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Tout en apprenant

le district de Niksitch de toute armistice éventuel. avec satisfaction que les faits signalés sont, sauf le dernier, indépendants de la volonté de votre Gouvernement, je dois dire franchement à Votre Altesse que nous ne sommes pas rassurés. Le peuple monténégrin sait qu'il est, par le seul fait de son indépendance, en butte à des inimitiés que son anéantissement seul pourrait satisfaire, et l'expérience du passé lui fait reconnaître les signes précurseurs des précédentes invasions. Je ne puis faire autrement que de partager sa conviction; car je sais très-bien que, si je n'ai pas été attaqué, il y a deux mois, ce n'est pas à la modération seule du dernier Gouvernement que je le dois.

D'autre part, et si, en inventoriant les sacrifices de tout genre que nous impose la guerre d'Herzégovine, je me suis abstenu de parler des sentiments avec lesquels nous y assistons, c'est que je n'aurais pas à vous apprendre que nos sympathies sont avec nos coreligionnaires, qui, quoique séparés de nous politiquement, sont, en fait, nos compatriotes par le sang, par les moeurs et par les malheurs communs du passé.

Malgré cela, résistant aux sollicitations et entraînements, je me suis attaché à remplir mes devoirs internationaux. Quand les Puissances, en se chargeant de plaider auprès de S. M. le Sultan la cause des chrétiens, m'ont demandé de garder la neutralité, j'en ai pris l'engagement et je l'ai tenu. Il est inutile de revenir sur le détail des tentatives de pacification successives, sauf pour rappeler que j'y ai aidé de tout mon pouvoir, et qu'avec l'agrément des Puissances, j'ai accepté le mandat de représenter les insurgés dans toutes les négociations qui ont eu lieu pour le rétablissement de la paix.

Il n'en est résulté qu'une chose, la dé monstration de l'impossibilité absolue pour la Sublime Porte, malgré la sincéreté reconnue de ses bonnes intentions, de donner à ses sujets des provinces révoltées les garanties et les institutions qui seules pourraient se concilier avec leurs aspirations légitimes et avec le temps où nous vivons. Mais par la

nature de ma coopération aux essais de pacification, comme par le voeu général des populations, il m'a été donné des droits et imposé des devoirs qui me dictent ce que j'ai à faire. La démarche même que Votre Altesse veut bien faire auprès de moi est une preuve de plus que les circonstances sont plus fortes que les volontés pacifiques des Gouvernements. Aussi, en présence des dangers croissants qui menacent mon pays, par la force des choses, en présence de la guerre sans résultat qui désole des contrées ayant droit à mon secours, je me vois dans l'absolue nécessité de prendre sans délai ultérieur une résolution décisive, avec un profond chagrin d'en être réduit à cette extrémité, et la conviction que la Sublime Porte, si elle l'avait pu, aurait autant que moi désiré l'écarter.

Je viens annoncer à Votre Altesse que la situation équivoque de relations toujours tendues fera place dès aujourd'hui à la situation plus nette des hostilités déclarées.

Nicolas, Prince de Monténégro.

6.

TURQUIE.

Manifeste de la Sublime Porte relatif à la guerre contre la Serbie et le Monténégro; juillet (?) 1876.

Mémorial diplomatique du 29 juill. 1876.

Au moment où la Serbie, oubliant sa fidélité de vassale vis-à-vis du Sultan et méconnaissant les devoirs que lui imposent les traités, tente d'envahir les provinces turques voisines, le gouvernement impérial se doit à lui-même et à ses peuples de déclarer les motifs qui ont dirigé sa conduite politique dans ces graves circonstances.

Tout le monde savait apprécier la haute valeur des priviléges et des libertés que la Porte avait si généreusement accordés à la Serbie. On se souvient aussi des dernières faveurs que la Porte avait décernées à cette principauté, lorsque sa situation a été réglée par un acte international.

L'histoire de la Serbie elle-même signale, en effet, depuis les jours de la conquête, une longue série de générosités et de faveurs accordées à cette province avec une largesse indéniable. C'est ainsi que la Serbie est arrivée à posséder un régime tout à fait exceptionnel, tandis que des mesures appropriées au degré de culture de sa population lui accordaient toutes sortes d'avantages pour son développement progressif.

Le maintien régulier de la prospérité de la principauté a cessé justement à partir du jour où quelques hommes turbulents et ambitieux, qui sacrifient les véritables intérêts de leur pays à une trompeuse popularité, sont arrivés au pouvoir, ont changé les bases de l'ancienne Constitution d'après leurs vues propres, ont donné à la presse une liberté presque illimitée, afin de mettre plus facilement l'opinion publique de leur côté, pour réveiller l'agitation des esprits et faire briller devant les yeux du peuple serbe l'éclat d'un avenir trompeur auquel il n'a jamais songé, même en rêve, pour l'éloigner ainsi de son travail pacifique et en faire l'instrument docile de leurs téméraires et criminels projets.

