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battre la peste, à prévenir et à combattre la famine, à prévenir et à combattre l'inondation, à prévenir et à combattre 'incendie. Pourquoi ce que l'homme civilisé fait contre l'incendie, l'inondation, la famine, la peste, ne le fait-il pas contre la guerre ?

Une nation encore barbare, la Russie, et sa barbarie est ce qui peut seule expliquer et excuser sa conduite, paraît devoir, après trente années de paix, rendre la guerre imminente. Si, malgré tous les obstables réunis qui s'y opposent, la guerre éclate, l'Europe civilisée doit viser plus haut; ce qu'elle doit faire, c'est la guerre à la guerre.

C'est la guerre qu'il faut tuer avec le dernier boulet tiré! C'est la guerre qu'il faut ensevelir dans le dernier drapeau déchiré!

C'est la guerre qu'il faut enterrer dans le dernier champ de bataille où des hommes à la place d'épis auront été fauchés !

Une telle guerre sera la guerre sainte, car ce sera la dernière guerre.

Ce sera la paix définitive et permanente succédant à la paix précaire et intermittente.

Ce sera la force relative transformée en faiblesse absolue par la démonstration victorieuse de cette éclatante vérité: << Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître! »

Ce sera la force brutale remplacée, conséquemment détruite, par la force morale !

Ah! si la guerre qu'il eût été si facile de prévenir ne peut plus être évitée, qu'au moins le sang qu'elle va faire couler ne soit pas du sang vainement répandu! Qu'il profite à l'humanité autant qu'il lui coûtera ! Que cette guerre soit le tombeau de la Gloire, fille stérile du Passé, et le berceau de la Liberté, mère féconde de l'Avenir ! Qu'elle n'agrandisse aucun État, mais qu'elle délivre les hommes ! Qu'elle ne recule aucune frontière territoriale, mais qu'elle étende les garanties morales! Qu'elle ne soit pas la conquête, mais qu'elle soit la civilisation! Qu'elle fasse profondément

réfléchir peuples et gouvernements! Surtout, qu'elle rende désormais plus modestes et moins railleurs tous ces idolâtres de la Routine, si empressés, pour se la rendre propice, de lui immoler impitoyablement toute idée juste qui leur paraît neuve, car la guerre qui gronde au-dessus de leurs têtes est la condamnation de leur présomptueuse ignorance! Sans eux, sans leur esprit à la fois sceptique et superstitieux, il eût été aussi facile de mettre l'Europe à l'abri du risque de la guerre qu'il est facile de mettre un clocher à l'abri du danger de la foudre, un propriétaire à l'abri de la ruine par suite de l'incendie de sa maison, ou un armateur à l'abri de la perte, par suite du naufrage de son navire.

La guerre est un risque : il suffisait, pour qu'il disparût, de le dénationaliser; il suffisait pour le dénationaliser d'en faire l'objet d'une assurance spéciale qui réalisât ces mémorables paroles de Mirabeau. « C'est la faiblesse qui ap» pelle la guerre; une résistance générale serait la paix » universelle. »>

1854.

ASSURANCE CONTRE LE RISQUE DE GUERRE.

« L'Europe ne formera bientôt que deux partis ennemis on ne s'y divisera plus par peuples et par territoires, mais par principes et par opinions. Et qui peut dire quelles seront les phases et la durée de tant d'opinions? Car l'issue n'en saurait être douteuse Les lumières et le siècle ne rétrograderont pas. "

L'EMPEREUR NAPOLÉON.

Mémorial de Sainte-Hélène, t. I, p. 147.

I.

24 février 1854.

S'allier contre la Russie représentant le risque de guerre, ainsi que viennent de le faire l'Angleterre et la France, c'est s'assurer; c'est assurer le faible contre le fort, c'est assurer la civilisation contre la barbarie, c'est combattre le risque par l'assurance.

Or, s'il a été possible de conclure, en février 1854, le traité d'alliance annoncé par lord John Russell, véritable contrat d'assurance contre le risque de guerre, n'eût-il pas été également possible de le conclure en février 1853, et même plus tôt, ce qui eût épargné à l'Europe les funestes complications et les désastreuses perplexités à l'épreuve desquelles elle est mise depuis un an? Lorsqu'on doit finir par placer un paratonnerre sur le clocher menacé par la foudre, n'est-il pas à la fois plus rationnel et plus économi

que de le poser avant l'incendie qu'après l'incendie ? C'est à ces termes que se réduit maintenant toute la question entre ce qu'on vient de faire en 1854 et ce que j'avais proposé de faire en 1852.

