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agi avec plus de sagesse, pourrait-il dire aux uns, si elle n'eût pas attendu l'heure même du cours de M. Bavoux pour afficher sa suspension aux portes de l'école, il n'y aurait pas eu de rassemblement, il n'y aurait pas eu de trouble. Si la police, si la gendarmerie, pourrait-il dire aux autres, n'avaient pas été imprudemment dirigées dans une école où la présence de MM. les inspecteurs généraux, et de M. le président de la commission d'instruction publique eussent tout calmé, il n'y aurait point eu de résistance, il n'y aurait point eu d'accusation, de visite domiciliaire, il n'y aurait point eu de procès. Mais vous frappez un coup d'état, vous fermez une école, vous annoncez à l'Europe une grande conspiration, mon devoir est de rendre plainte contre les conspirateurs; j'y ai cru réellement, parce que je dois croire les ministres ; il fallait donc me mettre dans la confidence, il fallait donc me dire que c'était une mystification. Loin de là, on m'approuve, on m'encourage; le jour où le rapport de la pétition des élèves est présenté, M. le ministre de l'intérieur fait le plus magnifique éloge de ma fermeté; comment veut-on que je ne marche pas en avant? comment veut-on que je n'imagine pas tous les moyens possibles pour prouver à la France, pour prouver à l'Europe que l'autorité ne les avait pas alarmées sans raison ? Je n'avais aucun fait positif, je n'avais aucune preuve, je fais saisir un manuscrit ; j'ai le manuscrit et je n'y découvre rien de condamnable, je suis bien forcé de me jeter sur les ratures! Je défie qui que ce soit d'avoir mieux fait à ma place. » Je défends M. Bellart, vous le voyez, dans un moment où tout le monde l'attaque.

L'issue du procès de M. Bavoux est une grande leçon pour l'autorité. Elle lui apprend à ne point lancer au hasard de graves accusations, à être modérée dans ses attaques, mesurée dans ses discours. Que dans un gouverne¬ ment absolu, que sous le régime des lettres de cachet,

qu'au nom de ce que le despotisme appelle la raison d'état, des citoyens soient arrachés de leurs foyers; qu'on en fasse des conspirateurs, parce qu'on croit avoir besoin de conspirations, on en est quitte pour ordonner un simulacre d'enquête, et, à la suite d'une procédure secrète, on les précipite dans des cachots où ils meurent oubliés. Mais que dans un pays libre, où nul ne peut être distrait de ses juges naturels, dans un pays où la procédure est publique, où le jury est institué, on frappe ou l'on accuse au hasard, c'est une imprudence, c'est un aveuglement dont on ne saurait trop gémir. On a beau multiplier les formes, retarder la poursuite, prolonger l'instruction, le grand jour de la publicité arrive, l'opinion siége au banc des jurés, et ses inévitables arrêts accusent le pouvoir en même temps qu'ils proclament l'innocence du prévenu. Mais telle est la fausse position de certains hommes publics; ils vivent à la fois dans le présent et dans le passé, et se croient encore au Châtelet quand ils sont à la cour d'assises.

On se demande maintenant ce que fera la commission d'instruction publique ? condamnera-t-elle celui que les tribunaux ont absous ? déclarera-t-elle séditieux des principes que le jury n'a pas trouvés répréhensibles? alors elle prépare un nouveau triomphe à M. Bavoux, et la prochaine session le verra siéger à la chambre. Les tribunaux l'ont fait candidat, la commission d'instruction publique le ferait député. Rien ne sert comme la persécution; l'injustice du pouvoir est la meilleure recommandation auprès du public.

M. Bavoux, estimé au barreau comme magistrat, à l'université comme professeur, n'avait marqué dans les partis ni par ces opinions tranchantes, ni par ces actes éclatans qui attirent les regards; peu connu du public, ayant un petit cercle d'amis, il vivait en philosophe et professait de même. Il expliquait le Code criminel comme un jurisconsulte éclairé, il en parlait comme un homme sensible. On l'attaque injustement; soudain tous les écrivains constitu

tionnels embrassent sa défense, tous les avocats de quelque talent se disputent sa cause, on se porte en foule chez lui, on demande de toutes parts s'il est éligible; il devient cé→ lebre le jour où il est opprimé. Le gouvernement a un moyen infaillible de faire gagner ou de faire perdre la faveur publique ; c'est de persécuter ou de récompenser injustement. Mais le triomphe du professeur est complet ; la punition d'un seul de ses élèves en eût altéré la douceur, tous ses élèves sont acquittés par les tribunaux comme il l'avait été par le jury. Telle était la frivolité de l'accusation, qu'après l'audition de tous les témoins, chacun se demandait encore quelles charges pesaient sur les jeunes accusés. Les juges, d'avance convaincus, ont dispensé les avocats de prendre la parole, et l'innocence de ces factieux, qu'on dénonçait naguère à l'Europe, n'a pas même été un seul instant mise en doute.

