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d'Etat. En cas de réclamation de tiers intéressés, il sera de même statué en Conseil d'Etat sur le rapport du ministre de l'intérieur.» Le décret du 25 mars 1852 dispose que les préfets statueront désormais sur les affaires départementales et communales qui jusqu'à ce jour exigeaient la décision du chef de l'Etat ou du ministre de l'intérieur, et au nombre de ces nouvelles attributions il place « les plans d'alignement des villes. » Ce sont donc aujourd'hui les préfets qui donnent les plans d'alignement. Mais quel est alors le pouvoir qui reste entre les mains des maires ?

2755. Deux hypothèses se présentent : ou il existe un plan légalement arrêté ou il n'en existe pas.

Dans le premier cas « la fonction du maire consiste à mettre le plan à exécution; ses arrêtés ne peuvent donc avoir d'autre objet que cette exécution, en faisant observer les alignements qui en sont l'application; et lorsqu'ils poursuivent ce but, ils sont pris dans le cercle de ses attributions. Le juge de police ne peut que leur donner la sanction de ses jugements. Ce juge, toutefois, doit examiner la légalité de ses arrêtés et peut surseoir s'ils sont entachés d'irrégularités. Il peut, également, si les alignements ne sont pas présentés, en ordonner la production et surseoir jusqu'après cette production', car il ne doit statuer que sur des faits précis, et non sur des allégations, lorsqu'il s'agit d'ordonner la démolition d'une construction ou de frapper une propriété de servitude.

Dans le deuxième cas, lorsqu'il n'existe aucun plan, la limite des attributions du maire a paru longtemps incertaine. La Cour de cassation a longtemps et par de nombreux arrêts décidé : « que l'art. 52 de la loi du 16 septembre 1807 n'a point dérogé aux anciens règlements qui ont été maintenus par l'art. 19, tit. 1, de la loi du 19-22 juillet 1791, et d'après lesquels les propriétaires, architectes ou autres ouvriers constructeurs sont tenus, lorsqu'il s'agit de constructions et reconstructions sur la voie publique, ou de toute autre espèce

1 Cass., 11 avril 1862, Bull. n. 113; Devill.64.1.100; J.P.64.517 ; D.P. 63.1.478; 22 août 1862, Bull. n. 219; 8 janv. 1863, Bull. n. 11. 2 Cass., 29 janv. 1870, Bull. n. 27.

d'ouvrage à faire aux murs de face sur routes ou sur la rue, d'en demander l'autorisation avant d'entreprendre ou commencer les travaux; qu'assujettir, en effet, les maires à donner des alignements conformes aux plans généraux des villes qui doivent être faits et arrêtés conformément à cet article, ce n'est nullement les dépouiller, tant que ces plans n'existent pas, du pouvoir dont l'autorité municipale a été formellement investie, en matière de petite voirie, par les anciens règlements, par l'art. 50 de la loi du 14 décembre 1789, par l'art. 3, no 1, du tit. 11, de la loi du 16-24 août 1790 et par l'art. 46, tit. 1, de celle du 19-22 juillet 1791; que les règlements qu'elle fait légalement, d'après les dispositions concernant les maisons et bâtiments qui touchent à la voie publique actuelle et leurs murs de face sur route ou sur rue sont par conséquent obligatoires pour les tribunaux dans les lieux dont les plans n'ont pas été arrêtés; que ces règlements trouvent leur sanction dans l'art. 471, n° 51.»

2756. Cette jurisprudence, qui se trouvait en dissidence avec plusieurs décisions du Conseil d'Etat, n'a pu se maintenir. La modification qui s'est faite à cet égard se trouve constatée dans un arrêt du 11 décembre 1869', qui explique à la fois les motifs qui l'avaient fondée et les motifs qui l'ont ébranlée. Cet arrêt, après avoir rappelé les diverses dispositions légales sur lesquelles le droit des maires avait été étayé, ajoute: «que ces diverses dispositions avaient été généralement et constamment appliquées, tant avant qu'après 1837, dans ce sens que les maires, en l'absence d'alignements généraux ou partiels des rues et places, conservaient le pouvoir de délivrer aux propriétaires qui demandent à construire, des alignements individuels avec l'obligation de reculement tel que l'établissaient l'édit de 1607 et les lois des 16-24 août 1790 et 19-22 juillet 1791; mais qu'en 1862 l'autorité administrative, jugeant que

