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M. LACUÉE observe qu'il peut arriver qu'un homme opulent, pour obliger un citoyen pauvre, lui achète ses droits litigieux. L'adverse partie, cependant, qui voit qu'elle va être poursuivie, se hâte de rembourser le cessionnaire : elle profite donc seule du marché, et se soustrait aux condamnations dont elle était menacée.

M. TRONCHET dit que le procédé du cessionnaire est immoral, même dans le cas dont on vient de parler. S'il n'eût voulu qu'obliger le plaideur indigent, il lui eût fait des avances. Il devient donc évident qu'en se faisant faire une cession, il a cédé à un sentiment beaucoup moins généreux; qu'il a voulu se ménager un bénéfice.

M. PELET dit que toujours les cessionnaires de droits litigieux ont été vus avec défaveur. Dans le midi de la France, surtout, l'abus de ces sortes de marchés a été porté au point que certains individus en faisaient métier. Ils parvenaient à traîner en longueur les contestations engagées dans les tribunaux, pour fatiguer les plaideurs et obtenir à vil prix la cession de leurs droits. Ils poursuivaient eusuite leurs parties adverses avec la plus extrême rigueur. Dans le ci-devant Vivarais, le désordre devint si général en 1782, qu'il amena une insurrection qu'on ne parvint à réprimer qu'en envoyant des commissaires et de la force armée.

L'article est adopté.

Les articles 121 et 122 son adoptés.

(Frocès-verbal de la séance du a, nivose an XII.

12 janvier 1804.)

1700-1701

M. GALLI présente à la discussion la section II du chapitre VI du titre XI, de la Vente, ajournée dans les séances des 30 frimaire et 9 nivose.

M. PORTALIS dit que la question est de savoir si l'action en rescision doit être accordée aux majeurs pour vileté de

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Pour la traiter dans toute son étendue, il faut expliquer ce qui a été, ce qui est, ce qui doit être.

Autrefois, la lésion d'outre-moitié donnait au vendeur l'action en rescision qui durait dix ans. La lésion était justifiée par une expertise et par d'autres preuves. Le bien était estimé suivant le prix qu'il avait au temps de la vente.

Cette jurisprudence a changé depuis la révolution. La loi du 14 fructidor an III a refusé aux majeurs la rescision pour cause de vileté de prix.

Cette loi est née des circonstances.

A l'époque où elle fut portée, il était impossible de reconnaître dans quels cas il y avait lésion. Le papier-monnaie et la valeur des immeubles étant soumis à une égale mobilité, on ne pouvait plus ni saisir, ni déterminer aucune proportion entre le prix convenu et la valeur réelle de la chose : ces motifs ont obligé de suspendre l'action en rescision.

Aujourd'hui, une nouvelle législation civile se prépare. Le législateur n'est plus gèné par les circonstances. Il peut et il doit revenir aux principes dans toute leur pureté. C'est donc ici le moment d'examiner si l'action en rescision doit être accordée aux majeurs pour lésion d'outre-moitié ou pour une lésion plus grande,

:

Il est deux choses à examiner le principe et le mode d'exécution.

Pour fixer le principe, il faut partir de vérités convenues. Or, il est avoué que le contrat de vente est un contrat commutatif, c'est-à-dire où chacune des parties ne donne que pour recevoir l'équivalent, ou, si l'on veut, un prix proportionné à la valeur de la chose dont il se dessaisit.

Ainsi, d'abord il est dans l'essence même du contrat qu'il soit rescindé, quand l'équivalent de la chose n'a pas été fourni.

Une autre maxime non moins certaine dans le droit est qu'il n'y a pas d'obligation sans cause.

Quelles sont les causes des contrats?

Dans les contrats de bienfaisance, la cause est la bienfaisance même.

Mais dans les contrats intéressés, la cause est l'intérêt, c'est-à-dire l'avantage que les parties trouvent à les faire. Dans la vente, cet intérêt est, pour le vendeur, d'avoir le prix représentatif de sa chose plutôt que sa chose même; pour l'acheteur, d'avoir la chose plutôt que la somme d'argent qui en représente la valeur.

Ceci posé, on sent qu'il n'y a de cause dans la vente que lorsque le prix est en proportion avec la valeur de la chose vendue. Si donc il existe une lésion énorme, si le prix et la valeur de l'objet vendu sont hors de toute porportion entre eux, il n'y a certainement plus de cause.

Au reste, ce n'est pas ici le seul cas où, pour décider de la validité du contrat de vente, on compare le prix avec la valeur de la chose. S'agit-il de déterminer si un contrat qui se présente sous le titre et sous les apparences de la vente n'est réellement qu'une donation palliée? S'il n'est qu'un avantage ménagé à certaines personnes contre la prohibition de la loi ; si, renfermant une clause de réméré, il ne masque pas un simple gage, quel est l'indice auquel on s'arrête? A la vileté du prix. On doit sans doute raisonner sur la lésion, comme dans tous les cas où l'on cherche à découvrir le véritable caractère du contrat.

