Page images
PDF
EPUB

dotée de tous les éléments de prospérité, si délicate, si accessible à toutes les finesses de l'art, du goût, du luxe et du beau, les conséquenses de la liberté ont dépassé les espérances. Après avoir jadis rempli le monde du bruit de sa valeur et de sa gloire, elle déploie aujourd'hui son pavillon sur toutes les mers, et donne, en échange des richesses provenant des zones les plus opposées, l'excédant de sa fécondité. L'Asie, l'Afrique, l'Amérique et l'Océanie connaissent son nom, recherchent avec avidité les produits de sa culture et de ses manufactures, et il n'est pas un marché des deux hémisphères où elle n'ait des comptoirs, où elle ne soit attachée par de sérieux intérêts. En vingt ans, son commerce a triplé; la fortune de ses habitants a 'atteint d'énormes proportions; le bien-être, l'aisance même, sont descendus des sphères élevées jusque dans les dernières couches de la société, et l'épargne, autrefois peu connue des classes laborieuses, devenue une qualité essentielle à tous les membres de la famille française, n'a plus de limites.

Il était permis de penser qu'après une si complète victoire, la réforme économique qui en était le point de départ et la cause déterminante était un fait accompli, et qu'après être passée de la législation dans les mœurs, elle n'avait plus à redouter quelqu'un de ces retours subits qui compromettent les situations les mieux assises et ruinent les fortunes les plus solides. On pouvait croire que les adversaires les plus opiniâtres des idées nouvelles, vaincus dans la lutte qu'ils avaient tenté de soutenir contre la liberté, se soumettraient de bonne grâce et se rendraient à l'évidence.

Cependant, après une longue période de vingt-cinq années, dont les documents les moins récusables attes

tent la constante et croissante prospérité, des voix s'élèvent encore, plus hostiles que jamais, pour contester les progrès réalisés; une Ligue intraitable ne craint pas, au nom de principes absolument faux, condamnés à diverses reprises par l'histoire et par la morale, de saper la législation à laquelle la France est redevable de sa grandeur et de sa rapide transformation! Et quel moment ces intelligences étroites, ces esprits chagrins et égoïstes, choisissent-ils pour fatiguer l'opinion de leurs injustes et coupables revendications? Celui où la nation, vivement éprouvée par l'infortune, épuisée par de larges et saignantes blessures, a besoin du baume infaillible du travail, et, pour réparer les brèches faites à son crédit, n'a pas trop de tous ses éléments de progrès, de ces vastes débouchés qu'elle doit à la liberté commerciale. C'est à cette heure suprême, où la moindre faute peut lui être fatale, où la plus faible erreur économique suffirait à la faire tomber des sommets où l'ont placée ses éminentes qualités et sa faculté inappréciable de labeur et d'épargne, qu'on s'attaque aux sources mêmes de sa vitalité, au risque de les tarir à jamais.

Et quel prétexte invoque-t-on pour commettre un pareil forfait, pour courir une si désastreuse aventure? Celui d'une crise universelle dont les causes sont multiples, mais dont la principale est l'œuvre même du protectionnisme.

En effet, nul n'ignore aujourd'hui que c'est surtout à la fermeture des marchés américains, à la suite de la guerre de Sécession, puis au développement disproportionné que les Etats-Unis ont donné à leurs industries sous l'égide d'une protection exagérée, qu'est due cette atonie persistante qui pèse si lourdement sur nos transactions.

