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rie héréditairement. La France a offert le maintien pur et simple du statu quo, avec la garantie des cinq puissances européennes. Enfin, dans les derniers temps, après le traité conclu, la France a laissé entrevoir qu'elle engagerait le pacha à se contenter de l'Egypte héréditaire et de la Syrie viagère. De son côté, l'Angleterre a fait aussi des ouvertures; elle avait accordé l'Égypte héréditaire, elle y a ajouté le pachalik de Saint-Jeand'Acre, moins la place; puis elle a ajouté la place même; cette place dont tout le monde avait dit que c'était la clé de la Syrie, et que le maître de Saint-Jean-d'Acre était le maître de la Syrie. Le cabinet anglais a considéré cette concession comme quelque chose de très considérable, qu'il accordait au désir de faire rentrer la France dans l'affaire. Inquiet sur la puissance du pacha, évidemment jaloux de la restreindre, il croyait accorder beaucoup en lui donnant la place de Saint-Jean-d'Acre, et il le faisait uniquement sous l'empire de ce grand, de ce profond désir de la paix, qui est dans tous les gouvernements et dans tous les pays en Europe. Toutes les transactions ont échoué : l'Angleterre n'a pas voulu de celles de la France; la France n'a pas voulu de celles de l'Angleterre. C'est un grand malheur; car elles valaient mieux toutes que l'état de choses auquel on a enfin abouti. A prendre les événements dans leur ensemble et dans leurs conséquences définitives, il n'y a pas une des transactions proposées, soit par la France, soit par l'Angleterre, qui ne dût être acceptée aujourd'hui de part et d'autre avec empressement.

» Mais le traité conclu, la grande politique abandonnée, l'isolement de la France consommé, il n'y a, je le répète, aucune autre position à prendre que celle qui a été prise par le cabinet dans le discours de la couronne, position qu'il maintient et maintiendra, la position pacifique, armée par précaution et par prévoyance, et expectante. On dit que cela ne suffit pas; on dit que nos intérêts en Orient, que nos relations avec le pacha, que l'injure que nous avons reçue du traité, que l'intérêt de notre influence dans le monde nous commandent autre chose. Je ne le pensé pas. Quant à nos intérêts en Orient, il est évident, messieurs, que la question de savoir quelle sera la répartition des territoires dans le sein de l'empire ottoman entre le sultan et ses pachas, que la question de savoir si la Syrie appartiendra au sultan ou au pacha d'Égypte, n'est pas un grand intérêt pour la France, que ce n'est pas du moins un intérêt duquel la guerre doive sortir.

» Je passe à l'injure, motif qui serait décisif s'il existait.

» La Chambre connaît les faits, elle sait comment les choses se sont passées avant la conclusion du traité du 15 juillet; elle sait qu'il y a eu de part et d'autre des efforts longs et sincères pour se mettre d'accord; elle sait que jusqu'à la fin du mois de juin rien n'a été caché, que tous les moyens de transaction, d'accommodement, ont été tentés, tentés à découvert. Dans les derniers jours du mois de juin, voici quel était l'état des choses. Tous les essais de transaction proposés par la France ou par l'Angleterre avaient échoué. La nouvelle arrivait d'une tentative d'arrange

ment direct entre Alexandrie et Constantinople. Personne ne peut nier que cette tentative ne fût en contradiction formelle avec la note du 27 juillet qui avait dit à la Porte: Ne vous arrangez pas directement avec le pacha, nous nous chargeons de vous arranger. Elle a été connue à Londres dans le courant du mois de juin. On a cru, fort à tort, et contre mes protestations les plus formelles, les plus persévérantes, on a cru que cette tentative était l'œuvre de la France; on a cru que la France, abandonnant la politique du 27 juillet, avait tenté de se faire là une politique isolée, un succès isolé. J'ai dit, j'ai répété officiellement, particulièrement, que cela était faux; on ne m'a pas cru. (Mouvement.) Là s'est établie une erreur obstinée qui a exercé sur les événements une très grande influence. On s'est dit: Puisque la France a voulu suivre une politique isolée et se faire un succès à part, nous pouvons bien en faire autant. L'arrangement à quatre, qui restait en suspeus depuis longtemps, que, j'ose le dire, j'ai concouru à tenir en suspens, d'après les ordres et selon les instructions du gouvernement du roi, cet arrangement a été repris avec une extrême vivacité. Au même moment est venue la nouvelle de l'insurrection de la Syrie. La tentative d'arrangement direct avait donné beaucoup d'espérance. Les projets de transaction encore poursuivis par quelques-uns des plénipotentiaires, ont été glacés, sont tombés par cette seule circonstance, et à l'instant même l'arrangement à quatre, vivement poussé, servi par les faits dont j'ai rendu compte à la Chambre, a été conclu; il a été conclu à l'insu de la France. Pendant les huit ou dix derniers jours qui ont amené la conclusion de l'arrangement, la France a été laissée à l'écart. Les quatre puissances ont été convaincues, et je do ́s ajouter, elles avaient le droit de se dire convaincues que les tentatives de transaction avaient échoué définitivement; on avait répété constamment : - « Si vous ne vous arrangez » pas, si vous ne vous entendez pas avec nous, nous conclurons un ar> rangement à quatre; nous finirons l'affaire à quatre. » On l'a finie à quatre comme on l'avait annoncé, mais sans en avertir une dernière fois la France. Je n'hésite pas à dire qu'il y a eu là envers la France un manque d'égards dont elle doit, par sa conduite et son attitude, témoigner un juste ressentiment. On pouvait se croire en droit de conclure l'arrangement à quatre, de signer sans la France. Il était convenable, il était juste envers un ancien et intime allié de l'avertir qu'on allait signer; de lui demander si définitivement il lui convenait ou non de s'associer à l'entreprise. On n'a pas eu en ce moment, pour la France, pour son gouvernement, tous les égards qu'on lui devait. Messieurs, c'est là un manque de procédés, ce n'est pas une injure, ce n'est pas une insulte politique. On n'a jamais voulu, dans tout le cours de l'affaire, je prie la Chambre de faire quelque attention à ces paroles que je dis après y avoir bien pensé, on n'a jamais voulu ni tromper, ni défier, ni isoler la France; on n'a eu contre elle aucune mauvaise intention, aucun sentiment hostile; on a cru qu'il n'y avait pas moyen de s'entendre avec la France sur les bases de la transaction. On lui avait constamment dit, on lui a répété peu avant la conclusion que

