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du concours actif des gouvernements et des parlements; ce concours ne peut être obtenu que s'il y a un contact permanent entre les hommes qui préparent les résolutions et ceux qui seront chargés de les faire passer dans le domaine de la réalité. Sans doute, il est gênant d'avoir à s'entendre chaque fois pour la réunion d'une Conférence, pour la détermination de son programme, d'avoir à désigner des délégués n'ayant qu'une mission temporaire. Cette gêne n'est pas sans avantages. L'attention de chaque gouvernement est ainsi appelée sur la Conférence même et son objet; s'il accepte l'invitation, s'il désigne des délégués, c'est que ces délégués ont des vues conformes aux siennes, c'est que le but de la Conférence lui agrée. Il y a ainsi une collaboration plus ou moins réelle ou présumée qui fait que les résolutions votées dans ces conditions auront plus de chances d'être agréées par le gouvernement associé à l'organisation même de la Conférence. En serait-il ainsi dans le cas de l'institution d'un Corps permanent composé de délégués nommés pour plusieurs années et se réunissant périodiquement? C'est très douteux. Il serait à craindre que cette juxtaposition succédant à la pénétration actuelle fit que chaque gouvernement, n'ayant pas dès le début participé aux résolutions, considérât celles-ci comme les résolutions d'un corps estimable sans doute, mais tout à fait détaché de lui. A un moment donné, les délégués ayant été désignés pour plusieurs années pourraient ne pas avoir la confiance personnelle des ministres dont le concours leur est nécessaire pour aboutir. Dans tous les cas, ils ne sauraient avoir la même influence que ceux qui ont été nommés en connaissance de cause pour la mission spéciale qu'ils ont accomplie.

Du reste, en fait, les inconvénients dont se plaint M. Asser sont, comme il le reconnaît lui-même, de nature plutôt théorique. Il y a eu, malgré des changements dans le personnel, beaucoup d'esprit de suite dans le travail des Conférences. Chaque fois, M. Asser a été acclamé comme Président, et ce témoignage réitéré de confiance vaut bien une nomination.

faite une fois pour toutes. Les principales commissions ont été maintenues et ont eu dès l'origine les mêmes Présidents et rapporteurs. J'estime donc qu'il y a lieu de ne rien changer dans un système qui a fait ses preuves et qui laisse libre jeu à l'action politique de chaque Etat, ce que je considère comme indispensable. Ce qu'il faut désirer, c'est que, dans chaque pays, les hommes compétents s'intéressent de plus en plus à l'œuvre poursuivie, qu'ils suggèrent des améliorations à réaliser dans les rapports internationaux de droit privé, des amendements à apporter aux Conventions déjà faites, qui ne sont pas intangibles et qui pourront donner lieu à une revision périodique.

Après cette introduction historique un peu longue, j'arrive à l'examen des Conventions elles-mêmes, qui ont été signées le 12 juin 1902 (1). Je ferai cependant encore deux observations préliminaires d'un caractère général.

La première concerne les pays signataires. Le Danemark, la Norvège et la Russie, représentés aux diverses Conférences

(1) Les Conférences de La Haye ont été déjà l'objet d'une série d'études en divers pays. Dans l'ouvrage de M. Asser, La Convention de La Haye du 14 novembre 1896, se trouve une bibliographie (p. IX). On consultera surtout avec fruit les études publiées par M. Lainé dans le Journal de droit international privé en 1894, 1895, 1901 et 1902: elles ont été éditées à part. V. aussi Das internationale privatrecht und die Staatenkonferenzen in Haag, von Dr F. Meili (Zurich, 1900). L'auteur, qui a été l'un des délégués de la Suisse aux diverses conférences, démontre avec beaucoup de verve la nécessité d'étudier le droit international privé comme science distincte et non comme une simple annexe des lois internes. Dans une thèse consciencieuse soutenue récemment à la Faculté de droit de Paris par M. Pierre Regnault sous le titre : Le mariage, la séparation de corps et le divorce en droit international, sont indiquées les principales difficultés qui se présentent en ces matières avec les solutions données par les diverses législations ou jurisprudences comme par les Conventions de La Haye.

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NOUVELLE Série.

LXI.

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et signataires de la Convention du 14 novembre 1896, se sont abstenus en 1902. Il y a lieu d'espérer qu'après réflexion, le Danemark et la Norvège se décideront à adhérer les objections que leurs délégués avaient présentées aux Conférences, notamment à celle de 1900, n'étaient pas d'une gravité telle qu'on pût craindre une attitude décidément intransigeante. Elles tenaient à des difficultés d'ordre plutôt théorique, comme celle de la détermination du statut personnel par la loi du domicile. Un symptôme assez significatif dans le sens que j'indique est l'adhésion acquise de la Suède qui, jusqu'à présent, avait en ces matières un fonds d'idées commun avec le Danemark et la Norvège, tellement que les délégués des trois pays scandinaves s'étaient entendus avant la Conférence de 1900 sur l'attitude qu'ils y auraient. Le délégué de la Suède a joué à la Conférence un rôle des plus actifs et des plus utiles; il a déterminé le vote de solutions favorables aux idées scandinaves. Il est permis d'attribuer en partie à son influence personnelle l'adhésion de son pays et de souhaiter que cette influence s'exerce pour obtenir l'assentiment des deux autres pays avec lesquels il a fait campagne en 1900. Pour des questions relativement secondaires, les trois pays scandinaves, qui resserrent de plus en plus leurs liens dans le domaine juridique, ne peuvent se séparer d'une manière durable. Quant à l'abstention de la Russie, elle tient à des causes plus profondes, que j'indiquerai à propos du mariage.