Certes, nous ne voudrions pas prétendre que les cris d'alarme de l'industrie, que les plaintes qui de toutes parts s'élèvent, n'ont pas leur raison de se produire. Une crise intense s'étend sur l'Europe, et, depuis plusieurs années, s'aggrave sans cesse ; les bénéfices se sont peu à peu amoindris, et ces grands élans d'affaires qui se manifestaient au début du régime de la liberté, se raréfient de plus en plus. Nous ne le contestons pas; mais ce phénomène était prévu, et il n'étonne pas les esprits calmes et sensés qui suivaient avec inquiétude la marche fiévreuse, insensée, de la production dans ces dernières années. Il faut bien avouer, en effet, que la sagesse, la modération, la connaissance des lois économiques ont totalement fait défaut à la plupart des industries que le système des traités de commerce avait délivrées de leurs entraves. Habituées à faire dès lors des fortunes d'autant plus rapides et considérables que l'ouverture de débouchés nouveaux créait un courant d'affaires plus actif, elles crurent pouvoir indéfiniment agrandir le cercle de leurs opérations; elles ne tardèrent pas à aboutir à un trop-plein de production qui se traduit maintenant par un resserrement des transactions et un arrêt sensible dans le travail. Elles avaient oublié que la consommation a une limite fixée par la mesure même des besoins à satisfaire. Ceux-ci, il est vrai, croissent et grandissent avec le degré de civilisation des races humaines, et il est permis certainement d'affirmer qu'il reste encore sur le globe bien des races dont les besoins, comme la civilisation, sont encore à l'état rudimentaire. Mais il serait dangereux aussi de perdre de vue que la France et l'Angleterre ne sont pas seules pour satisfaire à ces besoins des nations moins favorisées. Sous l'impulsion donnée par ces deux peuples depuis vingt ans, toutes

les puissances civilisées se sont transformées, ont amélioré à leur tour leur matériel commercial et industriel, et, pour certains articles, elles peuvent non-seulement suffire à leur propre consommation, mais encore rivaliser avec leurs devancières sur des marchés dont ces dernières avaient conservé précédemment le monopole exclusif. Or, toute faute économique entraîne avec elle sa peine, et il n'est pas injuste d'avancer que tel est le cas actuel de la France comme celui des nations qui l'avoisinent. Espère-t-on remédier à cette souffrance temporaire par l'établissement d'un régime dont la nature aurait pour conséquence infaillible de resserrer davantage les affaires? L'expédient de la protection n'a jamais sauvé une situation embarrassée; elle l'a toujours au contraire aggravée. La consommation a pu subir un moment d'arrêt dans son expansion, elle obéissait en cela à une loi naturelle; mais, dès que les causes premières qui exercent sur elle cette influence pénible dont souffrent les transactions humaines auront disparu, l'effet s'évanouira également, et les choses reprendront leur cours normal. L'histoire des crises commerciales, industrielles et financières, qui, à plusieurs reprises, ont sévi sur le monde, depuis un siècle, en témoigne hautement; elle prouve surabondamment que les remèdes extrêmes, les lois d'exception, augmentent le mal loin de le calmer, et, en économie commerciale comme en politique, sont, ainsi que l'a dit justement Royer Collard, « des emprunts usuraires, ruineux pour ceux qui les contractent.» Plus on suit les phases diverses par lesquelles ces crises ont passé avant de s'évanouir, et plus aussi on est convaincu de la fécondité de la liberté; plus apparaît claire, précise, avantageuse, la politique des conventions internationales, seuil de cette route naturelle qui

doit conduire un jour progressivement et sagement à la liberté absolue des échanges. Il n'est pas de sujet d'étude plus concluant, plus instructif, et c'est pour met tre en relief la philosophie qui s'en dégage que nous avons songé à composer un résumé succinct, impartial, des luttes auxquelles donnèrent lieu en France l'application et le développement des deux régimes économiques qui ont tour à tour dominé la législation commerciale depuis quatre-vingts ans. Nous avons pensé que ce récit pourrait être utile à ceux qui défendent la cause de la vérité, à ceux qui veulent s'éclairer, à ceux même que les fausses doctrines aveuglent encore, et qu'il démontrerait, d'une manière irréfutable, que le succès de la tentative à laquelle se livre le parti protectionniste contre l'œuvre libérale de 1860, serait un désastre pour la fortune nationale, en même temps que le point de départ d'une décadence industrielle dont la France aurait peine à se relever.

« PreviousContinue »