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ture avec M. Burke. Je ne sais si M. Pitt a jamais pleuré, mais assurément ce n'a jamais été sur de vieilles amitiés brisées. M. Fox a eu des amis; M. Pitt des associés ou plu→ tôt des subalternes.

Le ministère de M. Pitt a été en 1789 probablement une grande calamité pour l'Europe. Je ne sais quel auteur a dit que l'âme avait encore plus d'esprit que l'esprit tout seul, Un ministre plus cosmopolite et moins anglais que M. Pitt aurait vu, dans le grand mouvement imprimé à la France, une époque qui pouvait devenir heureuse pour l'humanité. M. Pitt n'y aperçut qu'une crise qui affaiblissait la nation rivale de l'Angleterre. Il voulut accroître le mal au lieu de seconder le bien. Il réussit à plonger la France dans un épouvantable chaos; mais la destinée est équitable; la France est sortie de ce désordre, et peut-être l'Angleterre est sur le point d'y entrer.

Je ne veux point ici, comme des écrivains exagérés et trop soupçonneux, accuser M. Pitt d'avoir soudoyé toutes les horreurs de la démagogie sanguinaire de 1793. Il y a des crises durant lesquelles les factions n'ont pas besoin d'être séduites pour être folles. Les torts de M. Pitt remontent plus haut. C'est en 1789 et en 1790 qu'il combattit, par tous les moyens secrets qui étaient entre ses mains, les efforts de M. Necker pour apaiser la France; et je tiens de ce dernier, qu'entre autres obstacles à toutes les mesures qui pouvaient rétablir le calme, au succès des approvisionnemens, par exemple, durant le terrible hiver de 1789, il rencontra souvent l'influence anglaise.

M. Fox, on n'en peut douter, aurait agi bien différemment. Il eût favorisé la tendance amicale qui se développait alors entre les deux nations. Il eût offert aux Français agités, tourmentés par les fléaux des saisons, par ceux des divisions intestines et par des intrigues étrangères, une noble et loyale alliance. Au lieu d'exciter les souverains de l'Europe à lever l'étendard contre un peuple qui voulait respecter l'indépendance de ses voisins, sous la seule con

dition que la sienne serait respectée, il eût employé l'influence du cabinet de Saint-James à faire sentir à la première coalition qu'il ne fallait pas irriter vingt-cinq millions d'hommes enthousiastes de la liberté et, par cette conduite, il eût vraisemblablement sauvé Louis XVI et les milliers de victimes de toute contrée qui l'ont précédé et qui l'ont suivi.

A la vérité, l'Angleterre n'eût pas durant vingt ans exercé au même point le monopole du commerce : elle n'aurait pas l'unique puissance maritime de l'Europe. Mais aussi elle ne verrait pas à Stockport, à Manchester, à Smithfield des rassemblemens de soixante-dix mille mécontens. La constitution ne serait pas menacée, l'obéissance aux lois ne serait pas remise en problème, d'insensés démagogues ne croiraient pas marcher à la liberté par l'anarchie, et à la justice par l'assassinat. Tristes résultats d'un insolent triomphe.

M. Pitt est le fondateur de l'école politique qui domine actuellement en Angleterre. L'égoïsme, le mépris des hommes et l'amour de l'argent en sont les mobiles. M. Pitt néanmoins était personnellement audessus des considérations intéressées. Son intégrité pécuniaire était reconnue. La médiocrité seule est avide, et le talent qu'avait M. Pitt et qui ne distingue aucun de ses élèves, le préservait des calculs sordides. Mais il y a, dans les hommes qui ont soif du pouvoir, une sorte d'arrogance qui fait qu'ils ne sont pas fàchés de voir leurs instrumens dirigés par des passions moins nobles. Outre qu'ils jouissent de se sentir supérieurs à ces instrumens, ils s'en croient plus sûrs, parce qu'on regarde comme sa propriété ce que l'on achète.

Durant la longue administration de M. Pitt, les titres se sont multipliés, les sinécures se sont accrues. Il avait oublié, au timon des affaires, ce qu'il avait dit lors de son entrée au parlement.

Messieurs, disait-il, les ministres devraient au moins

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» donner au peuple la consolation de voir que le souverain prend part à ses souffrances, et offre lui-même l'exemple honorable d'une sage économie, dans un moment » si critique; ils devraient consulter la gloire et l'honneur » de leur maître, et le relever encore, s'il est possible, » dans l'opinion de ses sujets, en lui faisant le mérite de >> retrancher ce qui appartient à la magnificence, pour » ne conserver que ce qui est nécessaire au besoin. Au >> lieu d'attendre les demandes d'un peuple accablé, ils >> devraient accroître sa popularité par un abandon volon» taire de revenus superflus. Si les ministres n'ont pas fait » leur devoir, ce n'est pas une raison pour que cette chambre » ne fasse pas le sien. Actifs en tout ce qui concerne » l'intérêt de leurs représentans, les membres de cette » chambre saisiront toutes les ressources, tous les moyens » raisonnables qui se présenteront d'eux mêmes; et certes » nul n'est plus positif et plus flatteur que celui de l'écono» mie. Leur caractère leur impose le devoir de suivre co

