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La contrefaçon n'est élevée au rang des délits que lorsque, à raison de la fraude qui l'a accompagnée, elle produit un trouble social. C'est la fraude que la loi pénale poursuit dans cette action, comme elle le fait dans l'escroquerie, l'abus de confiance, la tromperie dans les ventes. Dégagée de cette fraude, la contrefaçon ne constitue qu'une atteinte à un droit privé que les tribunaux civils peuvent réprimer comme toutes lésions quelconques des droits de chacun.. Punir la contrefaçon en faisant abstraction de l'intention frauduleuse, ce serait la transformer en une simple contravention, quand l'art. 425 la proclame un délit ; ce serait la placer tout entière dans un fait matériel, quand ce fait peut subir, par l'intention de son auteur, les modifications les plus diverses; ce serait incriminer toute espèce de reproduction, indépendamment des circonstances et des faits qui peuvent en altérer la nature et les effets. La bonne foi du contrefacteur détruit donc le délit, mais elle ne l'absout pas des dommages-intérêts. La bonne foi, au surplus, n'est jamais présumée dans cette matière. Celui qui reproduit un ouvrage doit s'assurer que cet ouvrage est dans le domaine public; s'il ne le fait pas, il y a lieu de croire qu'il savait l'existence de la propriété privée, et qu'il a voulu, nuire à cette propriété.

En résumé, nous venons d'établir les trois conditions du délit de contrefaçon. Ces conditions sont la reproduction d'un ouvrage, c'est le fait, matériel du délit; la propriété de cet ouvrage à un autre que le contrefacteur, et de là le préjudice qui est la base de l'incrimination; enfin, l'intention frauduleuse de l'agent, c'est là l'élément moral du délit et la condition de la criminalité..

2500. Jetons maintenant un coup d'œil sur les pénalités qui frappent la contrefaçon. L'art. 33 des statuts de la librairie approuvés par lettres patentes du 1er juin 1618 portait.: «Sera défendu à tout libraire, imprimeur et relieur, de contrefaire les livres dès qu'il y aura privilége, sur les peines portées par les priviléges qui en auraient été obtenus. » Ces peines étaient purement pécuniaires. L'art. 65 du règlement de 1686 reproduisit cette disposition, et ajouta : «Lesquelles peines ne pourront être modérées ni diminuées par les juges;, et, en cas de

récidive, les contrevenants seront punis corporellement et seront déchus de la maîtrise, sans qu'ils puissent directement ou indirectement s'entremêler du fait de l'imprimerie et du commerce des livres. » Ce dernier article se trouve lui-même textuellement répété par l'art. 109 du règlement du 28 février 1723. Enfin, l'arrêt du conseil du 30 août 1777 portait contre les contrefacteurs la peine de six mille livres d'amende pour la première fois; de pareille somme et de déchéance d'état en cas de récidive. Ces peines étaient indépendantes et des dommages-intérêts de la personne lésée, et de la destruction des exemplaires contrefaits et saisis.

La loi du 19 juillet 1793, ne considérant point la contrefaçon comme un délit, s'est bornée à fournir aux juges une base des dommages-intérêts des parties. L'art. 4 de cette loi porte « Tout contrefacteur sera tenu de payer au véritable propriétaire une somme équivalente au prix de trois mille exemplaires de l'édition originale. » L'art. 427 du Code pénal dispose que «la peine contre le contrefacteur sera une amende de cents francs au moins et de deux mille francs au plus». Cet article ajoute que « la confiscation de l'édition, contrefaite sera prononcée, et que les planches, moules ou matrices des objets contrefaits seront aussi confisqués ». L'art. 429 porte encore, en ce qui concerne les dommages-intérêts, que « le produit des confiscations sera remis au propriétaire pour l'indemniser d'autant du préjudice qu'il aura souffert; le surplus de son indemnité, ou de l'entière indemnité, s'il n'y a eu ni vente d'objets confisqués ni saisie de recettes, sera réglé par les voies ordinaires >>.

Il suit de ces dispositions que les juges peuvent actuellement prononcer contre les contrefacteurs: 1° l'amende dans les limites portées par la loi, et suivant les circonstances plus ou moins graves du délit; 2° la confiscation, de l'édition. contrefaite, ou du moins des exemplaires non, vendus de cette édition; 3o les indemnités au propriétaire, indemnités, qui peuvent être fixées par les juges ou réglées par experts. Les indemnités ne doivent pas être adjugées, si le produit des confiscations a couvert le dommage; et les confiscations ellesmêmes peuvent n'être pas prononcées, s'il s'agit d'une contre

façon partielle, et si le préjudice est réparé par une indemnité '.

2501. Le Code pénal, après avoir défini le délit de contrefaçon, prévoit deux délits de la même nature :

Le débit d'ouvrages contrefaits;

L'introduction en France d'ouvrages contrefaits à l'étranger. L'art. 426 porte : Le débit d'ouvrages contrefaits, l'introduction sur le territoire français d'ouvrages qui, après avoir été imprimés en France, ont été contrefaits chez l'étranger, sont un délit de la même espèce. »

Le premier de ces délits suppose le débit fait sciemment d'un ouvrage contrefait.

La simple annonce de l'ouvrage sur un catalogue de librairie suffit-il pour constituer le délit? La Cour de cassation a décidé `la négative, « attendu que si l'annonce faite d'un ouvrage dans un catalogue doit naturellement faire présumer l'intention de le vendre, cette intention n'en constate pas néanmoins le débit et que le débit seul constitue la contravention ». On pourrait contester cette opinion. En insérant dans son catalogue un ouvrage contrefait, le libraire reconnaît qu'il possède cet ouvrage. Les libraires débitent souvent un livre qu'ils n'ont pas ; ils le vendent à la charge de le livrer, parce qu'ils savent où le trouver. Ce serait singulièrement favoriser les contrefaçons que de permettre l'offre publique d'un livre contrefait; l'envoi du catalogue est une promesse de vente quotidienne.