1 Cass., 18 juin 1831, Bull. n. 142; 16 juill. 1840, Bull. n. 201; Dall., v Voirie par terre, n. 2163-4°; 17 janv., 21 fév. et 28 mars 1840, n. 21, 60 et 95; Dall.,, ibid., n. 1945-1o, 1890-1°; 11 août 1842, n. 194; Dall., ibid., n. 2360-6°; 17 fév. 1844, n. 52 et 53; 23 août 1860, n. 211; 15 déc. 1866, n. 262.

2 Cass., 11 déc. 1869, Bull. n. 260; Devill.70.1.91; J.P.70.183. V. aussi Cass., 11 avril 1862, Bull. n. 113; Devill.64.1.100; J.P.64.517.

cette extension était excessive, qu'elle mettait en péril les droits de la propriété privée, qu'elle pouvait même compromettre les intérêts de la commune, renonça elle-même au pouvoir qu'elle avait exercé jusque-là, et tint les attributions des maires en matière d'alignement renfermées strictement dans les limites posées par les art. 52 de la loi du 16 septembre 1807 et 19 de la loi du 19 juillet 1837, et à défaut de plans exigés par ces lois, prescrivit aux maires de donner l'alignement sur la ligne séparative du terrain privé et de la rue ; — que le législateur lui-même est depuis entré dans la voie de cette interprétation, ainsi qu'il résulte de l'élaboration de la loi du 4 mai 1864, relative aux alignements sur les routes nationales ou départementales et sur les chemins vicinaux de grande communication; qu'en présence de cet état actuel des choses et de la législation, on est conduit à admettre que l'alignement individuel, en matière de voirie urbaine, donné par un maire, ne peut plus aujourd'hui contraindre le propriétaire riverain à reculer sa construction sur sa propriété, si les formalités des art. 52 de la loi de 1807 et 19 de la loi de 1837 n'ont pas été préalablement accomplies. »

La nouvelle jurisprudence a été nettement consacrée dans un arrêt qui déclare que, lorsqu'il n'existe pas un plan régulier, le maire ne peut sans excès de pouvoir et même avec l'approbation du préfet, tracer au propriétaire qui veut reconstruire la façade de sa maison un alignement qui l'oblige à reculer cette façade; il ne peut que constater dans son arrêté la limite existant entre la propriété et la voie publique, et le juge de police doit refuser les sanctions pénales à l'arrêté qui outre-passe cette limite. Les motifs de cet arrêt sont : « que si l'autorité judiciaire ne peut sans excès de pouvoir annuler les arrêtés administratifs, elle ne doit, aux termes de l'art. 471, no 15, du Code pénal, assurer par l'application des peines dudit article que l'exécution des arrêtés ou règlements légalement faits par l'autorité administrative; qu'elle est donc fondée à examiner si ces règlements ou arrêtés, auxquels il aurait été contrevenu, ont été pris dans le cercle des attributions municipales ou administratives; que, dans l'état actuel de la législation et de la iurisprudence, si les maires ont le droit de donner des aligne

ments individuels aux propriétaires qui veulent bâtir sur ou le long des rues ou places publiques, ils ne peuvent les donner que conformément au plan exigé par l'art. 52 de la loi du 16 septembre 1807, dont les projets auraient été, avant le décret du 25 mars 1852, transmis avec leur avis au ministre de l'intérieur et arrêtés en Conseil d'Etat, ou approuvés depuis ce décret par les préfets; qu'à défaut de ces plans légalement approuvés, les maires sont sans pouvoir pour forcer les propriétaires à reculer ou avancer la construction qu'ils font élever; que leur droit se borne alors à indiquer dans leurs arrêtés d'alignement l'ancienne limite séparative entre la propriété privée et la voie publique 1. »