Dans ce traité d'alliance est le germe de l'assurance, comme l'aigle est dans l'œuf et le chêne dans le gland. Que faut-il à ce germe pour qu'il en sorte un monde nouveau ? Il suffit d'un simple appel de l'Angleterre et de la France adressé à l'Europe civilisée. Toutes les puissances qui redoutent la guerre; toutes les puissances qui fléchissent sous le poids de la dépense des armées permanentes s'empresseraient d'apposer leurs signatures au-dessous des signatures de la France et de l'Angleterre. Que pourrait alors l'Europe barbare contre l'Europe civilisée, et quel péril la paix aurait-elle désormais à craindre de la guerre ?

Pourquoi donc l'Angleterre et la France, qui sont sur la voie de la vérité, n'iraient-elles pas jusqu'au bout? Pourquoi donc s'arrêteraient-elles à mi-chemin? Serait-il donc si difficile de transformer la Diète germanique en Diète pacifique? Où serait la difficulté et d'où viendrait-elle ?

II.

28 février 1854.

E L'Assemblée nationale, qui se moque si gaîment de l'idée de transformer la guerre en un risque efficacement combattu et successivement détruit par l'assurance, n'auraitelle donc jamais lu Labruyère ?

Voici le tableau qu'il fait de la guerre :

« Si l'on vous disait que tous les chats d'un grand pays se sont assemblés par milliers dans une plaine, et qu'après avoir miaulé tout leur saoul, ils se sont jetés avec fureur les uns sur les autres et ont joué ensemble de la dent et de la griffe; que de cette mêlée il est demeuré de part et d'autre neuf à dix mille chats sur place qui ont infecté l'air à dix lieues de là par leur puanteur; ne diriez-vous pas : Voilà le plus abominable sabbat dont on ait jamais ouï parler! Et si les loups en faisaient de même, quels hurlements! quelle boucherie! Et si les uns ou les autres vous disaient qu'ils aiment la gloire, concluriez-vous de ce discours qu'ils la met

tent à se trouver à ce beau rendez-vous, à détruire ainsi et à anéantir leur propre espèce ? ou, après l'avoir conclu, ne ririez-vous pas de tout votre cœur de l'ingénuité de ces pauvres bétes? »

Harrington a complété en ces termes la pensée de Labruyère :

« Mettez des petits chiens dans un sac et secouez le sac, tous les chiens se mordront; il ne viendra à aucun l'idée de mordre la main qui les se

coue. »

Qu'est-ce que la transformation de la guerre en un risque et du risque en assurance, sinon la pensée de Labruyère et de Harrington traduite dans sa plus simple forme d'application?

III.

6 février 1855.

Si l'Angleterre, qui dispose d'une si grande force, l'exercice paisible et incontesté du droit de réunion, droit auquel elle est redevable de sa réforme douanière, du rétablissement de son équilibre financier et de sa prospérité commerciale depuis 1846; si l'Angleterre, au lieu d'imposer à de justes répugnances son dernier bill sur les enrôlements à l'étranger et de renverser le ministère Aberdeen pour en offrir la succession à lord Derby, eût arboré le drapeau de l'assurance contre le risque de guerre, il eût suffi de former cette ligue de la civilisation contre la barbarie pour rendre inutiles et l'expédition sur les rives du Danube, et l'expédition sur les côtes de la mer Noire, et l'expédition dans la Baltique, qui ont amoindri plutôt qu'agrandi l'idée qu'on se faisait généralement de la puissance britannique!

Quoi de plus simple, cependant, que l'application du principe de l'assurance au risque de guerre? C'est ce qui est démontré de la manière la plus péremptoire, la plus irréfutable, dans le livre deuxième du volume intitulé: LA POLITIQUE UNIVERSELLE; c'est ce qui résulte non moins péremptoirement des Notes et des pièces qui forment l'appendice de ce livre.

En effet, qu'est-ce que le traité de Confédération des États

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