Page images
PDF
EPUB

DISSERTATION

SUR

LES OPPOSITIONS VÉRITABLES

ENTRE LA DOCTRINE

DE M. L'ÉVÊQUE DE MEAUX ET LA MIENNE.

L

I. Il y a deux choses principales qui font que je ne puis convenir avec M. l'évêque de Meaux sur les matières de la vie intérieure. La première est la charité. La seconde est celle de l'oraison passive. Je vais les proposer l'une après l'autre.

PREMIER POINT.

De la Charité.

II. M. l'évêque de Meaux prétend que, suivant saint Thomas, «< la charité est l'amour de Dieu, en >> tant qu'il nous communique la béatitude, en tant » qu'il en est la cause, le principe, l'objet, en tant » qu'il est notre fin dernière (1). »

Ce prélat ajoute : « Ces en tant, que ce saint doc» teur répète sans cesse en cette matière, sont usités » dans l'Ecole, pour expliquer les raisons formelles

(1) Instruct. sur les Etats d'orais. liv. x, n. 29: OEuv. de Boss. tom. xxvII, p. 451 et suiv.

» et précises; en sorte que d'aimer Dieu comme nous » communiquant la béatitude, emporte nécessaire>>ment que la béatitude communiquée est dans l'acte » de charité une raison formelle d'aimer Dieu, et » par conséquent un motif dont l'exclusion ne peut >> être qu'une illusion manifeste.

[ocr errors]
[ocr errors]

» Ce qui fait ajouter à ce saint docteur que si par impossible Dieu n'étoit pas tout le bien de l'homme, » il ne lui seroit pas la raison d'aimer, c'est-à-dire qu'il ne seroit pas un motif formel et une raison » précise pour laquelle il aime. D'où il s'ensuit que >> c'est à l'homme un motif d'aimer Dieu, que Dieu >> soit tout son bien, c'est-à-dire, en d'autres mots, »sa béatitude.

» Cette doctrine de saint Thomas est tirée de saint » Augustin, qui partout exprime l'amour qu'on a » pour Dieu par le terme de frui, jouir, qui ren» ferme en sa notion la béatitude, puisqu'elle n'est » précisément autre chose que la jouissance ou com>> mencée, ou accomplie de l'objet aimé. »

M. de Meaux ajoute, dans les lignes suivantes, que c'est une illusion « d'ôter à l'amour de Dieu le motif » de nous rendre heureux,.... puisque la raison d'ai» mer ne s'explique pas d'une autre sorte. >>

Cette doctrine est répandue dans tout le livre de ce prélat, et elle en est le principal but. Je n'examine pas maintenant le passage de saint Thomas; M. de Meaux prend ée saint docteur dans un sens très-différent du véritable, et saint Thomas est clairement contre lui. Mais, voici la doctrine de M. de Meaux dans la définition de la charité.

[ocr errors]

C'est un amour de Dieu, en tant qu'il nous com,

munique la béatitude. Cet en tant fait l'objet de la charité. Aussi ajoute-t-il que le motif de nous rendre heureux..... est la raison d'aimer...... et qu'elle ne s'explique pas d'une autre sorte. On ne peut donc, selon M. de Méaux, expliquer l'amour de Dieu que par le motif de se rendre heureux. C'est pourquoi il dit encore que, si par impossible, Dieu n'étoit pas tout le bien de l'homme, où en d'autres mots sà béatitude, il ne lui seroit pas la raison d'aimer.

Si ce prélat disoit toutes ces choses de Dieu béatitude objective, qui renfermé en lui-même avec ses autres attributs celui d'être béatifiant, on pourroit accommoder cé sentiment avec l'Ecole, et dire que l'amour de complaisance, qui est une véritable charité, se complaît dans cet attribut divin comme dans les autres. Ce qu'il y a de fâcheux est que M. de Meaux parle, non de Dieu, mais de la beatitude qu'il nous communique, c'est-à-dire, de la formelle. Il-regarde seulement Dieu comme en étant la cause, le principe, l'objet. Il s'explique encore davantage. « La béatitude communiquée, dit-il, est dans l'acte » de charité une raison formelle d'aimer Dieu. » Il s'agit, selon lui, de nous rendre heureux. Voilà la béatitude formelle bien clairement exprimée. Ce motif, selon M. de Meaux, est la raison d'aimer, et elle ne s'explique pas d'une autre sorte.

III. Son principe est que la jouissance et la béatitude sont la même chose, et que jouir, selon saint Augustin, c'est aimer. D'où il conclut qu'aimer est vouloir jouir, et par conséquent vouloir être heureux dans l'objet aimé. Je ne m'arrête pas maintenant à renverser ce systême, en disant qu'il y a une extrême

[ocr errors]
[ocr errors]

différence entre vouloir une chose à laquelle la béatitude est attachée, et vouloir précisément la béatitude même. Il me suffit de continuer l'exposition du systême de M. de Meaux. Aimer Dieu et vouloir être heureux, selon lui, sont des termes synonymes. Après cela il ne faut plus s'étonner s'il assure que si, par impossible, Dieu n'étoit pas tout le bien de l'homme,..... c'est-à-dire, en d'autres mots, sa béatitude, il ne lui seroit pas la raison d'aimer, c'est-à-dire qu'il ne seroit pas aimable pour lui. Si donc Dieu, qui nous donne gratuitement son royaume éternel, n'avoit pas voulu nous le donner; faute de cette béatitude formelle, Dieu, infiniment parfait en lui-même, ne nous seroit pas la raison d'aimer, et nous ne pourrions jamais faire aucun acte d'amour pour lui. La raison d'aimer ne s'explique pas d'une autre sorte, selon ce prélat.

IV. Il veut que saint Anselme, dans le onzième siècle, soit le premier qui ait dit qu'on peut chercher dans la béatitude une utilité ou un intérêt (1). Il ajoute que la subtilité de Scot s'est accommodée de cette distinction. Il s'agit de distinguer Dieu, en tant que bon en lui-même, de Dieu en tant que bon à nous. C'est cette distinction qui déplaît à ce prélat, et dont il n'approuve pas que la subtilité de Scot se soit accommodée. En effet, dès que M. de Meaux suppose qu'aimer c'est vouloir jouir, que vouloir jouir c'est vouloir être heureux; et que la raison d'aimer.... ne s'explique pas d'une autre sorte: Dieu, en tant que bon en lui-même, peut bien être l'objet de notre estime et de notre admiration, mais il ne peut jamais être :(1) Instruct. etc. ibid. p. 453.

« PreviousContinue »