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étaient sortis le soleil et la lune, et qui contenait deux idoles auxquelles les prêtres avaient soin de faire consacrer les plus riches offrandes *.

Ils représentaient leurs divinités sous les formes les plus bizarrement hideuses: c'étaient des crapauds, des tortues, des couleuvres et des caïmans; ou des figures humaines, horribles et monstrueuses, ridicule assemblage d'une multitude de têtes et de membres incohérents, bien plus propre à semer l'épouvante et le dégoût, qu'à nourrir la confiance, base de tout sentiment religieux. Ils pensaient naturellement que de pareils dieux étaient plus disposés à nuire qu'à protéger, et ils avaient coutume d'accompagner leurs sacrifices d'ardentes prières, pour conjurer la fureur de leurs idoles, préposées chacune à une attribution particulière et exclusive, comme de présider aux saisons, à la santé, à la

* On conjecture que cette caverne est celle qu'on voit dans le quartier du Dondon, à 6 ou 7 lieues du Cap français. Elle a 150 pieds de profondeur, et environ autant de hauteur; mais elle est fort étroite, elle ne reçoit de jour que par son entrée, et par une ouverture ménagée dans la voûte, en forme de clocher. On ajoute que c'est par là que le soleil et la lune se sont fait un passage pour aller briller dans le ciel.

Du reste, cette voûte est belle et régulière; l'on a peine à se persuader qu'elle soit l'ouvrage de la nature scule. On n'y voit aujourd'hui aucune statue; mais on y aperçoit encore des zémės (figures des dieux) gravés dans le roc; et toute la caverne est partagée en plusieurs niches hautes et basses, assez profondês, et qui semblent avoir été ménagées à desscin.

chasse ou à la pêche; aussi chacune d'elles recevait des offrandes et des supplications analogues à la nature du pouvoir qu'on lui supposait.

Les premiers auteurs de l'histoire de la découverte d'Hayti, ne nous ont conservé qu'une seule tradition relative au culte solennel des anciennes divinités de l'île : c'était une fête générale dont le cacique marquait le jour, et dont le moment et l'ordre étaient annoncés par des crieurs publics.

La cérémonie commençait par une nombreuse procession, où les hommes et les femmes paraissaient couverts de leurs plus précieux ornements; et, après ceux-ci, les filles toutes nues, selon la coutume du pays. Le cacique, ou le plus considérable du lieu se montrait à la tête de la troupe, battant continuellement du tambour, et dirigeant la marche vers le temple.

Là, les prêtres ou butios présentaient à leurs dieux les offrandes de la procession, en poussant des cris et des hurlements affreux. Les femmes formaient des danses accompagnées de chants, à la louange de Zémès et des aïeux du cacique présent, et ces chants finissaient toujours par des prières pour le salut et la prospérité de la nation.

Les prêtres rompaient ensuite les gâteaux consacrés par la cérémonie de l'offrande, et les distribuaient aux chefs de famille. Ces fragments, conservés avec grand soin toute l'année, étaient regardés, par une superstition commune à des

nations plus éclairées, comme de puissants préservatifs contre toutes sortes de maladies ou d'accidents.

Une circonstance de la fête mérite d'être particulièrement remarquée, quoiqu'on en retrouve de semblables dans presque tous les cultes non revélés. Chaque individu venait se présenter, en chantant, devant la principale idole, et là il s'enfonçait un bâton dans la gorge, et s'excitait au vomissement, afin de paraître devant la divinité, comme le disaient ces peuples, le cœur net et sur les lèvres.

Les prêtres du pays, qu'on nommait butios étaient tout à la fois devins et médecins. Ils possédaient en effet quelque connaissance de la vertu des simples que l'île produit en grande abondance; mais ils n'étaient pas assez habiles pour ne point employer les prestiges dont s'entoure presque toujours l'art de guérir dans son enfance; et on les accusa plus d'une fois d'avoir abusé du double ministère qui leur était commis, soit dans l'intérêt de leur caste, soit au profit de leurs affections personnelles.

On trouve encore aujourd'hui, en plusieurs endroits de l'île, des traces de ses antiques superstitions, qui ont survécu au culte qui les fit naître, et jusqu'au peuple qu'elles gouvernaient. Ce ne serait pas du reste une des moins singulières imaginations des butios, que la prédiction prétendue, faite au nom d'un de leurs zémès, au père du cacique

Quarionex, qui s'enquérait à lui de ce qui devait advenir après sa mort, Le souverain s'était préparé, par un jeûne de cinq jours, à recevoir la sainte communication; voici ce qu'il apprit: «Des hommes viendraient avant peu, qui auraient le menton couvert de longs poils, et le corps vêtu des pieds à la tête; à leur arrivée, les zémès, mis en pièces, verraient leur culte aboli, et les longues armes de fer que ces étrangers portaient à leur ceinture, devaient anéantir, dans un court espace de temps, la race des anciens insulaires. S'il en fallait croire les chroniqueurs, cette prédiction aurait été rapportée à Christophe Colomb, dès le moment de sa venue, par un grand nombre d'Haytiens.

Les premiers historiens de la découverte du Nouveau-Monde, qui n'ont pas manqué de la consigner sérieusement dans leurs livres, ajoutent que les bardes haytiens composèrent alors une chanson qui se chantait à certains jours désignés par les rits religieux, pour des cérémonies lugubres; il est malheureux qu'ils aient omis de rapporter ce morceau, qui serait pour l'histoire un document d'un bizarre intérêt.

Nous avons exposé, à peu près, ce qu'était Hayti, quand, au quinzième siècle, la passion des découvertes lointaines s'empara de la plupart des navigateurs européens. On connaît l'heureuse tentative encouragée par l'infant dom Henri, comte de Viseo, grand-maître de l'ordre du Christ, et quatrième

fils de Jean I, roi de Portugal, pour trouver un passage, par mer, aux Indes-Orientales, en faisant le tour de l'Afrique. L'activité que ce prince donna aux expéditions maritimes, très imparfaitement dirigées jusqu'au temps où il vivait, avait valu à la couronne de sa maison les Açores, les îles du Cap Vert, Madère, et une partie des Canaries. Le succès de cette entreprise hardie vint réveiller ou raffermir le dessein d'un jeune pilote italien, instruit par la renommée de la gloire des Portugais dans l'Orient, et qui pensa qu'en voguant à l'occident, on pouvait prétendre encore à une fortune plus haute que celle de Gama.

Christophe Colomb, né en 1442, d'un artisan de la rivière de Gênes, avait acquis des connaissances fort étendues dans la cosmographie, cosmographie, l'astronomie et la navigation, et il joignit de bonne heure la pratique à la théorie; avant de songer sérieusement à la découverte d'un nouvel hémisphère, il avait eu l'occasion de parcourir toutes les mers connues de son temps.

Ces différentes courses, sans enrichir Colomb, l'avaient rendu le navigateur le plus expérimenté de son siècle, et heureusement cette expérience était soutenue, comme nous l'avons dit, par une instruction profonde, pour l'époque où il vivait. La réunion de ces moyens jointe à ses observations particulières, lui firent vivement soupçonner que, du côté du couchant, on devait trouver

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