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que l'impôt n'élève pas démesurément le prix de revient de tous les objets de consommation les plus nécessaires à la vie. si l'on veut que le bien-être descende du faîte à la base, si l'on veut enfin que se comble le gouffre des révolutions, plus d'emprunts qui enlèvent, pour le donner à la guerre, l'argent dont le travail a besoin. J'appuie donc de toute l'énergie de mes convictions le projet de résolution du Congrès. Honte à qui désormais concourra à un emprunt faisant du crédit une arme de guerre et un instrument de ruine, au lieu d'en faire une arme de paix et un instrument de prospérité.

CINQUIÈME RÉSOLUTION.

Le Congrès adopte le principe de non-intervention et reconnaît qu'il n'appartient qu'à chaque État de régler ses propres affaires.

M. ÉMILE DE GIRARDIN: En montant à cette tribune où je suis appelé, je ne me dissimule pas que je vais blesser des susceptibilités que j'honore, car je viens soutenir le principe de non-intervention dans ses termes les plus absolus. A mon sens, tout principe qui n'est pas absolu cesse d'être un principe. Je ne suis pas de ceux qui pensent que l'exception confirme la règle; je pense au contraire qu'elle la détruit. Toute règle qui admet une exception cesse de valoir comme règle; je la compare à une bouteille soigneusement bouchée, mais qui laisserait échapper lentement son contenu par une fêlure inaperçue.

Dès qu'on admet au principe de non-intervention une seule exception, une seule, aussitôt l'on rentre forcément par voie de conséquence dans le système de la paix armée, dans ce système qui coûte à l'Europe un milliard par an. Dès qu'on suppose un seul cas où un État devra intervenir, ne fut-ce que pour faire respecter le principe de non-intervention, cette supposition, se transformant en prévision, exige qu'un État ne s'expose pas à se laisser prendre au dépourvu par l'éventualité. Je défie que l'on me réponde le

contraire. Donc, admettre une seule exception au principe de non-intervention, c'est acquiescer indirectement au maintien de ce qui existe: Armées ruineuses, budgets écrasants, impôts sans nombre, consommation restreinte, misère croissante. C'est là ce que je ne veux pas; est-ce là ce que vous voulez?

Je sais par quel côté l'opinion que je soutiens est attaquable; car plus d'une fois j'ai eu à la défendre contre des contradicteurs qui me disaient : Vous souffririez donc qu'un gouvernement étranger intervînt dans les affaires d'un peuple, sans intervenir vous-même pour l'empêcher! Quoi qu'il puisse m'en coûter, je n'hésite pas à répondre affirmativement, car si aucun État ne commence par donner l'exemple le plus scrupuleux du respect le plus absolu du principe de non-intervention, comment réussira-t-on à faire entrer ce principe dans le droit des gens nouveau? J'ai dans la force du droit et dans le droit des peuples plus de confiance que ceux qui placent la défense de la liberté sous la protection du sabre. Interrogez le passé! Combien de guerres ont été commencées au nom de la liberté ! Toutes n'ont-elles pas toujours fini par tourner contre elle?

N'est-ce pas en faisant appel au sentiment de la liberté de tous les peuples que l'on a réussi, en 1814 et en 1815, à les soulever et à les coaliser contre la France? Hélas! qu'y ont-ils gagné? Citez-moi donc une seule intervention dont peuple et gouvernement aient eu à s'applaudir! J'en connais une récente, qui, elle aussi, s'est faite en se parant des sentiments les plus généreux, en disant qu'elle allait abriter tous les droits légitimes. Comment les a-t-elle abrités ? En commençant par un bombardement qui a duré trente jours; en renversant un gouvernement établi; en rétablissant un gouvernement renversé. Cette intervention, qui languit depuis un an, ne sait plus ni comment rester ni comment sortir, car, après l'occupation, l'évacuation : c'est là l'écueil de toutes les interventions, c'est là leur pierre d'achoppement.

Toute intervention suppose nécessairement deux partis en

lutte; toute intervention est donc contrainte d'arborer le drapeau d'un parti; si ce parti était le plus faible, s'il était hors d'état de se défendre par lui-même, que deviendra-til dès qu'il n'aura plus pour l'appuyer l'intervention? L'intervention ne se retirera-t-elle périodiquement que pour revenir indéfiniment?

Si l'intervention n'est pas la guerre générale et à outrance de tous les peuples contre tous les rois, ou de tous les rois contre tous les peuples, c'est un non-sens; mais après que tous les peuples auront vaincu tous les rois, qui préservera les peuples des généraux victorieux? Qui me garantira que cette guerre européenne et à outrance n'aboutira pas uniquement à un changement de maîtres, lesquels commenceront par s'appeler consuls et finiront par s'appeler empereurs? Je me défie singulièrement de la guerre, car je ne vois pas qu'elle ait jamais profité à la liberté d'aucun peuple. Partout, au contraire, où la paix a duré, si lentement que ce soit la liberté a gagné du terrain, l'arbitraire en a perdu, les peuples se sont éclairés, unis et fortifiés. Je n'ai de confiance que dans la paix. Mais ma confiance en elle est entière. Souhaitons qu'elle reprenne son cours un moment troublé par la Révolution de 1848, et, par la paix, n'en doutons pas, se résoudront non seulement toutes les questions d'unité qui tourmentent l'Allemagne et l'Italie, mais encore les problèmes de bien-être qui agitent l'Europe industrielle. Plus la durée de la paix se prolongera, et plus le chiffre des baïonnettes se réduira; c'est le but auquel il faut tendre constamment et patiemment, car lorsque les baïonnettes disparaissent, les idées se montrent.