L'autre observation concerne le point de vue auquel il faut se placer pour apprécier les Conventions. Les négociateurs se sont mis sur un terrain tout pratique et ont fait, autant que possible, abstraction de considérations de pure théorie. Ils ont cherché à réduire les difficultés résultant de la divergence des législations et se sont préoccupés d'assurer l'application de la loi qui leur paraissait le plus naturellement compétente pour régir le rapport de droit envisagé. Cela n'a pas toujours été facile, et des textes qui paraissent simples

n'ont été adoptés qu'à la suite de discussions laborieuses. Qu'on se représente, par exemple, la commission qui a préparé les Conventions sur le mariage et sur le divorce. Dix nations y étaient représentées, dont deux seulement de langue française. Le français était sans doute la langue des délibérations, et il faut reconnaître que la plupart des délégués le comprenaient et même le parlaient très bien. Néanmoins, il y avait parfois des difficultés sur la portée de telle expression, sur la traduction de telle disposition. Il y en avait aussi tenant à la conception juridique différente des uns et des autres. On peut dire qu'il se pratiquait là un enseignement mutuel des plus utiles, que tous étaient animés d'un véritable désir de s'éclairer et de se convaincre sans arrièrepensée, comme ce n'est pas toujours le cas dans les discussions qui ont un caractère politique. On apprend ainsi à se connaitre et à se respecter les uns les autres, j'entends comme représentant telles doctrines juridiques, telles solutions législatives. Quand on s'est un peu trop exclusivement renfermé dans l'étude de la législation de son pays, on est trop souvent porté à lui attribuer une valeur abstraite absolue et à envisager avec étonnement, même avec dédain, les dispositions qui s'en éloignent. Nous sommes ramenés à une vue plus juste quand nous avons en face de nous les représentants de ces législations soi-disant étranges, quand ils nous expliquent les règles qui nous avaient d'abord semblé extraordinaires, parce que nous ne connaissions pas assez le milieu dans lequel et pour lequel elles opèrent. Le résultat de ces discussions et de cette étude pratique de législation comparée est qu'il convient que les divers pays se respectent assez pour laisser libre jeu à l'action normale de leurs lois; des progrès ont été réalisés en ce sens, et je les noterai. Toutefois l'entente n'est pas encore possible sur tous les points; des objections de droit public, même, il faut bien le dire, certains préjugés s'y opposent. Les Conventions sur le mariage et le divorce touchent à des matières sur

lesquelles l'opinion publique est très susceptible dans quelques pays. Elles ont dû tenir compte de ces susceptibilités, faire œuvre de transaction, de sorte qu'elles peuvent être aisément critiquées, si on part exclusivement du point de vue scientifique ou du point de vue d'un pays déterminé. Le théoricien trouvera que les principes posés comportent de trop graves exceptions ou restrictions, qu'il y a des inconséquences un peu singulières; le jurisconsulte de tel pays estimera que les dispositions de sa législation ont été trop facilement écartées au profit d'une loi étrangère. Qu'on songe à la difficulté de faire aboutir une loi logique et bien ordonnée dans un pays quelconque, aux concessions qu'on est obligé de faire à des idées diverses, parfois disparates, même à des préoccupations personnelles. La difficulté se complique singulièrement quand on est en présence d'individus représentant des pays se disant également civilisés, mais enfin de civilisations différentes; ils n'ont pas de partispris politiques, comme les membres de groupes parlementaires, mais ils ont des partis-pris nationaux, avec lesquels il est nécessaire de compter, de même qu'avec l'esprit plus ou moins subtil des négociateurs. J'invoque ainsi les circonstances atténuantes pour les défaillances qu'on ne manquera pas de relever dans l'œuvre de La Haye et dont je signalerai moi-même quelques-unes. Ce sera l'affaire du temps de les effacer et de mettre plus d'harmonie dans l'ensemble des dispositions.

CONVENTION POUR RÉGLER LES CONFLITS DE LOIS

EN MATIÈRE DE MARIAGE.

L'objet de cette Convention n'est pas aussi étendu qu'on pourrait le croire au premier abord. Il ne s'agit que des conditions de validité du mariage. Les effets du mariage pour les époux et les enfants, comme pour les biens des époux, seront réglés par des dispositions ultérieures, qui sont comprises dans le programme de la quatrième Conférence.

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