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1855.

LA PAIX ARMÉE ET LA PAIX ASSURÉE.

"A la paix, j'aurais amené tous les souverains à n'avoir plus que leur simple garde. »

NAPOLÉON, empereur.

L.-N. BONAPARTE. T. I, p. 261.

"On parle de combats éternels, de luttes interminables, et cependant il serait facile aux souverains de consolider la paix pour toujours; qu'ils consultent les rapports et les mœurs des diverses nations entre elles, qu'ils leur donnent leur nationalité et les institutions qu'elles réclament, et ils auront trouvé la vraie balance politique. Alors tous les peuples seront frères, et ils s'embrasseront à la face de la tyrannie détrônée, de la terre consolée et de l'humanité satisfaite. »

L.-N. BONAPARTE. T. I, p. 81.

« La guerro m'a toujours paru le fléau de l'humanité; j'espère qu'il viendra une époque de civilisation où l'on ne comprendra pas comment des hommes se sacrifiaient pour le bon plaisir et les intérêts des autres. Mais il faut, pour réaliser cet espoir, qu'un pays ne se croie pas le droit de venir imposer des lois à un autre, car avant tout il faut être fort, même pour être libre. "

REINE HORTENSE.

I.

15 mars 1855.

L'hiver a fait place au printemps; l'empereur Nicolas Ier a fait place à son fils Alexandre II; le moment est venu de rompre le silence; le moment est venu de répondre aux sommations de l'auteur anonyme de la brochure qui a paru sous ce titre :

LE JOURNALISME ACTUEL ET LA LETTRE A L'EMPEREUR.

XII.

52

L'auteur anonyme s'adresse en ces termes à la presse française:

« La presse, comme institution, n'a jamais été qu'un moyen de gouvernement, et elle n'a pu se relever de ce défaut originel: organe, tour à tour, de tel parti ou de tel individu, qui désirait arriver ou rester au ponvoir, son rôle se bornait toujours aux questions personnelles, aux intrigues électorales et parlementaires; son action consistait à attaquer les majorités ou à les défendre, à encourager ou flétrir les minorités, à faire rejeter ou adopter tel ou tel projet de loi, contraire ou conforme à ses intérêts. Etait-ce une situation normale et régulière? Cette situation a inspiré, il est vrai, de brillantes pages, des aperçus pleins d'habileté relative, de verve et de finesse, mais elle a restreint le cercle de la discussion, elle a forcé les plus belles intelligences, les plus incontestables talents, à se renfermer dans des questions étroites de détails, d'intérêt local, d'influences personnelles et passagères.

» La loi nouvelle qui régit la presse l'a replacée sur sa véritable base. Mais les modifications qu'elle a subies ont frappé l'esprit routinier qui présidait à ses évolutions d'une stupeur tellement profonde, qu'elle n'a pu jusqu'à présent reprendre son équilibre, et qu'elle en est encore à rechercher le terrain sur lequel elle puisse se mouvoir à son aise. Du jour où son action offensive se vit paralysée, la presse s'est trouvée sans boussole et sans inspiration, flottant au hasard, cherchant son mot d'ordre dans les journaux étrangers, et négligeant, moitié par indifférence, moitié par timidité, la large part qui lui est toujours réservée dans la marche des choses humaines, en dehors de l'action officielle. Il y a là une grave erreur et une tendance déplorable. En effet, qu'a de commun la presse avec le gouvernement du pays? Toute usurpation qu'elle fait dans ce sens conduit directement, à travers la confusion dans les esprits, au désordre dans les choses. Le rôle de la presse est d'éclairer l'opinion, de combattre les préjugés, d'adhérer par la discussion à tout ce qui touche au progrès moral, matériel et intellectuel de l'homme et de la société en général, et d'éviter tout ce qui peut entraver la marche naturelle des choses. Tout ce qui est donc du ressort administratif, gouvernemental, ne lui appartient d'aucun droit; tout ce qui est en dehors constitue son domaine. C'est juste et logique, et certes c'est suffisant; mais, grâce à d'anciennes habitudes, ce rôle ne lui convient pas entre les deux termes extrêmes du journalisme, l'abus et l'abandon de toute influence, elle n'a pas su trouver le milieu qui lui est propre, et au lieu de se saisir, avec vigueur et courage, de tous les sujets qui y abondent, elle a préféré, comme Achille, se retirer sous sa tente, au risque de se condamner à une inaction inféconde qui pèsera sur ses destinées.