Mais des majeurs doivent-ils être restitués comme lésés ? La loi les déclare capables de gérer leurs affaires; elle reconnaît que leur raison est arrivée à sa maturité; ils ont donné leur consentement: le consentement forme les contrats, peuton venir à leur secours sans ébranler la foi des conventions?

Quoi! la loi ne vient-elle pas au secours des majeurs dans beaucoup d'autres cas, où ces motifs, s'ils étaient solides, devraient l'en détourner? On peut en effet appliquer à l'erreur, au dol, à la crainte inspirée sans violence, toutes les considérations que l'on fait valoir pour le cas de la lésion, et cependant la loi ne s'y est pas arrètée.

pour

Il y a plus, elle secourt le majeur, même contre la lésion, d'autres actes que le contrat de vente. En effet, le partage ou il Ꭹ a lésion du tiers au quart n'est-il pas rescindé? On répondra que c'est par le motif particulier que l'égalité la plus parfaite est de l'essence des partages.

Aussi se contente-t-on d'une lésion moindre. Mais une égalité quelconque n'est pas moins de l'essence des autres contrats, sinon on ne verrait plus dans les parties que des oppresseurs et des opprimés : ils ne peuvent donc subsister lorsqu'ils produisent une lésion qui passe toute raison et

toute mesure.

Ainsi on n'aperçoit pas de motifs pour respecter le contrat de vente plus que les autres contrats, comme si ceux-ci ne se formaient pas aussi par le consentement.

Mais est-il bien vrai qu'il y ait consentement dans un contrat qui présente une lésion énorme?

On convient que l'erreur vicie le consentement, que l'homme trompé n'a pas consenti.

Dès lors, lorsqu'un citoyen s'est trouvé dans des circonstances telles que, s'il eût connu toute l'étendue de la lésion, il n'eût pas souscrit le contrat, on ne peut pas dire qu'il ait consenti, car personne ne consent spontanément à d'aussi grandes pertes. Aussi Dumoulin dit-il qu'il doit être restitué non comme lésé, mais comme trompé.

Et qu'on ne dise pas qu'on ne peut pas supposer que majeurs se laissent surprendre.

des

Un majeur qui sort de la minorité, surtout depuis qu'elle finit à vingt-un ans, n'a pas encore atteint l'époque de la

raison.

Un majeur n'est pas toujours présent. Il est obligé de donner des procurations, même générales. Son mandataire est trompé, quelquefois le trompe.

Un majeur vieillit, et l'on profite de sa caducité pour lui surprendre, sous le titre de vente, des donations que la vileté du prix simulé fait reconnaître.

Un majeur enfin n'est pas infaillible; quand il est trompé, il a droit à la protection des lois, comme tout autre opprimé.

Si donc l'erreur et le dol doivent faire venir au secours des majeurs, en quelle occasion ont-ils cet effet, s'ils ne l'ont pas lorsque le dol est évident, et qu'il est prouvé par la chose même, re ipsá?

C'est ici qu'on nous arrête, continue M. Portalis, et qu'on nous parle de la difficulté de reconnaître la lésion par l'ins`pection de la chose, parce qu'il est impossible, dit-on, de déterminer le juste prix d'un bien.

Le mot juste prix n'est cependant pas vide de sens. Dans l'opinion, dans l'usage, il a une signification déterminée. On s'entend dans la société lorsqu'on parle d'un homme qui a fait un bon marché, parce qu'il a acheté à un prix raisonnable.

Dans les lois même on le trouve employé.

Quand on a réglé les conditions sous lesquelles un citoyen peut être exproprié, on a dit que ce serait lorsque ce sacrifice serait commandé par l'utilité publique et à la charge d'une juste indemnité.

Cette rédaction est l'ouvrage du Conseil. Ce n'est donc pas devant lui qu'elle a besoin d'être justifiée. Or, si dans ce texte l'idée qu'on attache au mot juste prix est claire, il ne peut devenir ambigu dans un autre.

Mais il faut discuter les objections de détail.

On demande pourquoi le principe de la rescision, s'il est équitable, n'est pas appliqué aux ventes mobilières.

C'est parce que La valeur des biens mobiliers est tellement variable, qu'il est très-difficile de la fixer, et alors on n'a plus de règles pour discerner la lésion.

la nature des choses s'y oppose.

La valeur des immeubles change aussi sans doute; mais la variation est bien moins rapide : on sait ce que vaut un immeuble dans un temps, dans des circonstances, dans un lieu

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