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tenue, si à cette politique de la Paix franchement pratiquée, qui eût apaisé la défiance des puissances continentales et qui les eût rapprochées de nous, on n'eût pas préféré cette politique mixte appelée la Paix armée, dont nous croyons pouvoir dire sans exagération que les fruits n'ont pas été en rapport avec les sacrifices qu'elle nous a coûtés, politique dont la conséquence a été de nous faire considérer l'alliance de l'Angleterre comme une nécessité.

On sait quel fond il faut faire sur cette alliance.

C'est parce que nous n'y avons jamais compté, et que nous y comptons moins que jamais, que nous professons l'opinion que la France ne saurait éviter avec trop de soin toute occasion de donner au continent des motifs de se plaindre ou de se défier d'elle.

Il faut à la France des alliés; il n'y a que des politiques d'estaminet et des orateurs de carrefour qui puissent s'abuser à ce point de croire qu'elle est assez forte pour ne consulter dans le monde que ses inspirations et ses sympathies.

Toute alliance a ses conditions et ses servitudes.

Si vous souffrez de voir que l'alliance de l'Angleterre ne soit qu'une sorte de vassalité de la France; si vous souffrez de vous rappeler que nous avons été obligés, en 1840, de faire rentrer notre flotte, et de donner aux traités de 18311833 sur le droit de visite une extension nouvelle pour prix de la signature de la convention des détroits, de payer en 1844 une indemnité que nous ne devions pas, de ne tirer du Maroc qu'une satisfaction incomplète, soyez donc conséquents, et ne poussez pas la France dans le sens contraire à celui où elle doit marcher pour arriver au but.

Le rôle de la France en Europe doit être un rôle d'initiation presque passif.

C'est d'elle que les gouvernements qui l'entourent doivent apprendre que le gouvernement des libertés publiques n'est pas incompatible avec le maintien de l'ordre, et que les institutions représentatives donnent plus de ressources à la royauté qu'elles ne lui enlèvent de prérogatives; c'est d'elle

que les peuples doivent apprendre à se préserver des excès révolutionnaires, à modérer leur impatience, puisant leur calme dans la certitude que la prolongation de la paix et la facilité de jour en jour plus grande des moyens de communication de tous les peuples entre eux ne sauraient tarder longtemps à les faire jouir des mêmes droits et des mêmes garanties que ceux dont nous sommes en possession.

Modérer les gouvernements et calmer les peuples, même ceux qui souffrent, éclairer ceux-ci et ceux-là, leur donner à tous indistinctement l'exemple de l'ordre et de la liberté, leur faire envier notre prospérité, leur faire souhaiter de s'associer étroitement à nos destinées, telle doit être, selon nous, la politique de la France; et c'est parce que nous la comprenons ainsi qu'on nous a vu demeurer à l'écart de toutes ces bruyantes et stériles manifestations qui, d'ici à peu de temps, auront passé sans laisser après elles d'autres traces que des défiances et des colères plus difficiles à apaiser, tandis que nous resterons, nous, avec l'idée que nous poursuivons:- la révision pacifique des traités de 1845 et l'institution d'une grande confédération maritime, exposée dans un intérêt commun : l'intérêt de la liberté des mers, cette condition de salut de toutes les puissances continentales, à l'égard desquelles la France serait dans l'avenir ce qu'est aujourd'hui l'Autriche par rapport aux autres puissances de la Confédération germanique.

Le triomphe de cette idée, puisée dans l'observation des faits, peut être tardif, mais il est infaillible; ce jour-là, le sort de la Pologne et de l'Italie ne sera plus le même !

IV.

12 mars 1846.

On lit dans la Démocratie pacifique :

On assure qu'un grand journal a vendu sa question polonaise à la Russie pour 80,000 francs. La presse marchande ne pouvait donner une preuve plus éclatante de son dévouement aux grandes causes. »>>

Un journal, si peu qu'il ait le respect de lui-même et de la vérité, ne s'expose pas à une condamnation sévère et à des dommages-intérêts considérables, en jetant odieusement dans la circulation une articulation aussi grave, sans s'être mis en mesure de l'appuyer sur quelques fortes présomptions, sans avoir pris ou reçu quelques renseignements de nature à pallier la diffamation ou la calomnie, sinon à la justifier entièrement! Il est donc probable que la Démocratie pacifique ne s'est pas avancée légèrement. Eh bien! nous la plaçons dans cette triple alternative:

Ou de faire connaître à ses lecteurs les motifs plausibles sur lesquels elle s'est fondée pour annoncer que le grand journal auquel elle a fait allusion a vendu sa question polonaise à la Russie 80,000 fr., dans lequel cas ledit journal s'oblige, non seulement à ne faire à la Démocratie pacifique aucun procès, mais encore à verser, au profit de la souscription polonaise, les 80,000 francs en question, plus toutes les sommes qu'il passe pour recevoir de la Russie, lesquelles sommes, depuis dix ans, doivent s'élever au moins à un million ou douze cent mille francs;

Ou de se préparer à s'expliquer devant les tribunaux correctionnels ;

Ou bien, enfin, de se rétracter demain dans des termes tels qu'ils doivent nous satisfaire.

