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malgré la discussion approfondie, comme s'expriment MM. Engels et van Peborgh, un problème, aussi longtemps du moins que les témoignages des auteurs du projet et du secrétaire du congrès, M. P. H. Rathbone, président de la chambre de commerce de Liverpool, seront en contradiction flagrante en ce qui concerne le texte même de l'article 1).

d) Le privilège du capitaine pour le fret. Ce privilège lui est accordé d'une façon décisive et absolue par l'article 9, même pour ce qui a trait à ce qu'on appelle le dead freight, le fret dont il est question dans l'article 464 du code de commerce hollandais et dans l'article 288 du code de commerce français. Il en est du reste ainsi dans la plupart des législations.

Les autres articles contiennent soit des conséquences logiques du principe de l'article 1er, soit la reconnaissance de dispositions d'une portée plus générale.

On se sépara dans l'attente des mesures que prendrait le gouvernement anglais. Ces mesures, on l'espérait non sans raison, devaient constituer des tentatives dans le but d'établir une entente avec les autres gouvernements pour l'introduction des Sheffield Rules, comme on appela le projet. Mais bientôt il devint évident qu'on s'était flatté d'une vaine espérance, et il semblait même que les Sheffield Rules étaient destinés à l'oubli le plus complet, lorsque le consei! exécutif de l'Association pour la réforme et la codification du droit des gens conçut l'idée, à la session de 1878, de s'occuper derechef de la législation internationale du fret. M. E. E. Wendt, qui s'était déjà fait connaître dans la matière des avaries communes, reçut la mission de faire un rapport sur les tentatives déjà faites pour réaliser un droit uniforme pour l'affrètement. Il accomplit sa mission au congrès de Londres (14 août 1879), exposa d'une façon claire l'excellence des Sheffield Rules, et proposa la nomination d'un comité qui prendrait en considération ces règles et donnerait un avis motivé à l'Association. Plusieurs membres du congrès approuvèrent ces conclusions, qui furent adoptées. Le conseil exécutif nomma MM. E. E. Wendt, J. Glover, R. Lowndes, O. Muller, P. H. Rathbone et C. Stubbs, membres de la commission, qui présenta son rapport en 1880 au congrès de Berne. Ce rapport démontre la nécessité d'abolir le fret proportionnel dans les pays où il existe encore, comme condition d'une unité internationale basée sur les Sheffield Rules, que la commission approuve complètement, et il exprime le vœu que les sous

(1) Cette étrange controverse jette un jour tout particulier sur la valeur qu'on peut attribuer aux décisions de certains congrès.

comités de l'Association, les chambres de commerce et même les membres qui désirent concourir au but prennent à tâche de discuter à fond la matière, afin de faire mieux connaître partout les principes des règles de Sheffield.

C'est surtout dans ce vœu que j'ai puisé la résolution d'écrire ces pages. Bien des choses sont encore à faire, mais plus le nombre des travailleurs sera considérable et plus il y aura de chance de voir le travail aboutir.

Les faits que nous venons de passer en revue nous donnent-ils le droit de dire, comme on l'a fait, que l'entente internationale au sujet de l'affrètement existe en théorie? J'estime que non. Que nous apprennent donc ces faits? Qu'on s'est entendu en 1865, mais si nous considérons quelles personnes assistaient au congrès, nous voyons aussitôt qu'il ne saurait être question d'une entente internationale. A l'exception des deux auteurs du projet, on ne voit prendre part à la discussion que des Anglais, qui certes devaient donner leur adhésion à un projet basé entièrement sur le droit contumier anglais en vigueur. Il y avait, si l'on veut, une entente anglo-belge, mais non une entente internationale, et la première expression ne serait même juste que dans un sens très restreint. MM. Engels et van Peborgh n'ont pas trouvé dans leur pays une approbation complète de leur idées; du moins la loi du 21 août 1879 est-elle partie de principes différents. Le contrat d'affrètement y est considéré tout à fait comme un contrat de louage, l'article 67 parle du « contrat de louage maritime, » l'article 70 du « prix du loyer du navire, » et, ce qui est décisif, la section première du deuxième chapitre du titre III ne nomme qu'une seule obligation du fréteur, que l'article 72 expose en ces termes : « Le fréteur doit procurer à l'affréteur la jouissance du navire telle qu'elle a été promise par la convention. » C'est donc bien la locatio rei pure et simple, c'est la jouissance du navire, de la chose, que doit être procurée; il n'est pas question de contrat de transport. Et pourtant, quelques articles plus loin (article 97), on semble avoir si complétement perdu de vue ce principe fondamental, qu'on abolit le fret proportionnel, comme s'il n'était pas indiscutable que l'affréteur a eu jusqu'au port de refuge la jouissance du navire. De plus, l'obligation du patron quant au transport ultérieur du chargement est autrement réglée que ne l'avaient fait les Sheffield Rules (article 94). Ainsi nous voyons que le législateur belge n'a pas considéré le système de Sheffield comme le plus désirable de tous et, ce qui est le cardo quæstionis, qu'il a adopté une tout autre