» Les divers organes de la presse française n'ont jamais songé qu'à étendre leur influence personnelle, et leur rôle pour y parvenir a été de détruire tout ce qui faisait obstacle à leur ambition.

>> Habile à détruire, mais non à conserver, le journalisme n'a jamais rien créé, et son instinct d'opposition contre les hommes, et d'indifférence pour les choses, l'a rendu peu sympathique aux questions nationales, qu'il n'a jamais voulu et su approfondir. Et pourtant, pour procéder avec ordre, dans cette marche progressive que suit l'humanité, il faut que les rapports politiques des hommes soient réglés sur une base rationnelle et équitable, avant d'aborder avec succès ces réformes sociales dont on s'occupe tant, et qui ne peuvent s'opérer partiellement; il faut, à côté des droits de l'homme, reconnaître les droits des nations, car c'est à l'application rigoureuse de ces droits que se borne la tâche imposée aux temps modernes. Or, pour reconnaître et appliquer ces droits, il faut les étudier et les comprendre, et il ne suffira plus bientôt, du train dont marchent les choses, d'opposer un silence dédaigneux, ou une ironie de mauvais aloi, à des arguments puisés dans l'histoire et dans la nécessité de la situation.

>> On s'est plaint des entraves opposées à la liberté de la presse; mais quelles sont donc ces libertés qu'on regrette si aigrement? Est-ce la liberté des attaques personnelles, de la calomnie, de l'injustice, de l'exagération, des jugements téméraires, des opinions de circonstance et de fantaisie? Vous n'avez plus, il est vrai, le droit ni les moyens d'attaquer un gouvernement appuyé sur une base inattaquable; il vous est impossible de faire de votre journal une machine de guerre contre une individualité qui vous gêne ou vous déplaît ; vous n'avez plus l'espoir de faire adopter ou rejeter telle question administrative ou fiscale qui rentre dans votre programme ou y est opposée; mais vous avez le droit d'étendre et d'agrandir votre point de vue, d'élargir votre horizon; pourquoi n'en usezvous pas ? Vous avez la liberté d'élever vos idées, de faire sortir vos discussions hors des barrières de Paris ; pourquoi ne le faites-vous pas ? Vous semblez dédaigner toutes ces libertés, comme si elles ne valaient pas toutes celles que vous avez perdues. »>

Je réponds:

Anonyme, qui êtes-vous pour tenir ce langage?
Lorsqu'on parle ainsi, on dit son nom.

Vous affirmez que les écrivains de la presse périodique ont « la liberté d'élever leurs idées, de faire sortir leurs >> discussions hors des barrières de Paris. » Qu'en savezvous? Êtes-vous l'un d'eux? Est-ce que j'ai eu la liberté d'achever la série d'articles qu'en août 1854, au lendemain de la révolution d'Espagne, j'avais commencée sous ce titre : L'ORNIÈRE DES RÉVOLUTIONS? Est-ce que je n'ai pas été officieusement averti d'avoir à l'interrompre? Est-ce que je n'ai pas été officiellement averti pour avoir donné place, le

22 mars 1854, à la lettre de l'ancien président de la république de Venise, l'illustre Manin? Est-ce qu'enfin j'ai pu dire toute ma pensée sur la guerre dont la Crimée a fini par être le champ de bataille ?