2757. Le droit municipal ainsi défini, il faut examiner les conditions et les limites de son exercice. Le droit ne peut, en premier lieu, s'exercer qu'en ce qui touche les constructions qui attiennent immédiatement à la voie publique; car l'autorité municipale n'est appelée à protéger la sûreté et la commodité du passage que dans les rues, quais, places et voies publiques. Telle était aussi la règle consacrée par l'ancienné législation. L'édit de décembre 1607, qui n'a pas cessé d'être applicable', portait défense de faire aucun édifice, pan de mur, jambe étrière et autres avances sur la voirie, sans le congé et l'alignement du grand voyer. Un arrêt du Conseil d'Etat du 27 février 1765 réservait aux trésoriers de France le droit de donner les alignements pour constructions et reconstructions étant le long et joignant les routes, ainsi que les permissions pour toute espèce d'ouvrage aux faces des maisons, ou pour établissement d'échoppes ou choses saillantes le long des routes. Ce n'était donc qu'autant que les maisons ou édifices joignaient ou gisaient le long des routes, qu'autant que les ouvrages à faire s'appliquaient aux faces des maisons, qu'il y avait droit de donner alignement. Cet esprit du législateur se retrouve dans une déclaration du 8 juillet 1783, spéciale pour la ville de Paris, et dont l'art. 3 porte défense à tous propriétaires et architectes, d'entreprendre aucune construction ni reconstruction des murs

Cass., 31 mars 1870, Bull. n. 79; Devill.71.1.259; J.P.71.774.

2 Cass., 14 déc. 1846, Bull. n. 316; Devill.47.4.49; D.P.47.1.22.

de face sur rue, sans au préalable avoir obtenu des alignements ou permissions nécessaires. De cette législation résulte un principe général qui doit dominer encore l'application des lois de la matière : c'est que l'administration doit ménager autant que possible la propriété des riverains, surtout quant aux maisons et bâtiments actuellement existants'. »

2758. La Cour de cassation a constamment appliqué cette règle. Un premier arrêt rendu par les chambres réunies déclare : « que, d'après les anciens règlements, les propriétaires et les architectes ou autres ouvriers constructeurs ne sont tenus de demander autorisation avant d'entreprendre ou commencer les travaux, que lorsqu'il s'agit de constructions à établir sur la voie publique, ou de réparations à faire aux murs de face sur route ou sur rue; mais qu'aucune autorisation semblable n'a besoin d'être requise pour reconstruire ou réparer, dans l'intérieur, des portions qui n'auraient pas pour objet de consolider le mur de face, ou qui ne toucheraient pas à la voie publique actuelle, lors même que les propriétés sont destinées, par des plans arrêtés en Conseil d'Etat, à faire, dans un temps plus ou moins éloigné, partie de la voie publique future 2. » Un autre arrêt, également rendu par les chambres réunies de la Cour de cassation, porte également: «que l'édit du mois de décembre 1607 et l'arrêt du conseil du 17 février 1765 n'obligent que les propriétaires, qui veulent construire ou réparer des bâtiments, à demander une autorisation ou la fixation de l'alignement, qu'autant que les édifices sujets aux réparations, ou les terrains sur lesquels les constructions doivent avoir lieu, joignent la voie publique; que par ces mots voie publique on ne doit entendre que l'emplacement actuellement affecté à la circulation, et non les terrains qui sont désignés par les plans pour former à une époque indéterminée une voie publique nouvelle '. >>

1 Procès-verbal de la déclaration de 1783.

2 Cass., 25 juill. 1829, Journ. du dr. crim., t. 1er, p. 306.

5 Cass., 14 nov. 1827 et 17 mai 1838, Journ. du dr. crim., t. 10, p. 374; Dall., vo Voirie par terre, n. 2048-1°; et dans le même sens, Cass., 28 fév. 1846, Bull. n. 64; 13 juill. 1861, Bull. n. 151; 28 juin 1861, Bull. n. 136; 19 juill. 1861, Bull. n. 159; 9 janv. 1862, Bull. n. 10; 20 nov. 1863, n. 278.

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