2502. Mais l'exposition en vente ne doit-elle pas être considérée comme la vente même ? Est-il nécessaire qu'il y ait vente effective? M. Carnot pense que l'exposition en vente n'est qu'une tentative du débit, et qu'en cette manière la tentative n'est pas un délit punissable 3. M. Renouard pense, au contraire, que le délit résulte suffisamment de ce que les exemplaires de l'édition contrefaite ont été trouvés exposés dans le magasin d'un libraire avec les autres objets de son commerce, et il en donne pour raison que, « par le seul fait de l'achat au

1 Cass., 4 sept. 1812, Devill. et Car., 4.185; Dall., vo Propr. littér., n. 488. • Cass., 2 déc. 1808, Devill. et Car., 2.609; Dall., ibid., n. 373.

3 Comm. du Code pénal, t. 2, p. 433.

contrefacteur avec l'intention de revendre les livres achetés, le libraire débitant a occasionné un préjudice au propriétaire de l'ouvrage contrefait1. » Ce motif, emprunté à un arrêt de la Cour de Toulouse, du 17 juillet 1835 2, ne nous paraît pas concluant, car ce n'est pas l'achat au contrefacteur que la loi punit, mais bien la revente des livres achetés. Toutefois l'exposition en vente constitue le délit, car il est évident que la fraude ne serait presque jamais atteinte, s'il était nécessaire de constater le fait même de la vente. La Cour de cassation a décidé, en appliquant la même règle, que la loi qui interdit aux épiciers et droguistes de vendre des médicaments frappe l'exposition en vente comme la vente elle-même.

Un seul exemplaire de l'ouvrage contrefait saisi chez un libraire suffit pour constituer le délit ; en effet la loi n'a point déterminé le nombre d'exemplaires nécessaire pour qu'il y ait débit; le débit existe donc par la détention d'un seul exemplaire. Il serait peut-être à désirer que la poursuite pût atteindre aussi tout acquéreur ou détenteur, quand il aurait agi sciemment, d'un ouvrage contrefait.

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2503. Il est nécessaire que le débit ait été fait sciemment, c'est-à-dire que le débitant ait su que l'ouvrage était contrefait en effet, aux termes de la loi, le débit d'ouvrages contrefaits est, aussi bien que la contrefaçon même, un délit ; l'intention frauduleuse du débitant est donc l'un de ses éléments nécessaires. En général, cette intention est présumée, lorsqu'il s'agit d'une contrefaçon entière et identique. Mais, dans le cas d'une contrefaçon douteuse et partielle, le débitant peut être de bonne foi, et il serait rigoureux de le condamner à une amende quand on ne pourrait lui imputer aucune fraude et même aucune imprudence.

La peine contre le débitant est moindre que contre le contrefacteur; l'amende n'est, aux termes de l'art. 427, que de vingt-cinq francs au moins et de cinq cents francs au plus; la confiscation des objets contrefaits saisit ces objets dans tous

1 Traité des droits d'auteur, t. 2, p. 55.

* Devill. et Car., 36.2.41; Dall., vo Propriété littéraire, n. 486-1°.

3 Cass., 14 niv. an XIII, Dev. et Car., 2.53; J.P.4.323; Dall., vo Médecine, n. 170-1°.

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les cas; les règles relatives aux indemnités sont également les

mêmes.

2504. L'introduction en France d'ouvrages français contrefaits à l'étranger est un second délit également assimilé à la contrefaçon.

L'introduction a lieu dès que les ouvrages contrefaits sont entrés sur le territoire français et qu'ils sont destinés à être réexportés. En effet, ce n'est pas la vente que la loi a punie, mais bien la seule introduction indépendamment de ses suites. Ce serait favoriser la fraude que de tolérer l'introduction, à charge de réexportation; ce serait du moins favoriser les contrefaçons étrangères, en donnant à leurs spéculations la facilité du transit du notre territoire.

L'introduction n'est punissable que lorsqu'elle a pour objet des ouvrages qui, après avoir été publiés en France, ont été contrefaits à l'étranger. Ainsi cette disposition ne s'appliquerait pas aux contrefaçons d'ouvrages publiés pour la première fois par des Français à l'étranger; elle ne s'appliquerait pas à la réexpédition en France d'ouvrages imprimés sur notre territoire et expédiés à l'étranger pour les vendre.

L'introduction est passible des mêmes peines que la contrefaçon. Le législateur a pensé qu'il n'était pas moins important de fermer notre territoire aux contrefaçons étrangères que de frapper les contrefaçons fabriquées en France. Les droits des auteurs seraient anéantis si les éditions de leurs ouvrages faites à l'étranger pouvaient être introduites en France. On doit seulement déplorer que la France ne puisse élever des barrières que sur ses seules frontières aux produits de cette honteuse industrie.

La loi ne s'est occupée que de l'introduction des contrefaçons étrangères; elle n'a pas prévu leur débit après qu'elles seraient introduites. Il est évident que ces deux faits ne doivent pas être confondus. L'art. 426 punit, en général, le débit d'ouvrages contrefaits, sans distinguer si ces ouvrages ont été contrefaits en France ou à l'étranger; il s'applique à l'un et à l'autre cas. D'ailleurs, la loi ayant assimilé l'introduction à la contrefaçon même, et ayant mis une certaine distance entre la contrefaçon et le débit, il est clair que cette même distance doit

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