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2-16-49 L D B

Ha dia. 2-7-49 539271

INTRODUCTION

« L'état de santé, relativement à l'industrie et à la richesse, c'est l'état de liberté, c'est l'état où les intérêts se protégent eux-mêmes. >>

Ces judicieuses paroles, que le créateur de la science économique en France, Jean-Baptiste Say, adressait à ses contemporains, au commencement du siècle, n'ont rien perdu de leur portée primitive, et les événements qui se sont succédé dans le monde entier, depuis qu'elles ont été prononcées, n'ont fait qu'en confirmer pleinement la valeur et la vérité. Aujourd'hui, comme en 1804, la liberté est demeurée le seul stimulant efficace du travail, et notre foi dans sa puissance et sa fécondité est désormais fortifiée par les résultats d'une longue et concluante expérience.

C'est qu'en effet, elle a fait ses preuves, cette théorie tant de fois préconisée par tous les grands esprits, de Jean Bodin à Bastiat, mais, hélas! si longtemps méconnue, et que partout où elle a vaincu les vieilles traditions mercantiles léguées par le moyen-âge, elle a révélé son influence par de merveilleuses transformations, par les

développements immenses de la richesse et des facultés matérielles et morales de l'espèce humaine. Toutefois, il serait faux de croire que son triomphe ait été facile, que les éminentes qualités dont elle est douée, les avantages inappréciables qui en sont l'accompagnement, l'aient fait accepter comme un bienfait et lui aient conquis l'unanimité et la spontanéité des suffrages. Loin de là; chacune de ses victoires fut la conséquence d'une lutte sans merci, chacun de ses bienfaits, le prix de la défaite d'une coalition égoïste et aveugle.

A la Grande-Bretagne revient l'honneur d'en avoir inauguré le règne et tenté la première application sincère. Jusqu'au commencement du siècle actuel, ce grand pays avait obéi à ces fausses données de la balance commerciale, qui causèrent tant de mal au monde et retardèrent d'un siècle l'épanouissement de l'Europe. Au point de vue industriel et commercial, les résultats de cette erreur avaient été d'arrêter l'essor de la production et le progrès du génie ouvrier, tandis que, sous le rapport de l'alimentation, ils avaient contribué à faire naître et à aggraver ces terribles famines qui désolèrent trop cruellement les deux nations les plus intelligentes et les plus civilisées du globe. Dès les premiers jours du dix-neuvième siècle, la voix d'Adam Smith, longtemps couverte par les bruits des combats, commença à trouver de l'écho dans le cœur de quelques hommes d'État qu'émouvait le spectacle de la misère publique, puis, après trente-trois ans d'efforts ininterrompus, une Ligue formidable prenait naissance au sein de la grande cité manufacturière de Manchester, et, conduite avec une rare vigueur par l'illustre Cobden, réclamait, au nom de la justice, de la charité et de la fortune de l'Angleterre, la suppression de ces lois ini

ques et cruelles qui condamnaient les classes laborieuses à mourir de faim.

Une pareille tentative ne pouvait se produire sans susciter d'ardentes protestations: des intérêts, égoïstes il est vrai, mais soutenus par le prestige de la tradition, se soulevèrent aussitôt, et vinrent apporter aux arguments si concluants de la raison et de l'humanité les arguments non moins puissants alors de la politique. Cependant, après cinq années pendant lesquelles tout ce que le Royaume-Uni possédait de plus illustre, de plus noble parmi ses orateurs, ses écrivains et ses hommes d'État, se prodigua pour la défense des idées qui lui étaient chères, la cause du droit l'emporta. La Ligue, cette organisation régulière de la passion publique, comme l'appelait M. Guizot, avait vaincu les vieux préjugés du passé, et aux Cobden, aux Fox, aux Bright, aux Pattison, venait se joindre un homme de cœur autant que ministre habile, Robert Peel, qui, éclairé par la chaleureuse argumentation des principaux ligueurs, devenait leur allié et se faisait bientôt le champion convaincu de la liberté dont il était naguère encore l'adversaire.

