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« vérifier par experts, sans préjudice toutefois des moyens fondés sur le dol, la fraude ou la violence, quand il y aura « lieu. »>

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S'il fallait se décider, continue M. Berlier, entre ce projet et celui de la section, il pense que les articles qu'il vient de lire mériteraient la préférence; mais le système réduit à ce point sera d'une application extrêmement rare, et il reste à examiner s'il ne vaut pas mieux dénier toute action contre le contrat à ceux qui n'articulent ni dol personnel, ni fraude, ni violence.

L'opinant demande au Conseil la permission de l'entretenir un instant d'un ouvrage fort savant, où la question a été très-approfondie.

Chrétien Thomasius, docteur allemand, dans sa 73 dissertation intitulée de Æquitate cerebrina, leg. 2, C. de Res cind. Vend. (dissertation citée par Barbeyrac sur Grotius et Puffendorff), établit, comme on peut le voir en recourant à une nouvelle édition de ses œuvres in-4°, imprimée à Magdebourg, 1777, que cette loi est loin de mériter les éloges que lui ont donnés quelques jurisconsultes.

En analysant cette dissertation très-étendue et écrite en langue latine, et en recueillant quelques traits principaux, on trouvera que cette loi n'existait pas dans les beaux temps du droit romain, et qu'il est même douteux qu'elle ait existé du temps de Dioclétien, à qui on l'attribue.

L'auteur puise ses raisons de douter, 1° dans quelques textes qui contredisent évidemment cette loi 2; 2° dans la circonstance que les collaborateurs de Tribonien ne l'ont pas recueillie dans les Pandectes.

Il pense que Tribonien a pu prendre cette loi dans une source suspecte (le code Hermogénien), et il incline à la regarder comme apocryphe dans son origine; mais il prouve surtout qu'elle n'avait pas été suivie par les empereurs qui avaient succédé à Diocletien, jusqu'au temps de la compilation ordonnée par Justinien: ainsi elle fut rejetée par les em→

pereurs Constantin, surnommé le Grand, Gratien, Valentinien, Théodose, Honorius et Arcade.

Parmi plusieurs preuves, Thomasius cite la loi 1, c. Th. de Contrah. Empt., ainsi conçue : Venditionis atque emptionis fidem nulla circumscriptionis violentia factam rumpi, minime decet. Nec enim sola preti vilioris querela contractus sine ulla culpa celebratus litigioso strepitu turbandus est.

L'auteur de la dissertation observe qu'après la compilation, les canonistes et les théologiens se saisirent de la question, et que plusieurs d'entre eux ayant prétendu que la moindre lésion viciait le contrat, cette opinion vint singulièrement à l'appui d'un texte qui n'accordait la rescision que pour lésion de moitié.

Il examine le principal motif donné à la loi, l'humanité, et il pense que la justice est seule à considérer dans les contrats, et qu'il ne convient au législateur d'y intervenir que quand les règles qui fondent le contrat ont été blessées.

Il cherche ce que veut dire ce dolus re ipsa que les docteurs ont cru pouvoir substituer au dol et aux machinations personnelles ; il avoue qu'il ne comprend pas cette proposition : en tout cas, il la trouve en opposition avec une loi de ce meine Dioclétien, à qui l'on attribue la loi 2; car la loi 10, c., eod. tit., porte: Dolus emptoris qualitate facti, non quantitate preti estimatur : c'est donc s'élever contre un texte formel que de soutenir que le dol résulte de la seule vileté du prix ou est suffisamment prouvé par elle.

Sur ce mot prix, l'auteur remarque d'abord l'embarras de Tribonien, qui s'est tantôt servi de l'expression veri pretii, tantôt de celle justi preti : mais il n'y a qu'un prix, c'est celui réglé par le contrat.

Les choses n'ont pas en général un prix vrai, un prix juste; elles valent moins pour l'un, elles valent plus pour l'autre ; le plus ou le moins d'affection, les convenances, la situation diverse des parties, voilà bien des motifs d'appréciations diverses : mais le prix n'est connu que par la con

vention mème ; c'est elle qui le constitue, et il ne faut chercher ailleurs.

pas le

Comment d'ailleurs arriver autrement à la fixation de ce prix? C'est cette opération que l'auteur de la dissertation appelle, si non moraliter impossibilis, saltem difficillima, quand elle n'aurait pas l'inconvénient majeur de mettre en question la validité de tous les contrats de vente.

Enfin il cite l'usage des chambres et colléges de Saxe, qui ont toujours rejeté l'action en rescision pour cause de lésion d'outre-moitié, lorsqu'il n'existait pas d'autres circonstances propres à indiquer le dol.

