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DE

DROIT INTERNATIONAL

ET DE

LÉGISLATION COMPARÉE.

LES ORIGINES DE L'IMPÉRIALISME,

PAR

M. H. BROCHER DE LA FLÉCHERE.

I.

Aussi bien que le commun des mortels, les gouvernements sont tentés de sacrifier leur devoir à leur agrément, l'intérêt permanent et général à des avantages passagers et particuliers.

Ce penchant les pousse entre autres à développer indéfiniment leurs attributions.

Le meilleur des gouvernements devient tyrannique s'il ne rencontre pas d'opposition. La résistance peut résulter du cours naturel des événements; elle peut aussi s'opérer d'une manière systématique.

Dans le premier cas, elle se fait souvent attendre trop longtemps, et dépasse ensuite la mesure lorsqu'elle éclate. C'est la méthode passionnée, révolutionnaire; comme elle est très coûteuse et peu profitable, on tâche de la remplacer par une autre. On prend des mesures pour parer aux abus dès le principe, pour forcer les gouvernements à se conformer à ces lois morales de l'observation desquelles dépend le salut des nations comme celui des particuliers.

C'est à cette résistance rationnelle qu'il faut donner le nom de légitimité, non pas assurément dans l'acception dénaturée que l'on donne quelquefois à ce terme, mais dans le sens étymologique et primitif

du mot.

Incontestablement supérieure à l'autre, la méthode légitimiste est aussi d'une application beaucoup plus difficile; mais elle fait le bonheur des peuples qui l'adoptent. La révolution au contraire dévore les uns après les autres ceux qu'elle fait triompher tour à tour, et conduit les nations aux abîmes.

Et pourtant, la légitimité n'a jamais été complétement réalisée; c'est dans l'avenir qu'il faut la chercher. L'histoire fourmille au contraire d'exemples de politique révolutionnaire; cela tient à ce que cette dernière s'applique en quelque sorte d'elle-même, en se laissant aller au cours naturel des choses. La légitimité, bien au contraire, suppose l'art, l'effort, un travail incessant pour résoudre les problèmes que le progrès social fait naître tous les jours. Il faut en particulier continuellement distinguer et séparer des éléments qui se trouvent confondus dans le principe et tendent sans cesse à se réunir. Le défaut de la division des pouvoirs est d'être artificielle, fondée sur les besoins de l'homme et non sur la nature des choses. On donne à celui qui a; la possession d'un avantage fournit les moyens de se procurer les autres; la force facilite l'acquisition de la sagesse et la sagesse celle de la force. Aussi la légitimité, qui suppose un grand développement de la séparation des pouvoirs, est-elle un idéal auquel on aspire et dont on prend le nom; mais comme les exigences en deviennent de jour en jour plus grandes, surtout du côté de la lumière et de la force, nous sommes poussés, pour ainsi dire à la dérive, sur la pente fatale de la révolution.

A l'origine des sociétés, il n'y a ni résistance organisée, ni séparation des pouvoirs; les circonstances, heureusement, permettent de s'en passer. Les rois sont prêtres et les prêtres sont rois. Leur rôle consiste surtout à guider le peuple, à travers les écueils, au but auquel il tend sans s'en douter. Il faut pour cela pressentir les foules et leurs dispositions toujours mystérieuses, dans lesquelles la volonté divine se révèle pour le moins autant que dans le vol des oiseaux ou les entrailles des victimes. D'un autre côté, la conformité des occupations, la communauté des biens ou tout au moins des terres, les dangers dont on est entouré, enfin l'empire absolu de l'instinct, créent une impérieuse solidarité d'intérêts qui se retrouve dans les rapports du chef et des membres. Plus tard, la position change et la création d'une résistance artificielle devient nécessaire. Les relations s'étendent, la sécurité devient plus grande, la division du travail s'introduit, la propriété privée remplace la communauté; on apprend à calculer; les intérêts particuliers se dessinent et vont

effacer bientôt la considération du bien public; le peuple va se diviser en factions hostiles. C'est ainsi qu'aux problèmes extérieurs s'ajoutent ceux de la politique intérieure, plus délicats sinon plus impérieux.