Depuis l'explosion de l'insurrection de l'Herzégovine, ces hommes n'ont rien épargné pour donner à leur attitude la marque de l'hostilité, impression que leurs assurances hypocrites de dévouement et de neutralité rigoureuse n'ont pas pu effacer un seul instant. Ce sont eux qui, par l'envoi de délégués dans les provinces voisines, ont attisé l'insurrection en ployant tous les moyens à leur disposition, l'ont soutenue, l'ont fortifiée et développée. Ce sont eux qui lui ont donné la tenacité et l'organisation, qui ont exigé, pour la réduire, tant de ruines, une si grande effusion de sang et de si grands sacrifices. Ce sont ces hommes criminels qui ont donné aux insurgés de l'argent, des armes, des munitions et l'appui de bandes nombreuses de volontaires qui, mésusant sans pudeur de la situation que les traités ont assurée à la Serbie, en ont fait une province rebelle, un asile et un rendez-vous pour les insurgés qui fuyaient devant nos troupes.

Il est patent aujourd'hui que les fauteurs de l'insurrection prenaient leur mot d'ordre à Belgrade, et que de nombreuses bandes formées en Serbie, sous les yeux mêmes des autorités, ont franchi la frontière pour attaquer nos soldats, piller nos villages, les incendier, en massacrer les paisibles habitants et porter de tous les côtés la ruine et le carnage.

On sait quelle longanimité a montrée la Porte depuis près d'un an, en dépit de cette attitude déloyale et provocatrice, quelle modération elle a opposée aux intrigues incessantes du gouvernement serbe.

Mais, bien loin de changer quelque chose à leurs projets, les hommes qui poussaient ainsi la Serbie dans la voie des aventures, profitant des dispositions pacifiques de la Sublime-Porte, épuisaient le Trésor et les ressources du pays en armements considérables, et laissaient reconnaître qu'ils se préparaient à prendre part ouvertement à l'insurrection.

Ils encourageaient les insurgés bosniaques et herzégoviniens en leur faisant espérer une prochaine intervention armée de la principauté.

Inquiète avec raison de cette situation qui devenait toujours plus menaçante, la Sublime - Porte ne pouvait tarder plus longtemps à envoyer quelques corps d'observation sur les frontières serbes et monténégrines, à seule fin de tranquilliser les populations effrayées et de mettre un terme aux excursions des bandes pillardes.

Les choses en vinrent enfin à ce point que le gouvernement impérial se vit dans la nécessité de demander officiellement à Belgrade des explications précises et catégoriques sur ces préparatifs extraordinaires et sur la concentration des troupes de la principauté sur les frontières de nos vilayets.

Dans la réponse que nous fit le prince Milan pour justifier son inquiétude et égarer l'opinion publique, il s'efforça de renverser les rôles et de rejeter sur d'autres toute la responsabilité, en se plaignant des mesures militaires que nous avions prises et qui étaient le résultat de la situation qu'avaient créée les actes punissables de son gouvernement.

Le prince de Serbie a poussé encore plus loin l'audace. Il nous a adressé une lettre où il nous demandait l'autorisation de faire entrer ses troupes en Bosnie, afin, disait-il, de contribuer à la pacification de cette province, et nous déclarait finalement que, dans le cas d'un refus de notre part, il était résolu à exécuter à tout prix sa proposition.

En même temps, l'agent du prince à Constantinople reçut l'ordre de demander que la Serbie fût chargée de l'administration de la Bosnie contre le paiement d'un tribut annuel.

Le deuxième jour après la réception de cette lettre, et sans attendre notre réponse, les Serbes ont envahi une partie de nos provinces. Le même jour, le prince Nicolas de Monténégro, dont l'attitude vis-à-vis de la Sublime - Porte n'avait pas les apparences de la loyauté, nous télégraphiait qu'il était sur le point de remplacer le vague de ses rapports avec la Sublime-Porte par des hostilités ouvertes.

Comme les deux princes ont fait suivre immédiatement leurs déclara tions d'actes de rébellion ouverte, la conduite du gouvernement impérial était clairement tracée: il devait repousser l'agression par la force.

Comme signataire du Traité de Paris, qui règle les rapports des principautés vassales vis-à-vis la cour suzeraine, la Sublime-Porte a jugé de son devoir de respecter jusqu'au bout et le plus consciencieusement cet acte international. Aussi n'est-elle sortie des limites de la modération dans laquelle elle s'est tenue que lorsqu'elle a été violemment attaquée.

En ouvrant les hostilités, le gouvernement serbe perd, ipso facto, tous les avantages que lui assuraient les priviléges et les immunités que lui a concédés la Sublime-Porte, et que lui garantissait solennellement le Traité de Paris.

Les princes de Serbie et de Monténégro ont, dans leur aveuglement opiniâtre, repoussé les conseils de l'Europe et rompu violemment tous leurs engagements et toutes leurs promesses; ils ont voulu faire appel à la fortune des armes et doivent maintenant attendre de l'issue de leur lutte insensée la destinée qu'ils se sont préparée.