si on ne se s'entendait pas avec elle sur les bases de la transaction, on conclurait un engagement à quatre. On l'a fait, et elle devait s'y attendre; on ne l'a pas fait avec tous les égards auxquels elle avait droit de s'attendre. C'est un tort sans doute, un tort dont nous avons droit de nous plaindre ; mais, je le demande à la Chambre, je le demande aux hommes les plus délicats, les plus susceptibles en fait d'honneur national, et qui cependant conservent et doivent conserver leur jugement dans l'appréciation des faits, est-ce là un cas de guerre ? »

Non, la France n'a pas été insultée, et c'est un fait que M. Thiers lui-même a été contraint de reconnaître en ces termes :

REVUE DES DEUX-MONDES. - Livraison du 15 août 1840, page 645.Lord Palmerston a-t-il voulu outrager la France? NON; on n'a pas facilement une telle intention. »>

SIÈCLE. 18 août 1840. « Tout est dit maintenant sur les circonstances qui ont accompagné le traité de Londres; l'Europe entière les connaît, c'est à l'opinion de les juger. Le gouvernement britannique a-t-il eu L'INTENTION préméditée d'insulter la France? NON. »

II. La France est restée volontairement à l'écart :

REVUE DES DEUX-MONDES.

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Livraison du 1er août 1840, page 486. (Article attribué à M. Thiers par le Courrier français, dont on sait que le rédacteur, M. Léon Faucher, assistait à la pensée de M. le président du 1er mars.) « La France s'est SÉPARÉE et elle a bien fait; son cabinet a bien agi, et il aura avec lui l'opinion de la France et dų monde. »

L'aveu est formel; c'est plus qu'un aveu, c'est une apologie.

III. La France n'a pas, dans la question qui se débat entre Alexandrie et Constantinople, des intérêts commerciaux importants c'est ce qui résulte des recherches faites par M. le baron Charles Dupin dans son discours prononcé à la Chambre des pairs :

«La France fait avec l'univers un commerce annuel qui s'approche de deux milliards... Sur ces deux milliards, la valeur de nos échanges avec cent millions d'étrangers s'élève :

» DANS L'OCCIDENT, à près de neuf cent millions;

» DANS L'ORIENT, à moins de trente-deux millions (1). »

IV. La France s'est étrangement abusée sur la puissance

(1) Moniteur du 18 novembre 1840.

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militaire et maritime du vice-roi d'Égypte; c'est un fait que viennent chaque jour démontrer les documents les plus précis et confirmer les événements les plus imprévus. Les détails suivants donnés par le baron Charles Dupin et par le comte Charles de Montalembert à la Chambre des pairs (1) sont restés sans contradicteurs :

