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Nous ignorons le sort que la discussion fera à ce projet de

loi.

Il maintient :

Le recrutement par voie d'appel;

L'opération de la révision;

Le tirage au sort;

Le remplacement moyennant le payement d'une contribution déterminée;

La durée du service fixée à sept années.

Nous sommes pour l'abolition du recrutement, de la révision, du tirage au sort et du remplacement : nous ne nous attacherons donc pas à l'examen des dispositions d'un projet de loi dont nous n'admettons pas les bases.

En fait d'organisation de l'armée, nos idées sont d'un siècle en arrière, car il n'est pas inutile de rappeler que, jusqu'à l'époque de notre première révolution, l'armée française fut exclusivement recrutée par la voie des engagements volontaires. On ne cite qu'une seule circonstance antérieure à cette époque où le tirage au sort fut employé. C'était en 1701, sous Louis XIV, lorsque la France, déchirée par le soulèvement des camisards, se trouva engagée à propos de la succession d'Espagne dévolue à Philippe, petit-fils du roi, dans une guerre terrible, où, seule, la France eut à défendre elle-même et l'Espagne contre l'Europe entière.

L'influence exercée dans une société industrielle, où cent, cinq cents, mille, deux mille ouvriers sont agglomérés dans une manufacture, où deux cent mille ouvriers sont agglomérés dans une ville telle que Paris; l'influence exercée dans une société industrielle par une loi de recrutement qui fait passer chaque année 80,000 recrues sous les drapeaux, et libère autant de soldats aguerris au mépris du péril et de la mort, cette influence est un fait dont nous persistons à soutenir que la politique ne tient pas assez compte. La loi de recrutement est une loi essentiellement subversive; par elle, on sème les insurrections; par elle, on récolte des révolutions.

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Mettez l'Angleterre au régime de notre loi de recrutement, et vous verrez si la société britannique, si fortement qu'elle soit constituée, résiste longtemps à cette redoutable épreuve.

L'Anglais a la crainte du péril et l'amour de la loi; le Français a la haine de la loi et le mépris du danger.

C'est qu'en Angleterre la loi est tutélaire; c'est qu'en Angleterre l'armée a pour base l'enrôlement volontaire et à vie, tandis qu'en France la loi poursuit au lieu de protéger, tandis qu'en France le service militaire, au lieu d'être un état, est un impôt.

On ne saurait imaginer un anachronisme plus grossier que celui qui consiste à faire de tout citoyen un soldat malgré lui, au sein d'une société pacifique, d'une société industrielle, d'une société sujette aux crises commerciales, aux chômages, aux grèves, d'une société où la tribune et la presse sont libres, où le droit d'examen et le droit de réu– nion sont d'autant plus dangereux qu'on s'efforce davantage de les limiter.

Il ne s'agit donc pas, dans nos idées, de modifier le système de recrutement en vigueur; il s'agit de donner à l'armée une constitution entièrement nouvelle, une constitution qui ait moins en vue les frontières de la France que les faubourgs de Paris. Répétons-le pour la millième fois, le danger de l'avenir n'est pas la guerre d'Etat à État, mais de peuple à gouvernement. La France renferme dans son sein quinze cent mille libérés du service militaire, âgés de 27 à 48 ans, qui ont passé sous les drapeaux; présents sous les armes, elle ne compte que cinq cent soixante mille soldats. Pour qui sait lire au fond des choses, la condamnation de l'avenir est écrite en toutes lettres dans la loi de recrutement, et telle qu'elle existe, et telle qu'on propose de la modifier.

V.

28 août 1849.

La pétition pour l'abolition du recrutement et la conver

sion en carrière volontaire du service obligatoire se signe dans les bureaux de la rédaction de la Presse, où un registre a été ouvert à cet effet.

Paris est divisé en 48 quartiers; pour éviter les déplacements, un registre sera déposé dans chaque quartier.

Ceux de nos abonnés de Paris à qui il conviendrait, dans le désir de s'associer à cette grande et utile réforme, d'avoir le dépôt d'un de ces 48 registres, n'auront qu'à nous envoyer leurs adhésions. Immédiatement, nous leur ferons remettre le registre nécessaire, et nous les inscrirons sur la liste des 48 noms que nous publierons dès qu'elle aura été définitivement arrêtée.

Jamais réforme n'aura valu plus de bénédictions à ses promoteurs !