conclusion, quant au caractère du contrat lui-même. De l'entente internationale il ne reste donc que l'opinion unanime des Anglais que leur propre loi renferme le meilleur règlement de l'affrètement.

Même en ce moment, on n'est pas plus avancé. Sans doute le congrès de l'Association pour la réforme et la codification du droit des gens tenu en 1880, a adopté par 15 voix contre 3 une résolution exprimant le vœu a that freight pro rata itineris should be abolished. » Cela prouve évidemment une sympathie plus vive qu'autrefois pour le principe des règles de Sheffield dans le camp des personnes intéressées et compétentes sur le continent. Mais aussi longtemps que ces règles n'auront pas subi l'épreuve d'une discussion approfondie, il faudra éviter d'en déduire des conséquences trop optimistes, d'autant plus que la commission chargée à Londres d'examiner les Sheffield Rules était, chose fort regrettable, composée exclusivement d'Anglais qui, à ce que je crois, formaient aussi la majorité au congrès de Berne (1).

Tout ce qu'il est permis de dire, c'est qu'il existe une base sur laquelle on pourra peut-être établir une entente internationale. Pour atteindre ce but, il faut que la chose soit entamée avec plus de vigueur et plus sérieusement que cela n'a été fait jusqu'à présent. Il serait donc désirable que les Sheffield Rules fussent examinés par un comité composé de représentants de toutes les nations, et d'une façon aussi minutieuse et aussi approfondie que l'a été le droit des avaries communes avant le congrès d'York. On éclairerait ainsi l'opinion publique. Le soin de formuler officiellement un projet définitif de loi internationale doit être naturellement abandonné aux divers gouvernements, dont l'intervention en cette matière est indispensable.

Nous nous occuperons maintenant de la recherche du règlement le plus désirable et le plus juridique de l'affrètement, et nous examinerons si les Sheffield Rules présentent les conditions voulues. Nous nous bornons naturellement aux points capitaux. Un règlement international de cette espèce doit, s'il ne veut pas dépasser son but, éviter d'entrer dans trop de détails, que l'on peut aisément abandonner aux lois nationales. Il s'agit d'obtenir une entente au sujet des principaux points contro

(1) Depuis que ces lignes sont écrites, l'Association pour la réforme et la codification du droit des gens a tenu sa session annuelle à Cologne, dans le courant du mois d'août. Le comité de l'affrètement a présenté son rapport et sur la proposition de M. R. Lowndes un comité international a été formé, dans lequel siègent des membres de l'Association appartenant aux diverses nations intéressées.

versés, entente sans laquelle aucun règlement général ni détaillé ne saurait être fait, et qui doit nécessairement précéder tout autre travail.

§ 2. - La nature du contrat d'affrètement.

La question est uniquement de savoir s'il s'agit d'un louage ou d'un contrat de transport. Si l'on admet qu'il s'agit d'un louage, surgit la question de savoir si c'est une locatio conductio rei, ou operis, ou operarum, ou bien encore un composé de deux de ces espèces ou même de toutes trois. En présence du peu de stabilité des expressions contrat d'affrètement et louage de navires, je ferai immédiatement une division tripartite, dérivée de la nature même du contrat d'affrètement. Je distinguerai donc les cas où de l'aveu de tous il y a louage, ensuite ceux où il y a contrat de transport, et finalement les cas douteux.