Je reviens à l'objection qu'on oppose à mon opinion. De deux choses l'une ou le gouvernement qui sera intervenu à main armée dans les affaires intérieures d'un peuple se sera rendu odieux par les excès qu'il aura commis, ou bien au contraire il se sera prudemment appliqué à les éviter. S'il n'est tombé dans aucun excès, ne devra-t-on pas s'applaudir d'avoir épargné le sang qu'une guerre eût fait couler? Si, au contraire, il n'a su que se rendre odieux, si grand

que soit le nombre des victimes qu'on suppose qu'il fasse, ce nombre sera toujours moins considérable que celui des victimes qu'eût fait la guerre, et partout où il existera une tribune et une presse libres, cette presse et cette tribune s'uniront pour flétrir son indigne conduite. Croit-on que ce ne soit rien? Ce serait se tromper étrangement, et, pour justifier la guerre, calomnier la liberté.

La paix établit, étend et resserre la solidarité des peuples; de la cause de chacun d'eux elle fait la cause de tous. Mais dès que la guerre éclate, cette solidarité se rompt, les rivalités se réveillent, les inimitiés se raniment, le peuple et son gouvernement, qui faisaient deux, se rapprochent et ne font plus qu'un; les peuples, au contraire, qui ne faisaient qu'un se divisent... Dans l'intérêt général des peuples, dût la liberté de l'un d'eux en souffrir passagèrement, il importe donc de s'enfermer hermétiquement dans le principe de non-intervention, et de n'en sortir couvert sous aucun prétexte, entraîné par aucune considération. S'il est possible de faire entrer dans le droit des gens, dans le droit international, le principe absolu de non-intervention, soyons certains que ce ne sera que par cette voie. Il n'y en a point d'autre. Certains organes de la démocratie peuvent penser et prétendre le contraire; mais, qu'ils me permettent de le leur dire, montrer tant de confiance dans la guerre, c'est en montrer trop peu dans la liberté. Que l'Angleterre, les États-Unis et la France proclament hautement et d'accord, par la voix de leurs hommes d'État, de leurs diplomates, de leurs orateurs et de leurs écrivains, le principe absolu de non-intervention, et, de tous les principes sur lesquels repose le droit des gens, il n'y en aura pas de plus respecté. Qui donc oserait y attenter? Je pose la question, et j'attendrai la réponse.

(Le Congrès de la Paix se sépare en votant une résolution par laquelle tous les membres de la Société de la Paix s'interdisent tout duel par leur entrée même dans la société.!

III.

7 février 1853.

Le Journal des Débats traite en 1853 M. Cobden sans plus de façon qu'il traitait, en 1846, M. Peel. Mais quatre ans après avoir prodigué à M. Peel la raillerie et l'outrage, le Journal des Débats lui prodiguait l'éloge; ce qui prouve qu'il ne faut attacher d'importance ni aux éloges ni aux railleries de ce joyeux et leste journal, qui vise à se donner l'air sérieux en persiflant le Congrès de la Paix.

Si « le Congrès de la Paix est une idée baroque; s'il ne lui » manque qu'une toute petite chose, le sens commun; s'il >> est absolument comme la jument de Roland, qui avait » toutes les qualités possibles, et qui n'avait qu'un seul dé» faut, celui d'être morte, » ce qu'affirme le Journal des Débats, que faut-il donc penser de ce qu'on va lire :

« Le génie de la guerre est le grand destructeur du capital; il se repaît d'or non moins que de sang. Si le capital que possède la civilisation aujourd'hui est si modique en comparaison des longs siècles de travail et d'abstinence qui ont été consacrés à le former, il faut s'en prendre à la prépondérance qu'a eue constamment l'esprit guerrier dans les conseils des gouvernements, même constitutionnels. L'esprit guerrier est funeste à la liberté de plus d'une façon. Il ne se borne pas, en effet, à inspirer aux hommes le goût de la violence; à mettre sur le pavois des ambitieux et à leur fournir des instruments d'oppression. En détruisant le capital, il tend à ramener la société aux conditions essentielles qui jadis motivaient l'esclavage et le rendaient inévitable : la pénurie du capital en proportion du nombre des hommes. L'usage conservé encore par les grands États de l'Europe d'entretenir de nombreuses armées, même en pleine paix, est un legs des temps où les nations étaient sous le joug de noblesses conquérantes qui, par rapine ou par orgueil, guerroyaient sans cesse les unes contre les autres, aux dépens des populations, et qui gardaient des bandes armées pour opprimer les paisibles travailleurs. Depuis trente ans on fait profession d'adorer la paix : on n'en pressure pas moins les populations pour tenir sur pied des forces innombrables. La France est de tous les États de l'Europe celui qui s'est le plus chargé pour l'entretien de ses forces de terre et de mer: depuis plusieurs années elle paye au démon de la guerre un tribut de 500 à 550 millions, indépendamment de la part de la dette publique qu'il faut attribuer à la guerre, et sans compter le capital

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