Cependant trois mille jeunes gens ont été privés de l'instruction; on a alarmé une multitude de familles ; toute la France, toute la génération ont été calomniées; et, après les explorations minutieuses de la police et des tribunaux, après des visites domiciliaires, des interrogatoires, des arrestations, des procédures de toute espèce, il ne se trouve pas un coupable, il ne se trouve pas un délit. Il n'y a eu ni provocation, ni révolte; mais il y a eu injustice, maladresse, fausses mesures, imprévoyance, et ce ne sont ni les élèves, ni le professeur qui en sont con

vaincus.

N'a-t-on pas aujourd'hui quelque honte d'avoir fait tout ce bruit, d'avoir causé tout ce scandale? Si du moins c'était une leçon pour l'avenir! Que de discours, que d'injures, que de déclamations, que de notes et de contre-notes en pure perte! Pour le coup, c'est la fable de la montagne en travail. La conspiration Bayoux est digne de la conspiration Courvoisier. Nous n'avons cessé de l'écrire, nous l'avons répété à chaque page, à chaque ligne, et les écri

vains ministériels nous ont traités de désorganisateurs, et les écrivains doctrinaires nous ont appelés partisans du désordre. Après les deux jugemens que viennent de rendre les tribunaux, il est curieux de lire le rapport de M. le préfet de police, en date du 1. juillet, sur les événemens de l'école de droit. Cette pièce inédite faisait partie de la procédure. D'abord, il en résulte que M. le doyen ne s'était pas adressé seulement à la commission d'instruction publique. « Le mercredi soir, à dix heures, » dit ce magistrat, je fus prévenu, par M. Delvincourt, de » la décision qui suspendait le cours de procédure de » M. Bavoux. Il me donna des détails circonstanciés sur la » conduite inconcevable de ce professeur, qui était, dans sa » chaire, spectateur froid des attaques violentes auxquelles » se livraient sous ses yeux les élèves dont il avait échauffé >> les passions.

» Il était à craindre que le moment de l'ouverture du » cours de M. Bavoux, qui devait avoir lieu le jeudi à » deux heures, ne fût celui de nouvelles violences. Une >> surveillance spéciale me parut nécessaire, et j'ordonnai à >> quatre commissaires de police de se rendre à l'école de >> droit pour se concerter avec M. Delvincourt. Quatre » officiers de paix et seize inspecteurs furent chargés de » surveiller les environs de l'école. »

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Toutes ces précautions ont produit le tumulte au lieu de le prévenir; deux lignes mises dans tous les journaux du matin, et annonçant la suspension du cours de M. Bayoux, eussent été bien plus utiles pour éviter les rassemblemens; mais ce ne sont pas là de grandes mesures d'administration, et les choses simples sont trop mesquines.

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« J'avais eu, continue M. le préfet, la pensée de faire placer seulement soixante gendarmes dans la cour de la » prison de Montaigu, pour être à portée de prèter main» forte aux commissaires de police, dans le cas où ils croi

» raient nécessaire de parler au nom du roi, et de faire » respecter la loi relative au maintien de l'ordre public. » M. Delvincourt me quitta avec l'assurance que j'allais » donner des ordres pour l'exécution de ces mesures. » L'événement a prouvé que cette première idée était la » meilleure; car elle eût fait respecter le caractère légal des officiers auxiliaires de M. le procureur du roi, et "mis sur-le-champ les plus coupables de ces jeunes gens » sous la main de la justice. Je me suis malheureusement » borné à faire surveiller les environs de l'école par » trente gendarmes en habit bourgeois, qui n'ont été » d'aucun secours au milieu d'un rassemblement tumul→ » tueux de douze à quinze cents personnes. Les élèves n'ont pas tardé à s'apercevoir qu'ils étaient surveillés; leur » mauvaise humeur s'est d'abord manifestée par des propos injurieux sur les agens de police, etc. »

M. le préfet l'avoue lui-même, le trouble est né des moyens qu'il avait pris pour le prévenir, de ces déguise mens honteux, indignes de tous soldats qui portent l'uniforme et si mal employés contre une jeunesse vive, loyale et pleine d'honneur. Tout le rapport de M. le préfet de police est également curieux; les mesures qu'il a prises, les comptes qu'il a rendus à M. le ministre de l'intérieur, les discours qu'il a prononcés à la tribune de l'école, y sont retracés avec une extrême fidélité; le mot de séditieux y revient sans cesse ; maintenant que la procédure est finie, il paraîtra peut-être un peu dur; mais séditieux est une expression qu'on a prodiguée de nos jours aussi légèrement que celle de suspect pendant la révolution, et on n'en est pas encore tout-à-fait déshabitué.

Dans ma dernière lettre, je vous ai dit que tout ce tumulte avait été excité par un parti; cette assertion m'a fait traiter de niais par un journal ultra. Comment ai-je, dit-il, la simplicité de croire que les amis de l'ancien régime sont capables de se prêter à de pareilles manœuvres? Mais quand on invente des conspirations, T. VII.

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