De ce jour data pour l'Angleterre une ère nouvelle ; dans ce pays éminemment pratique et logique, toujours à la recherche du mieux, on comprit que, pour être efficace, la réforme de la loi des céréales devait entraîner celle du régime commercial tout entier, que l'une était le complément de l'autre, et que les conquêtes de la Ligue ne seraient définitivement assurées que lorsqu'il ne resterait plus dans la législation le moindre prétexte à revenir aux erreurs passées. Chaque année ajouta une modification nouvelle aux anciennes ; la première pierre détachée, le reste de l'édifice fut bientôt ébranlé, et, onze ans après l'application intégrale du

bill de 1846, M. Gladstone pouvait annoncer au Parlement anglais, au milieu d'acclamations unanimes, que la vieille forteresse de la Protection n'était plus. Les conséquences de ce grand acte étaient d'ailleurs de nature à satisfaire les plus tièdes; la fortune publique, débarrassée des entraves qui en gênaient l'essor, avait promptement atteint des proportions inconnues jusqu'alors, et sa marche était si rapide que, selon la vieille expression de Macaulay, il eût été possible d'en suivre des yeux l'accroissement.

Malgré la séduction de l'exemple, la France resta longtemps sourde à la voix de l'expérience, et ce qui était déjà devenu la vérité pour les masses au delà du détroit, demeurait encore l'erreur en deça, pour les classes dirigeantes. Ce n'est qu'après de longues et patientes tentatives, des luttes incessantes et de continuelles épreuves, que le gouvernement de l'Empire, gagné sincèrement à la cause de la liberté, et d'ailleurs complétement instruit par les merveilleux résultats de la législation anglaise, put entreprendre l'œuvre de la réforme indéfiniment ajournée par les régimes précédents. Usant des pouvoirs que lui conférait la constitution, édifié sur les points les plus obscurs par les conclusions d'enquêtes contradictoires, il saisit le moment opportun, et, un jour de janvier 1860, aux acclamations de la grande majorité du pays, il annonça que la France, rompant avec les préjugés du passé, pouvait enfin donner à sa production un développement proportionné à son génie et à son activité. Dès lors, une transformation considérable s'opéra dans l'ensemble de nos industries; les manufactures, répudiant des instruments de travail insuffisants et vieillis, s'enrichirent soudain de machines puissantes, dont les produits, descendus à des

prix abordables pour des couches de la société où ils n'avaient jamais pénétré auparavant, étendirent, accrurent le bien-être, et entretinrent un courant croissant de relations avec tous les centres de consommation du monde.

Ce second essai de liberté commerciale devint bientôt contagieux; malgré les efforts désespérés du protectionnisme agonisant, les barrières les plus insurmontables s'abaissèrent partout comme par enchantement; une fièvre d'activité, stimulée par un besoin irrésistible de rapprochement, s'empara de tous les peuples. Nul ne voulut s'exposer à un isolement fatal à son avenir et à sa prospérité, et, en moins de sept années, une vaste chaîne de conventions sœurs, calquées sur l'immortelle convention franco-anglaise, qui les avait précédées, réunit les nations industrieuses de l'Europe à leurs deux devancières dans les voies de la civilisation et du progrès industriel.

Quels furent les résultats de cette révolution immense dans les mœurs, dans les lois, dans la vie du vieux monde? Il serait superflu de les dénombrer ou d'essayer même d'en faire l'analyse : il suffit, pour s'en rendre un compte même approximatif, de jeter les yeux autour de soi, de rappeler des souvenirs d'un jour et de comparer avec le présent un passé encore bien proche de nous. L'expansion de la richesse a été telle, son essor et son accroissement ont été si rapides, que des changements complets se sont opérés jusque dans les parties les plus reculées de l'univers, et qu'il n'est pas un coin du globe habité qui n'ait été, depuis ce moment, mis en contact avec l'une des nations de l'Europe et ne subisse son influence bienfaisante.

Pour notre France surtout, si laborieuse, si bien

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