Une société sortie de l'enfance a des besoins divers, représentés par des éléments sociaux qui se contrarient, et qui pourtant ont besoin les uns des autres. Il s'agit de les combiner de manière à ce qu'ils se fassent mutuellement le plus de bien et le moins de mal possible. Ici encore, on peut choisir entre deux méthodes : laisser libre carrière à la lutte des partis, abandonner le gouvernement à la faction qui réussit à s'en emparer; c'est la méthode révolutionnaire, qui aggrave les conflits et qui aboutit à la dissolution, à la ruine ou, dans le cas le moins défavorable, à l'asservissement de la nation. Le parti le plus puissant devient. de jour en jour plus fort, grâce aux gens qui s'y rattachent pour avoir part à la curée. Le gouvernement se fait l'exagérateur des troubles dont il devrait être le modérateur.

Divers moyens s'offrent à la tendance légitimiste pour conjurer cette fatalité. En Amérique, on abandonne le gouvernement à des hommes de parti, généralement peu considérés, mais on s'efforce d'en restreindre la sphère d'action, d'en soustraire entre autres l'Église et l'École. Certains États de l'Europe cherchent la solution du problème dans un autre direction. Ils soumettent le règlement des conflits constitutionnels à un juge placé au-dessus des partis et chargé de maintenir l'équilibre entre eux.

C'est ainsi qu'on est conduit à la monarchie héréditaire, où il faut voir, non point un élément essentiel de la légitimité, mais un simple moyen, que rien n'empêchera de remplacer par un meilleur dès qu'on l'aura trouvé. On espère faire régler les différends d'une manière conforme, non pas à la force relative des partis, mais à l'intérêt général, ce qui est tout autre chose. Le pouvoir de nuire, en effet, n'est pas toujours en proportion du pouvoir de servir. Or, pour triompher, l'intérêt général a besoin d'un juge qui comprenne où se trouve cet intérêt. En se soumettant au verdict d'un arbitre, le peuple fait un sacrifice, mais un sacrifice éminemment profitable; il reprend la possession de soi-même, se soustrait à l'empire de ses passions, représentées par les partis et leurs meneurs. Le juge assurément n'est pas infaillible, il n'en est point de tel sur la terre. Il faut accepter cet inconvénient inévitable, s'arranger seulement pour en diminuer la portée. La grande confiance accordée au juge est une raison pour prendre des précautions contre lui.

On le condamne à une certaine abstention; on ne lui permet pas de se

mêler à la lutte des partis; on ne veut pas qu'il prétende donner l'impulsion, diriger la marche des affaires. La position qui lui est faite rappelle celle du comte de la loi salique, qui opère une saisie à la requête qui lui en est adressée, mais qui n'a point à vérifier le bien fondé de la demande, pourvu qu'elle soit faite en bonne forme.

Dans un cas comme dans l'autre, on espère que l'exécution sera plus équitable si elle n'est pas opérée par les intéressés. Le roi légitime, qui dans les affaires internationales est le représentant de son peuple, est au contraire en droit constitutionnel une résistance que le peuple se crée à lui-même.

C'est pour cela qu'il y a plus d'avantage à le choisir hors de la nation. On le prend dans une famille déterminée, où l'on espère trouver l'éducation et les traditions convenables. On le désigne par sa naissance, sauf à le récuser s'il y a lieu, pour le remplacer par la personne qui serait appelée à lui succéder. Cette manière de faire présente l'avantage de couper court aux compétitions. Elle n'a guère d'inconvénients, parce que la manière dont les attributions sont circonscrites fait perdre toute importance aux questions de personnes. Des principes analogues s'appliquent à tous les degrés de la hiérarchie; de la sorte, du haut en bas de l'échelle, toutes les fonctions se limitent et se contrebalancent les unes les autres.

La légitimité se propose de réaliser la souveraineté du peuple, en ce sens que la souveraineté ne doit appartenir complètement à aucun individu et que tous les citoyens doivent pouvoir y prendre part; on remplit ces conditions en la faisant exercer par plusieurs personnes, que le peuple élit et contrôle. Tout dépend de la manière dont le peuple s'acquittera de ces deux fonctions. Il est nécessaire que le peuple, à côté de ces agents, ait des conseillers qui se trouvent en communication d'intérêts avec lui, sans l'être avec les agents, crainte de connivence. Cet antagonisme dont on a besoin entre les conseillers et les agents, n'est pas autre chose que la fameuse opposition du temporel et du spirituel, une des premières conditions du régime légitimiste.

C'est du spirituel que dépend le salut des peuples. Mais cet organe si important est d'une extrême délicatesse, susceptible de faire, quand il est altéré, autant de mal qu'il aurait fait de bien autrement. Ce qui est surtout à craindre, c'est la confusion avec le temporel, qui existe au point de départ des sociétés et qu'il s'agit de faire disparaître. La fonction du spirituel, c'est de procurer la liberté de conscience, d'écarter de ce domaine

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