A. Louage. Un contrat de louage existe lorsqu'en échange d'un prix déterminé la jouissance d'un navire est accordée à une personne déterminée, de telle sorte que cette jouissance soit, sinon l'unique, du moins le principal but que les parties se proposent dans le contrat. Le transport des marchandises est ici exclu ou du moins n'est point un élément essentiel du contrat; il peut avoir lieu néanmoins, mais sans constituer une obligation de l'une des parties contractantes; la jouissance de la chose est le point dominant, c'est la seule prestation que le bailleur ait à faire. Le transport de marchandises est peut-être le but éloigné que se propose le preneur, non comme prestation de l'autre partie, mais au contraire, comme usage que le preneur lui-même fera de la chose conformément à sa destination. Cela pourra être le motif qui fait conclure le contrat, comme l'habitation dans le louage de maisons, mais cela n'entre pas dans les stipulations réciproques. Une convention de cette nature existera, par exemple, lorsque dans un port de refuge on sera obligé de décharger pour pouvoir faire réparer le navire, et qu'on louera un autre navire pour y garder le chargement pendant la durée des réparations, et cela pour éviter les frais de déchargement sur le quai, de reprise du chargement, de magasinage; le navire ainsi pris en location tiendra lieu de magasin. Il y aura aussi louage dans les cas où l'on cédera l'usage du navire pour un prix déterminé à l'année ou au mois, et que le preneur sera, complètement ou sous certaines restrictions, libre de faire du navire tel usage qu'il lui plaira pour ce qui a trait aux voyages à entreprendre et aux transports de marchan

dises à effectuer. En général, ce contrat ne comprendra que le navire non équipé; la nomination et le salaire du capitaine et de l'équipage seront, ainsi que le reste de l'armement nécessaire, à la charge du preneur. Fréquemment, cependant, on déroge à cela par des clauses expresses. C'est ainsi que le propriétaire se réserve le droit de nommer le capitaine, ou bien prend à sa charge l'équipement entier du navire. En aucun de ces cas, néanmoins, il n'est question de transport de marchandises par le bailleur, et ce transport, s'il y a lieu, ne constitue pas une protestation stipulée. Même lorsque le voyage à faire est déterminé et inséré dans le contrat, il peut y avoir louage, par exemple, lorsqu'on loue un navire pour un voyage d'agrément, une entreprise scientifique ou une expédition polaire.

Il va sans dire que dans tous ces cas il faut appliquer exclusivement. les dispositions du code civil qui ont trait au louage, sauf quelques règles spéciales pour la responsabilité du propriétaire quant aux actes du capitaine ou de l'équipage, lorsqu'il les choisit et les salarie. Dans les législations commerciales existantes on ne trouve aucune mention de cette espèce de louage de navires, car même les codes qui, comme le code de commerce hollandais (intitulé du titre XV, section 1re du livre II), parlent d'affrètement et de louage de navires, ne considèrent dans les dispositions spéciales que le louage des navires fait spécialement en vue du transport de marchandises. En l'absence de toute disposition légale, on appliquera par analogie les principes généraux du louage dans les codes civils, et même, sous ce point de vue, on pourra considérer les navires comme biens immeubles.

Le louage de navires se fait uniquement par charte-partie, il ne saurait être question de connaissement. Le mieux serait de parler ici de bail, pour distinguer ce contrat du contrat de transport qui se conclut par charte-partie ou de toute autre manière, par écrit ou verbalement. Le commerce pourtant désigne les deux contrats sans distinction par le nom de charte-partie, ce qui a déjà donné lieu a beaucoup de confusion et créé les théories erronées qui se rapportent à l'affrètement. Nous reviendrons là dessus sous la lettre B.

Voyons maintenant, dans les cas où il y a louage, de quelle espèce ce louage sera. Lorsque le navire seul est donné en location et que l'équipement entier se fait par le preneur, sans aucun doute il y a locatio rei. Par contre, si l'on donne en bail un navire tout armé et équipé, on parle habituellement de locatio rei et operarum (locatio navis et operarum magi

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