principe jusqu'aux pieds du trône même, en conseillant » à la couronne d'abandonner une ostentation inutile, » afin de conserver le pouvoir nécessaire ; de diminuer un » peu de sa pompe royale, afin d'assurer d'autant le rest » pect qui lui est dû; de restreindre enfin de sa grandeur » extérieure, pour augmenter encore sa dignité person» nelle.... Ce n'est pas déroger à la grandeur royale que » d'écouter avec intérêt les plaintes du peuple. Parler de la » tutelle de cette chambre serait peut-être employer une expression trop forte; mais avouer sa curatelle ne peut offenser un roi constitutionnel. La diminution de ses dépenses superflues n'attaque pas la royauté; et loin que » sa magnificence et sa grandeur puissent être atteintes » par une sage économie, dans un temps aussi critique, » son existence semble au contraire prendre une force plus » réelle par la réduction des dépenses.... La liste civile a » été accordée à S. M. par le parlement pour tout autre » motif que pour son usage personnel. Elle a été allouée

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» afin de soutenir le pouvoir et la dignité de l'empire, » pour maintenir sa grandeur, pour payer les juges, et » les ministres étrangers; enfin pour entretenir la splen» deur et le respect dus au gouvernement par l'entretien » des grands officiers de la couronne, proportionnelle» ment à l'opulence du peuple. » Ainsi parlait M. Pitt, dans sa vingt-deuxième année, sur les bancs de l'opposition, contre lord North. Il serait curieux de rapprocher ces paroles du gouvernement de M. Pitt, ministre.

M. Fox a laissé des traces ineffaçables dans tous les cœurs des amis de la liberté en Angleterre. M. Pitt a laissé une secte d'adorateurs qui célèbrent encore son machiavélisme dans le moment où l'Angleterre en porte la peine. Sir S. Romilly, sir James Mackintosh, M. Bennet, M. Tierney, sont les disciples de M. Fox. Les élèves de M. Pitt sont assez connus sans que je les nomme.

Deux circonstances établissent entre M. Fox et M. Pitt une ressemblance apparente. Tous deux ont réclamé la réforme parlementaire. Mais il vaut la peine de comparer leurs discours sur cette amélioration, dont les événemens d'aujourd'hui prouvent trop tard peut-être la nécessité. Quelle chaleur, quel entraînement, quelle sincérité dans l'un! quel sang-froid, quelle élégance compassée, quelle absence d'âme dans l'autre! L'un va jusqu'au fond, l'autre reste à la surface. L'un veut des réalités, l'autre s'attache aux formes. L'un veut que le peuple soit vraiment plus libre, l'autre que l'oligarchie soit mieux déguisée. Tous deux ont échoué; mais il est probable que M. Fox a gémi de sa défaite, et que M. Pitt s'en est réjoui. L'avenir décidera lequel jugeait mieux de la situation de l'Angleterre.

Un second rapport, sous lequel M. Pittt M. Fox se ressemblent, c'est qu'ils sont morts tous deux dans la vie privée; mais il y a entre eux cette différence, que les ministres qui ont remplacé M. Fox étant ses adversaires, il a pu, comme membre de la chambre des communes, rendre toujours à son pays le service important d'une op

position constitutionnelle, et que sa mémoire n'est point responsable des fautes de ses successeurs; tandis que tous les ministres qui ont eu le pouvoir depuis M. Pitt, formés par son choix, ou d'après ses traditions et empreints de son esprit, ont agi suivant ses maximes, et que la responsabilité de tous leurs actes retombe sur lui.

B. C.

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OEuvres complètes de madame Riccoboni, nouvelle édition, ornée de gravures (1).

OEuvres complètes de madame Cottin, publiées pour la première fois en un seul corps d'ouvrages, et ornées de gravures (2).

Une réflexion qui s'est présentée bien des fois à mon esprit, en lisant les ouvrages des femmes, c'est qu'elles écrivent, en général, avec bien plus d'âme et de conscience que nous; de là le charme particulier qui s'attache à leurs productions, lors même qu'elles n'ont pás un talent aussi éminemment remarquable que madame Riccoboni ou madame Cottin. Ces deux fermes célèbres, recommandables par leur mérite et par leur caractère, étaient placées dans des positions fort différentes. La première, pauvre, orpheline, séduite dès sa première jeunesse par une passion mal récompensée, ne trouva d'asile qu'au théâtre où elle transporta, au milieu de dangereuses dissipations, des habitudes studieuses et des mœurs régulières. L'autre, élevée et mariée dans l'opulence, ne quitta les bras d'une mère que pour passer dans ceux d'un mari; veuve à dix-neuf ans, elle confina sa vie dans le sein de l'étude et de l'amitié, et ne connut vraisemblablement, que

(1) 6 vol. in-8°., Paris, chez Foucault, libr., rue des Noyers, no. 37. (2) Huit volumes in-12, chez le même libraire.

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