Douze ou treize cent mille francs à verser dans la caisse de la souscription polonaise, cela vaut bien la peine que la Démocratie pacifique se mette en mesure d'établir la vérité de ce qu'elle a avancé! Un journal ne reçoit pas 80,000 fr. sans qu'il y ait quelqu'un dans le secret et sans qu'il en subsiste quelque trace!

V.

13 mars 1846.

La Démocratie pacifique, après avoir reproduit l'article qui précède, ajoute ce qui suit :

« Il résulte de cet article que la Presse se considère comme le grand

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journal dont a parlé la Démocratie pacifique; il en résulte encore qu'elle paraît désirer connaître les présomptions, les renseignements et les motifs plausibles que nous pouvons avoir eus pour parler comme nous l'avons fait. Nous sommes tout disposés à donner à la Presse cette satisfaction. Il suffit qu'elle se croie intéressée dans l'affaire pour que nous nous empressions d'aller au devant de ses voeux. Nous lui offrons donc ce que nous avons toujours indiqué ou proposé comme la seule solution sérieuse des débats de la nature de celui-ci la constitution d'un tribunal d'arbitres, d'un jury d'honneur, qui recevra les dépositions et les renseignements des parties, et qui les appréciera en son âme et conscience. Nous nous soumettons d'avance au jugement à intervenir. Si la Presse n'a pas voulu faire une démonstration vaine, elle acceptera notre proposition; c'est le seul moyen d'arriver à l'éclaircissement qu'elle paraît désirer. La Presse sait bien, en effet, d'une párt, que nous ne pouvons pas produire des reçus et des quittances, et, de l'autre, que certains témoignages et certains noms ne peuvent être livrés à la publicité du journalisme. »

Nous avons d'autant moins d'objections à accepter cette proposition que, dans une autre circonstance, nous avons de nous-même choisi MM. Armand Marrast et Bastide pour prononcer comme jurés dans une cause où tous les faits avaient été dénaturés par le National. Nous agirons de même cette fois; nous nous en rapporterons entièrement à la Démocratie pacifique du soin de constituer comme elle l'entendra le jury d'honneur appelé à connaître de ces « témoignages et de ces noms qui, suivant elle, ne peuvent » étre livrés à la publicité du journalisme. »

Quand nous faisons cela, ce n'est pas que nous croyons nécessaire de nous faire délivrer un certificat d'indépendance et de désintéresssement par qui que ce soit; s'il est un journal qui puisse s'en passer auprès de ses lecteurs, assurément c'est la Presse; le motif qui nous détermine est tout autre ; ce que nous voulons prouver, c'est avec quelle légèreté le journalisme, qui s'attribue le monopole de l'indépendance et du désintéressement, et qui prétend à l'infaillibilité, accueille les plus odieuses calomnies. C'est une leçon que nous croyons utile de lui donner.

VI.

16 mars 1846.

La Démocratie pacifique voudrait bien échapper aux conséquences de l'articulation du fait qu'elle n'a pas craint d'avancer; nous la prévenons qu'elle n'y réussira pas, et que si, par des causes indépendantes de notre volonté, l'affaire dont il est ici question ne peut se vider par un arbitrage, elle se videra alors par un procès. C'est la Démocratie pacifique qui, pour échapper à une condamnation certaine, a proposé de constituer un jury d'honneur; c'est à elle à aplanir toutes les difficultés que pourra rencontrer la réalisation de son idée.

Voici la réponse que nous fait la Démocratie pacifique :

« La Presse accepte ce matin l'arbitrage que nous lui avons proposé; mais elle prétend a s'en rapporter entièrement à nous du soin de consti» tuer comme nous l'entendrons le jury d'honneur. » Nous aimons la magnanimité, mais pas quand elle est dérisoire. La Presse raille quand elle nous propose de constituer à nous seuls le tribunal qui doit décider un litige où nous sommes, après tout, fort peu intéressés et où elle croit l'être beaucoup. Pour nous, ayant proposé sérieusement un arbitrage, nous avons voulu sérieusement un arbitre. Nous avons pensé que notre arbitre ne devait pas être un ami, mais un juge; aussi ne l'avons-nous pas cherché autour de nous nous avons cherché dans les rangs des conservateurs une grande conscience, et nous espérons que M. Agénor de Gasparin voudra bien accepter l'arbitrage que nous lui décernons pour notre part. Nous attendons que la Presse choisisse son arbitre : nous n'exigeons pas d'elle qu'elle le prenne chez les radicaux. »

La Démocratie pacifique dit qu'elle aime la magnanimité, mais pas quand elle est dérisoire; si la Démocratie pacifique nous connaissait mieux, elle ne trouverait pas magnanime ce qui nous paraît, à nous, tout simple, ainsi que nous l'avons prouvé en offrant, dans d'autres circonstances analogues, à nos calomniateurs de les choisir eux-mêmes pour juges de leurs propres calomnies, ce qu'ils n'ont pas hésité à accepter. Ainsi MM. Marrast et Bastide ont accepté ce que refuse la Démocratie pacifique, par scrupule, dit-elle; que

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