridiction, puisque déjà, en certains cas, elle en a été en possession. M. le procureur général Dupin a d'ailleurs parfaitement établi dans son réquisitoire que les conseils de guerre, dans leur organisation actuelle, se prêtaient avec facilité à l'application de ce système, et qu'aucune règle de cette organisation n'y formait obstacle. Ce n'est pas non plus sur ce point qu'ont porté les objections qui ont repoussé le réquisitoire; nous ne nous arrêtons point à celle qui a été tirée des art. 5 et 484 du Code pénal; ces deux articles n'ont jamais fait obstacle à l'application par la juridiction militaire, soit des principes généraux du Code sur la tentative ou sur la complicité, soit des dispositions particulières qui manquaient à la législation spéciale; ils doivent donc être écartés de la discussion. Mais il est certain, et sous ce rapport l'arrêt de la Cour de cassation nous paraît sans réplique, que le système des circonstances atténuantes exige une échelle proportionnelle de réduction des peines; que cette échelle n'existe pas dans la loi militaire; qu'on ne peut appliquer à cette législation les dispositions de l'art. 463, puisque les peines ne sont pas les mêmes; d'où il

↑ Cass., 2 mars 1833, Bull. n. 83; Dev. et Car., 33.1.184; Dall., yo Peine, n. 536.

suit qu'il y a nécessité évidente, pour l'application de ce système, d'une disposition nouvelle qui classe les peines du Code militaire et détermine leurs substitutions successives en cas de circonstances atténuantes. La lacune de la loi est incontestable, et le législateur peut seul la remplir. Est-ce par analogie que les conseils de guerre pourraient fixer le maximum et le minimum de la peine des fers, substituer à cette peine celle du boulet, à celle du boulet celle des travaux publics? L'interprétation a ses limites; elle s'arrête quand il s'agit, non plus d'expliquer une disposition, mais d'établir et de créer une disposition nouvelle, qui serait destinée à modifier une législation spéciale, sans que le législateur ait provoqué cette modification. La Cour de cassation n'a donc pu que s'attacher rigoureusement à des dispositions qu'elle n'avait aucun pouvoir pour

renverser.

2691. Mais la question a deux faces distinctes. L'arrêt de la Cour de cassation, il importe de le remarquer, ne s'applique qu'aux crimes et délits purement militaires, aux peines qui seraient puisées dans le Code militaire; ce n'est qu'à l'égard de ces peines qu'elle rejette l'application d'un système d'atténuation qui n'aurait ni base ni règle de proportion. On peut donc induire implicitement des expressions mêmes de l'arrêt que la décision eût été différente s'il se fût agi d'un délit commun commis par un militaire. Et en effet, toutes les fois que les tribunaux militaires empruntent au droit commun, au Code pénal ordinaire les peines qu'il prononce, il semble bien difficile de leur dénier le droit de graduer ces peines suivant les règles fixées par ce Code. On peut refuser d'appliquer à une législation spéciale et indépendante du Code l'art. 463; mais comment isoler cet article des dispositions qui l'accompagnent et dont il est l'accessoire nécessaire? Nous avons vu que le législateur a voulu s'épargner le soin d'une révision appliquée à chaque peine, et qu'après avoir reconnu l'excessive sévérité de ses dispositions, il s'est borné à écrire à la fin de son Code un grand principe d'atténuation dont il a confié l'application aux juges. Ce principe domine toutes les peines du Code pour les altérer, les modifier, les adoucir; le degré auquel elles sont fixées est purement nominal; leur taux réel est écrit dans l'ar

ticle 463. Ainsi, lorsqu'une de ces peines est appliquée, elle ne peut l'être qu'avec la faculté d'atténuation qui l'accompagne. On objecterait vainement que cette atténuation ne peut être prononcée que par la Cour d'assises, sur la déclaration des jurés; car, si la loi pénale n'a dû prévoir que le cas le plus ordinaire, elle n'a pu, par son seul silence, séparer dans un cas quelconque l'art. 463 des dispositions auxquelles il se lie nécessairement. Les juges militaires sont juges et jurés à la fois; ils peuvent donc, après avoir constaté des circonstances atténuantes, et en empruntant au Code une de ces dispositions répressives, graduer la peine d'après l'échelle de l'art. 463; autrement, il faudrait soutenir que la juridiction militaire doit punir les délits communs d'une peine plus forte que celle que prononcent les juges ordinaires, par cela seul qu'elle en fait l'application. Nous n'hésitons donc pas à penser que le conseil de guerre qui appliquera une pénalité du Code pourra faire usage à la fois de la faculté de l'atténuer.

De là cette double solution, que les tribunaux militaires peuvent faire usage de cette faculté quand ils appliquent les dispositions du droit commun, et qu'ils ne le peuvent plus quand les peines qu'ils prononcent sont purement militaires. Cette solution, il faut le reconnaître, accuse hautement la législation, car elle interdit l'application de cette salutaire atténuation à l'égard des lois militaires dont la rigueur a été tant de fois proclamée, et elle produit cette conséquence que le militaire qui seul aurait commis un crime encourra une peine plus grave que s'il a eu des complices non militaires qui l'auraient entraîné devant la Cour d'assises, tandis que la complicité est, en droit pénal, une circonstance aggravante du fait. La seule conclusion qu'on doit tirer de cette contradiction et de toute cette discussion, c'est que c'est au législateur et non à la jurisprudence que la loi militaire doit demander des modifications.