« M. LE BARON CHARLES DUPIN: Si vous consultez uniquement les espaces que démontrent des cartes géographiques, la domination de Mehemet se présente sous l'aspect le plus imposant; avec l'Égypte pour centre, elle s'étend à trois cents lieues d'Alexandrie, vers le midi jusqu'aux confins du Sennaar et de l'Abyssinie; à deux cents lieues vers l'Orient, dans l'Hedjaz et dans l'Arabie, sur les deux rives de la mer Rouge; à deux cents autres lieues vers le nord, à travers la Syrie et jusqu'aux cimes du Taurus. Du centre de ses quatre proies, le pacha lance tour à tour ses forces sur chacune de celles qui s'efforce à briser le joug. Pour suffire à ce labeur, les régiments qui passent, suivant le besoin, du climat de l'Éthiopie au climat des Alpes asiatiques, éprouvent chaque année des pertes dont la moyenne équivaut au quart de l'armée. Tous les quatre ans, le nombre des recrues doit égaler la force de l'armée pour remplir les vides que laissent les combats, les désertions et les morts naturelles, sans aucun congédiement, car le service est à vie. Ainsi, la vie du soldat est de quatre ans sous les drapeaux de Mehemet. Cette proportion même, tout effrayante qu'on puisse la juger, est cependant un grand progrès. En effet, dans l'origine de l'organisation régulière, les premiers vingt mille soldats, tirés du Sennaar, au bout de deux ans, par le seul effet des contagions, de la misère et des exercices, étaient réduits à trois mille. Dès 1831, la consommation progressive et rapide du recrutement avait à peu près enlevé l'Égypte tous les adultes en état de porter les armes ; l'armée, il est vrai, se trouvait complète, bonne au personnel, et strictement exercée; mais le matériel humain, passez-moi ces deux mots qui gémissent de se trouver ensemble, le matériel du recrutement était épuisé : sur six mille individus pressés dans l'Égypte, et conduits enchaînés deux à deux dans un conseil de révision, deux cent cinquante-trois seulement avaient été jugés propres au service. Mehemet a cru qu'il pouvait avoir une marine militaire sans marine du commerce. Il fait ses matelots de toutes pièces, avec des coups de courbache s'il éprouvait la moindre perte dans un combat, il n'aurait rien pour réparer les pertes de son personnel. Maintenant il ne remplace le grand nombre de ses embarqués, qui meurent de misère ou de maladie, que par des fellahs qui n'ont jamais vu la mer. Voilà donc, en définitive, quelle est la position du pacha: de recrutement, il n'en faut plus espérer dans la Syrie; l'Égypte n'a rien à

(1) Moniteur du 18 novembre 1840.

:

fournir; l'Arabie et le Sennaar renouvellent leurs combats; le commerce est annulé par le blocus; il n'y a plus de finances; la famine s'ajoute au dénûment, et le fils de Mehemet, en annonçant qu'il a concentré ses forces, déclare, en style de guerre, qu'il évacue ses points d'occupation coërcitive.

» M. LE COMTE DE MONTALEMBERT: Vous avez vu cette fameuse flotte construite au prix non-seulement de tant de millions d'écus, mais de tant de milliers de vies humaines (car c'est la denrée dont MehemetAli dispose le plus facilement), cette flotte renforcée par la trahison, composée de vingt vaisseaux de ligne, vous l'avez vue renfermée dans le port d'Alexandrie, hors d'état de tenir tête à trois ou quatre bâtiments anglais qui bloquent le port. Vous avez vu cette armée sous un chef qui, même à la tribune nationale, a été comblé des éloges les plus exagérés, qu'on a regardé en quelque sorte comme un nouveau Napoléon : ce capitaine et son armée ont été hors d'état de jeter à la mer 1,800 Anglais et 250 Autrichiens, qui ont eu l'imprudence de débarquer sur la côte de Syrie. On se demande comment la France a pu être si mal servie, si mal informée qu'elle l'a été sur les forces du pacha, au point que les hommes qui se croyaient le mieux instruits m'ont affirmé qu'il y avait 150,000 hommes en Syrie; les plus modérés portaient les forces d'Ibrahim à 80,000; et, sous l'influence de ces folles illusions, on l'a envoyé supplier de ne pas passer le Taurus. Eh bien, non seulement il ne pouvait pas passer le Taurus, mais il est hors d'état, comme vous le voyez, de châtier une brigade anglaise qui venait de faire la tentative la plus imprudente dont l'histoire ait gardé le souvenir. Jamais le pacha n'a eu ces 80,000 hommes dont je parlais tout à l'heure. A l'époque de la bataille de Nezib, il n'en avait que 42,000. Il avait alors compris, avec l'habileté que je ne lui refuse pas, que le seul moyen de dompter l'insurrection de la Syrie, c'était de frapper un grand coup sur l'armée turque qui était venue imprudemment se mettre à ses côtés ; il avait donc réuni toutes ses forces; mais elles ne se composaient que de 42,000 hommes sous ses ordres directs, et 7 à 8,000 à Acre et à Adana. Qu'est-il advenu de ces 50,000 hommes? Par la désertion dont je parlais tout à l'heure, par les pertes inséparables d'une bataille, il avait perdu 5 à 6,000 hommes; 10,000 autres, et ceci vous donnera une preuve de la sollicitude militaire qui règne dans ces pays soi-disant civilisés, 10,000 sont morts de froid pendant l'hiver, parce que ce grand capitaine les avait envoyés dans les montagnes du Liban pour dompter les insurgés, sans autres vêtements que les vestes de coton avec lesquelles ils étaient venus d'Égypte. Il est vrai que Mehemet-Ali a senti la nécessité de renforcer l'armée de son fils. Il lui a envoyé 20 ou 25,000 hommes du fond de l'Égypte, en épuisant ainsi les dernières ressources; mais la moitié a péri de fatigue pendant le trajet. Ceci explique pourquoi Ibrahim, n'ayant pas plus que 40 à 50,000 hommes pour contenir et occuper toute la Syrie, n'a pas osé se présenter avec des forces suffisantes pour écraser la petite force dont les Anglais disposaient

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