L'Europe entière nous rendra cette justice que nous avons poussé la modération aux extrêmes limites. Nous l'avons fait dans l'intérêt de la paix, bien que notre attitude conciliatrice nous imposât de lourds sacrifices.

Nous avons espéré jusqu'au dernier moment que le gouvernement serbe et le prince de Monténégro, mieux conseillés, se rencontreraient avec nous dans la même pensée pour éviter une plus grande effusion de sang et pour éviter les maux incalculables de la guerre; qu'ils reculeraient devant la lourde responsabilité d'une lutte dans laquelle ils se sont précipités, et dont personne ne peut prévoir les suites.

Mais les choses ayant tourné autrement, forts de notre droit et de notre conscience pure, confiants dans la justice de notre cause, nous ferons tous nos efforts pour conduire énergiquement la guerre qu'on a déchaînée contre nous, et nous tenterons de la faire durer le moins longtemps possible. Par là il nous sera permis de nous occuper d'autant plus vite de l'exécution des réformes et des améliorations que notre illustre souverain est fermement résolu à introduire dans son empire, et qui assureront à nos populations cette prospérité matérielle et morale qu'ils ont le droit d'attendre du gouvernement de S. M. le Sultan.

Nous sommes convaincus que tous nos sujets sans distinction soutiendront de leurs voeux et de leurs forces l'empire ottoman dans la guerre qu'il est forcé d'entreprendre contre les ennemis de leur pays et de leur tranquillité.

7.

AUTRICHE-HONGRIE, TURQUIE.

Correspondance concernant la fermeture du port de Klek; 13 juillet 7 août 1876.

Oesterr. Rothbuch, 1878 Nr. 548, 575, 576, 594.

I. Note verbale adressée, le 13 juillet 1876, par le Comte Andrássy à l'Ambassade de Turquie.

Par une note verbale en date du 10 de ce mois, l'Ambassade de

Turquie a bien voulu demander au Ministère Impérial et Royal des affaires étrangères de provoquer les ordres nécessaires pour que deux bateaux à vapeur de la marine ottomane pussent débarquer à Klek des provisions, des munitions de guerre, des armes et des canons destinés aux troupes Impériales.

Jusqu'ici le Gouvernement de Sa Majesté l'Empereur et Roi, toutes les fois qu'un désir analogue lui était exprimé au nom de la Sublime Porte, s'est empressé d'y accéder.

Aujourd'hui néanmoins, le Ministère se voit obligé, à son grand regret, de prévenir l'Ambassade que ces facilités ne pourront continuer à être accordées dans la même mesure que par le passé.

La guerre qui vient d'éclater entre la Turquie et la Principauté de Monténégro, ainsi que je l'ai déjà fait annoncer par notre Ambassadeur à Constantinople, impose au Gouvernement austro-hongrois le devoir de se conformer strictement aux lois que le droit international trace aux États neutres. Désormais et pendant toute la durée de cette guerre, le passage par la ligne des frontières et par les eaux territoriales de l'Autriche-Hongrie devra donc être interdit aux troupes, cheveaux, armes et munitions de guerre destinés à l'une ou à l'autre des deux parties belligérantes. Ainsi l'accès du port de Klek restera fermé aux convois de cette nature, de même que le transport d'armes et de munitions à destination du Monténégro ne pourra pas avoir lieu par les bouches de Cattaro.

Toutefois, comme les règles internationales n'empêchent pas les neutres d'autoriser le passage de vivres, fourrages et autres objets de commerce auxquels la qualification de contrebande de guerre n'est pas applicable, les arrivages de ce genre seront admis à débarquer à Klek aux conditions précédemment établies.

Le Ministère des affaires étrangères a l'honneur de prier l'Ambassade de Turquie de vouloir bien porter les dispositions qui précèdent à la connaissance de son Gouvernement.

Au reste les insurgés s'étant déjà rendus maîtres de l'enclave de Klek et toute communication entre la mer et l'Herzégovine se trouvant ainsi coupée, il serait dans l'intérêt même du Gouvernement turc de ne plus laisser partir de bâtiments pour Klek.

Aleko Pacha au Comte Andrássy.

Vienne, le 24 juillet 1876.

Par une communication verbale, en date du 13 courant, l'Ambassadeur d'Autriche-Hongrie a informé la Sublime Porte, que dans un Conseil, tenu la veille, le Ministère Impérial et Royal austro-hongrois avait décidé la fermeture de tous les ports de la Dalmatie, y compris celui de Klek, à partir de ce jour même. En même temps, le soussigné était officiellement informé que le Gouvernement austro-hongrois s'était vu obligé bien malgré lui, à annoncer à la Sublime Porte que, comme le Monténégro était de fait indépendant, il avait dû décider, afin de contenir les habitants des Bouches de Cattaro, la fermeture du port de Klek, à l'exception des vivres, que le Gouvernement Impérial pouvait continuer à y faire débarquer.

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