:

2692. Le Code militaire du 4 août 1857 a pourvu, au moins en partie, à ces lacunes d'une part, en ce qui concerne les faits communs, son art. 267 déclare que « les tribunaux militaires appliquent les peines portées par les lois pénales ordinaires à tous les crimes et délits non prévus par le

présent Code, et dans ce cas, s'il existe des circonstances atténuantes, il est fait application aux militaires de l'art. 463 du Code pénal. » D'une autre part, en ce qui concerne les faits purement militaires, chacune des incriminations de cette loi spéciale, qui ont paru susceptibles d'être modifiées par les circonstances, mentionne le degré auquel les juges militaires peuvent descendre la peine en cas de circonstances atténuantes il n'y a pas de dispositions générales; l'atténuation est limitée à quelques faits spéciaux on en trouve des exemples dans les art. 248, 250, 254, 257, 261, 263, 265, etc. Ces nouvelles dispositions, reproduites dans le Code de l'armée de mer promulgué en 1858, ont évidemment clos la controverse qui précède.

2693. Une autre question s'est élevée récemment. Le bénéfice des circonstances atténuantes doit-il appartenir au contumax? La Cour d'assises, qui prononce dans ce cas sans assistance de jurés, a-t-elle le droit de déclarer l'existence de ces circonstances en faveur de l'accusé? La Cour d'assises d'Indreet-Loire a décidé cette question affirmativement : « attendu que les Cours d'assises, qui ont le droit de prononcer l'acquittement des accusés contumax, peuvent, à fortiori, admettre les circonstances atténuantes et modérer les peines. >> Cet arrêt a été déféré à la Cour de cassation qui l'a annulé : « attendu qu'il résulte de la combinaison des art. 463 du Code pénal et 341 du Code d'instruction criminelle, que le droit de déclarer des circonstances atténuantes, en matière criminelle, en faveur des accusés reconnus coupables, n'appartient qu'au jury; que l'attribution faite d'un tel pouvoir au jury par le premier alinéa de l'art. 463 du Code pénal est de sa nature limitative; qu'elle ne peut par conséquent, par des motifs quelconques d'analogie, être étendue aux Cours d'assises procédant sans assistance ni intervention des jurés, conformément à l'art. 470 du Code d'instruction criminelle, au jugement des accusés contumax; que l'existence de circonstances atténuantes ne saurait d'ailleurs être reconnue et déclarée que par le résultat d'un débat oral et contradictoire, que repousse formellement l'article 468 du Code d'instruction criminelle, relatif au jugement par contumace dont les éléments ne sont puisés que dans l'in

struction écrite. » Cette solution lève-t-elle tous les doutes que la question fait naître? Ses motifs sont-ils complétement satisfaisants?

2694. En premier lieu, la Cour de cassation affirme, comme une raison déterminante, que les circonstances atténuantes ne peuvent être reconnues que par un débat oral et contradictoire. Or cette assertion est-elle exacte? n'est-il pas possible que, d'après les pièces mêmes, dans la nature des faits, dans les interrogatoires écrits des témoins, la Cour d'assises relève des faits d'excuse et d'atténuation? Dans la plupart des procédures criminelles, les circonstances du crime ne sont-elles pas clairement établies par l'instruction écrite, et le juge ne peut-il pas dès lors apprécier la moralité et le véritable caractère des faits? La Cour d'assises peut reconnaître, sur la procédure écrite, la non-existence des circonstances aggravantes, et les écarter; elle peut reconnaître, sur les mêmes pièces, l'innocence de l'accusé, et l'acquitter. Par quel motif cette procédure ne serait-elle vide d'éléments de décision qu'en ce qui concerne les circonstances atténuantes? Que l'on prétende que ces circonstances plus indéfinies, plus vagues, plus indéterminées, quelquefois même attachées à la personne même de l'accusé, seront plus difficiles à constater en son absence, cela se conçoit. L'unique conséquence sera qu'elles seront constatées moins souvent, mais non qu'elles ne pourront jamais l'être. Ainsi le motif tiré de la prétendue impossibilité de reconnaître les faits d'atténuation sans un débat oral ne nous paraît pas fondé.

Ensuite, cette déclaration à l'égard des contumax rentre évidemment dans l'esprit général de la loi. En effet, aux termes de l'art. 471 du Code d'instruction criminelle, la Cour d'assises peut acquitter ou absoudre l'accusé contumax; elle peut dépouiller le fait qui lui est soumis de son caractère de crime, et ne prononcer que des peines correctionnelles ou des peines de simple police 2; enfin, elle peut statuer sur les questions

1 Cass., 4 mars 1842, Bull. n. 50; Dev. et Car., 42.1.471; Dail., v° Instr. crim., n. 1443, 1941-2o.

2 Cass., 27 août 1819, Bull. n. 95; Dall., vo Contumax, n. 100, 102; 1er juill. 1820, Bull. n. 95; Dall., ibid., n. 106-1o; 5 août 1825, Bull. n. 148; Dall., ibid., n. 88; 9 juill. 1829, n. 150; Dall., ibid., n. 86; Dev. et Car., 6.123, 267, 8.169.

« PreviousContinue »