80,000 jeunes gens sont appelés tous les ans et forcés de quitter le toit paternel pour servir sous le drapeau militaire! Le remplacement militaire est un impôt annuel évalué à soixante millions de francs (1) !

Que de toutes parts des pétitions se signent, à l'effet de demander et d'obtenir l'abolition de l'esclavage militaire, et les gouvernements ne tarderont pas à adopter cette base uniforme d'une force publique n'excédant pas le 200° du chiffre de la population!

Ce sera plus d'un milliard que l'Europe économisera par an et qu'elle pourra consacrer au perfectionnement de toutes ses voies de communication, à la réduction des impôts, à l'allégement du budget, à la baisse de l'intérêt.

Alors le service militaire cessera d'être une cause de perturbation pour devenir une issue offerte à beaucoup de jeunes gens aujourd'hui sans profession et sans vocation!

(1) Sur un effectif de 308,000 soldats et sous-officiers, les remplaçants étaient, au 1er janvier 1845, au nombre de 80,000; ils dépassaient donc le QUART de l'effectif. »

« Sur un effectif de 340,000 soldats étaient, au 1er janvier 1847, 112,000 mée. »

(Moniteur 1847, p. 878.)

et sous-officiers, les remplaçants hommes; c'était le TIERS de l'ar

(Moniteur 1847, p. 893.)

M. Odilon Barrot écrivait, le 14 novembre 1848, que « la » réduction de l'armée était l'unique moyen d'échapper à une >> BANQUEROUTE TROP IMMINENTE. » A notre tour, nous disons que l'unique moyen de réaliser cette réduction de l'armée, c'est de ne rien épargner pour faire prévaloir ces deux grands principes:

ARMEMENT AU 200o DE LA POPULATION;

ABOLITION DE L'ESCLAVAGE MILITAIRE.

Si l'on multiplie la force par la mobilité d'une armée de 180,000 Français, composée avec tout le soin que les Romains apportaient dans le choix de leurs soldats, et pouvant être transportée du centre à la circonférence ou de la circonférence au centre avec la vitesse des chemins de fer, on aura une force publique décuple de celle dont la Restauration disposait.

Il est temps de sortir de l'ornière, car l'ornière est un gouffre; ce gouffre s'appelle la Banqueroute creusée par la misère des travailleurs sans travail et la souffrance des familles sans pain.

Réduisez les dépenses! - crie-t-on de toutes parts. Mais comment les réduire, si on veut conserver tout et ne réformer rien?

Réduire l'armée ou augmenter l'impôt, telle est l'étroite alternative entre laquelle il faut que la France choisisse.

Eh bien ! de ces deux périls d'une guerre extérieure ou d'une révolution sociale, lequel est le moins probable?

Aurait-on déjà oublié l'influence exercée surtout dans les campagnes par l'impôt des 45 centimes, et ne se souviendrait-on pas que des élections générales auront lieu en 1852, élections auxquelles seront appelés à prendre part tous les contribuables? L'exemple des Républicains de la veille sera-t-il perdu pour les Républicains du lendemain ?

Que ces derniers y songent, car ils seront jugés sur leurs œuvres et pesés dans les balances du budget, eux d'un côté et de l'autre l'impôt.

1848.

LA FÊTE DE LA FRATERNITÉ.

I.

21 avril 1849.

LA FÊTE DE LA FRATERNITÉ! Tel est le nom officiel donné à cette journée, qui, de sept heures du matin à onze heures du soir, a vu défiler au bruit du canon, au son du tambour, aux chants de la Marseillaise! aux cris de: Vive la ligne! 400,000 baïonnettes autour de l'Arc-de-Triomphe de l'Étoile, ce monument posthume élevé en l'honneur de la Guerre, aux frais de la Paix, inspiré par la Gloire, exécuté par la Liberté, conçu par Napoléon, achevé par Louis-Philippe, gigantesque antithèse sculptée dans la pierre, curieuse alliance d'idées contraires, parfaite image du caractère français !

Ainsi nous sommes.

C'est armés de fusils, d'armes destinées à donner la mort, que nous nous appelons frères !

Des fusils! Pour quoi et contre qui?

Pour quoi? Est-ce que la guerre nous menace? Est-ce qu'il nous faut marcher à la défense de nos frontières envahies ou de nos remparts assiégés?

Contre qui? Est-ce que les mairies ne délivrent pas de fusils à quiconque se fait inscrire dans les rangs de la garde nationale, aussi bien à ceux qui vont en chercher avec l'intention de s'armer pour attaquer le gouvernement

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