Après ce résumé de la dissertation de Thomasius, M. Berlier observe que, dans la plupart des États du nord, on ne suit point la loi 2, c. de Rescind. Vend., et, si l'usage contraire a prévalu dans les États méridionaux, il est difficile de n'y pas apercevoir l'influence de nos théologiens; mais il faut revenir aux principes : le confesseur qui conseille la restitution de trop grands bénéfices fait fort bien; mais le législateur qui fait respecter les contrats remplit un devoir bien plus essentiellement conservateur de l'ordre social.

M. Berlier termine son opinion en invitant le Conseil à se rappeler toutes les autres considérations d'ordre public et privé qu'il développa dans la séance du 25 brumaire, et conclut au rejet du système que le projet de la section tend à faire revivre après l'abolition qui a été prononcée par la loi de l'an III.

M. PORTALIS distingue deux parties dans la dissertation de Thomasius.

L'une porte sur la question de savoir si la loi 2, au code de Rescind. Vend., est apocryphe; l'autre a pour objet le mérite de cette loi.

Thomasius s'étend beaucoup plus sur le premier point. Cependant on ne voit pas bien précisément à quoi tend son raisonnement. Veut-il établir que la loi n'a pas existé pendant toute la durée de la législation romaine? Il articule

un fait incontestable; mais il en est de même de beaucoup d'autres lois romaines. Au surplus, ce n'est point par leur date qu'il faut juger de la bonté des lois.

Il est sans doute des lois dont on aime à connaître l'origine, dont on veut savoir quelles circonstances les ont fait naître; ce sont celles qui forment la législation des rescripts. Il est possible cependant qu'une bonne loi naisse d'un mauvais principe. Le législateur qui opère seul agit presque toujours d'après ses passions, son intérêt et les sentimens dont il est affecté ; néanmoins son intérêt peut se trouver d'accord avec l'intérêt public, et alors il porte des lois sages et utiles : aussi avons-nous vu même le règne de Justinien produire de bonnes lois.

Les lois générales n'inspirent pas la même curiosité. Il est difficile que des passions ou des intérêts particuliers en soient la base.

Écartons donc, dit M. Portalis, la première partie de la dissertion, et jugeons la loi en elle-même,

Avec quoi faudra-t-il la comparer? Sera-ce avec les mœurs et les usages du pays où elle a existé? Non : ce sera avec la raison. Le droit ne naît pas des règles, mais les règles naissent du droit. C'est donc d'après les principes du contrat de vente qu'il faut examiner la loi dont il s'agit.

Ils ont été posés dans cette séance même. Le contrat de vente a été mis au rang des contrats commutatifs, et dans cette idée on a cherché à le ramener à sa nature, en corrigeant toutes les inégalités qui pouvaient mettre quelque différence à l'avantage du vendeur ou de l'acheteur. C'est avec autant de scrupule que de justice qu'on a pourvu à ce que l'insuffisance ou l'excédant de mesure ne donnât pas à l'acheteur plus qu'il n'a payé, et ne privât pas le vendeur de plus qu'il n'a reçu. On a donc reconnu que la lésion ne résulte pas toujours de la vileté du prix, mais que toujours cependant elle change la condition des parties et blesse la nature du contrat. Comment maintenant voudrait-on qu'une

lésion de moitié ne présentât pas un caractère d'injustice, lorsqu'on a attaché tant d'importance à toute lésion audessus du vingtième?

Thomasius convient qu'il doit y avoir rescision quand les règles du contrat de vente sont violées?

Ne le sont-elles pas dans le cas où ce contrat qui doit assurer à chacun l'équivalent de ce qu'il donne a l'effet désastreux de donner presque tout à l'un et presque rien à l'autre?

Thomasius demande comment la lésion pourra être vérifiée; il dit que, s'il n'est pas impossible, il est du moins très-difficile de la reconnaître.

La lésion sera vérifiée comme tout autre fait, ou d'après des preuves ou d'après l'examen de la chose.

:

On admet la preuve testimoniale dans les contestations civiles les plus importantes; on l'admet au criminel, où l'importance est plus grande encore, et cependant il y a beaucoup plus de danger à la recevoir pour l'examen d'un fait isolé que pour celui qui se confond avec la chose mème. Les doutes de Thomasius ne viennent que de ce que les professeurs en général, se perdant dans des théories purement spéculatives, sont perpétuellement embarrassés, toutes les fois qu'il s'agit de la pratique, de l'usage et de l'application des lois. On peut donc lui répondre la loi ne répugne pas à la preuve par témoins, et cependant des témoins, comme des experts, peuvent être corrompus, avec cette seule différence qu'ils déposent d'un fait qui s'est enfui et dont la trace souvent n'existe plus que dans leurs dépositions, au lieu que des experts opèrent sur un fait présent, et qu'on peut vérifier après eux. A tout moment, à chaque pas, on est obligé de recourir aux témoins et aux experts. Si c'est un mal, du moins est-ce un mal inévitable; pourquoi n'emploierait-on pas ce genre de preuves pour vérifier une lésion, puisqu'on y défère quand il s'agit de bien plus encore, quand il faut prononcer sur la vie d'un homine?

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