Est-ce que l'écrivain au-dessus de la plume duquel est constamment suspendue la menace de suppression de son journal, pain quotidien de plus de cinq cents travailleurs, propriété indivise de veuves et de mineurs, a l'entière liberté de dire ce qu'il croit être la vérité, s'arrêtât-il à la limite qu'il vous plaît de tracer? S'il avait cette liberté, il ferait des articles et ne ferait pas de brochures, car le nombre des lecteurs de celles-ci est toujours très restreint, relativement au nombre des lecteurs de ceux-là. Pourquoi fait-il des brochures et ne fait-il pas d'articles? C'est que pour une brochure saisie la responsabilité est individuelle, tandis que pour un journal suspendu ou supprimé, la responsabilité est collective; elle dégénère en solidarité et retombe injustement sur qui n'a rien fait pour l'encourir.

Auteur anonyme, vous continuez et vous dites :

« Quand on veut mériter le nom de publiciste, il faut tâcher de voir clair dans une situation; or, comment y arriver si on ne pose hardiment les questions, si on ne les discute au grand jour? On se doit des ménagéments de gouvernement à gouvernement, de souverain à souverain; mais d'homme à homme, de peuple à peuple, on se doit la vérité avec toutes ses déductions philosophiques, car c'est ainsi que se forme l'opinion publique, qu'une idée qui a germé trouve son point d'appui et son développement. Le rôle d'un homme pensant n'est pas d'éteindre une idée ou de la dénaturer, mais de l'approfondir et de l'éclairer; là doivent se borner nos efforts : aller plus loin, c'est empiéter sur l'action gouvernementale, qui doit rester aussi libre que la pensée. »

Lorsque vous déclarez que l'action gouvernementale doit rester aussi libre que la pensée, je suis sur ce point pleinement de votre avis; car de même que je ne comprends pas la presse sans l'entière liberté d'écrire, je ne comprends pas le gouvernement sans l'entière liberté d'agir, mais simultanément et concurremment.

Est-ce qu'en Angleterre la liberté d'agir est moins grande qu'en France, parce que la liberté d'écrire y est plus étendue?

S'il arrive parfois que l'action gouvernementale y soit gênée, ce n'est point parce qu'elle y est contenue par la presse périodique, c'est parce qu'elle y est divisée. Toute complication est une perte de force utile; or, le régime parlementaire, qui repose sur la division du pouvoir en pouvoir législatif et en pouvoir exécutif, est une complication; conséquemment elle disparaîtra.

Liberté pour tous! Liberté pour ceux qui gouvernent, comme liberté pour ceux qui écrivent! Indépendance réciproque et séparation absolue de la puissance nationale et de la puissance individuelle !

Assez de fois j'ai exposé et développé cette formule, la seule qui dénoue tous les nœuds, la seule qui dissipe toutes les fictions, pour n'avoir rien à craindre de la grave responsabilité dont vous menacez, en ces termes, les publicistes qui ne se font pas les échos de votre voix :

« Il pèsera une grave responsabilité sur ceux qui, ayant au moyen de la presse un puissant levier entre leurs mains, se taisent dans une question qui touche de si près à l'intérêt commun de l'Europe civilisée. N'y a-t-il donc rien à faire dans les circonstances actuelles? Ne serait-ce pas à la hauteur d'un publiciste d'approfondir une situation qui n'a guère de précédent dans l'histoire, de se mettre à la recherche de cette synthèse politique qui doit réhabiliter le passé sans froisser les susceptibilltés présentes, sans léser les intérêts existants? Mais la presse française n'est guère à la hauteur de ces conceptions; renfermée dans ses vues mesquines et étroites, dans ses petites passions de partis, dans ses liquidations de quinzaine, elle ne veut pas franchir les limites qu'elle s'est tracée, et ne sait opposer à toutes les idées qui viennent la déranger dans ses habitudes que le silence ou le banal argument d'inopportunité. Triste symptôme de décadence et d'annihilation, de vieillesse et de décrépitude! »

Vous qui avez le verbe si haut, êtes-vous bien sûr que vos conceptions soient à la hauteur de vos paroles?

Serait-il donc vrai qu'il n'y eût en Europe, dans le présent, qu'une grande question : celle qui consisterait à abattre la Russie en relevant la Pologne ?

Tel n'est pas mon avis.

La Russie déchue ne tarderait pas à se relever.

La Pologne relevée ne tarderait pas à déchoir.

Votre politique, celle de l'auteur de la LETTRE a l'empe

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