Page images
PDF
EPUB

talents, obtenait des esclaves payables en trois ans, les hommes à raison de six cents francs, et les femmes à raison de quatre cent cinquante. Le même crédit était accordé pour les marchandises, quoiqu'elles dussent être livrées au cours du marché général. On s'engageait à recevoir toutes les productions du sol aux mêmes prix qu'elles auraient dans les autres quartiers de l'île. Le corps qui faisait tant de sacrifices n'en était dédommagé que par le droit qu'on lui avait assuré de vendre et d'acheter exclusivement dans tout le territoire qui lui avait été abandonné; encore cette dépendance, onéreuse au colon, était-elle adoucie, dans l'esprit du traité, par la liberté qui lui restait de prendre où il voudrait les choses dont on le laissait manquer, et de payer avec ses denrées tout ce qu'il avait acheté.

Cette compagnie, qui abusa de ses priviléges, fut ruinée par la cupidité et par les profusions de ses agents, et ne laissa que des dettes quand, avant l'expiration de son marché, elle remit, en 1718, ses droits au gouvernement, qui les transporta dans la même année à la compagnie des Indes.

La paix de Riswick n'apporta guère à l'Europe que trois ans de tranquillité. De nouveaux événements remirent bientôt en feu le vieux continent, et firent trembler le nouveau monde, dont c'était encore la destinée de ne recevoir d'impulsion que d'un levier dont le point d'appui était en Europe. Le dixseptième siècle commençait : Charles II roi d'Es

pagne, circonvenu par les intrigues des envoyés français, d'Harcourt et de Torcy, était pressé, sur la fin de sa vie, d'appeler le duc d'Anjou à sa succession vacante. L'idée de voir toutes les couronnes des Espagnes transportées dans une maison rivale et ennemie de la sienne avait plongé le vieux monarque dans de noirs chagrins; cependant après des combats et des irrésolutions sans nombre, il s'était rendu, et il avait légué au petit-fils de Louis XIV, un trône qui devait coûter à la France des trésors et du sang sans avantage et presque sans gloire.

Louis XIV, alors détesté des Français, qu'il persécutait pour des dogmes après les avoir ruinés dans les guerres, était encore plus haï au-dehors. A la haine se réunit alors contre lui la crainte que dut inspirer un tel accroissement de puissance; l'Europe se ligua pour l'empêcher. L'anéantissement où la régence de Marie-Anne d'Autriche avait plongé l'Espagne; l'esprit de bigoterie qui gouvernait la France, procurèrent à la ligue des succès qu'elle n'avait peut-être pas osé espérer.

Cette ligue prit ainsi un ascendant que des victoires également utiles et glorieuses augmentaient à chaqucampagne; bientôt il ne resta aux deux couronnes qu'elle voulait disjoindre, ni force ni réputation. Pour comble de malheur, leurs désastres étaient l'objet de la joie universelle.

L'Angleterre et la Hollande, après avoir prodigué leur sang et leurs trésors dans cette lutte continen

tale, paraissaient devoir enfin s'occuper de leurs intérêts, qui les appelaient en Amérique, vers des conquêtes riches et faciles; car l'Espagne avait perdu ses galions à Vigo; et depuis long-temps la France n'avait plus de marine, parce que les campagnes de terre, et le luxe public et privé du monarque, avaient absorbé toutes les ressources du trésor.

Les possessions de la France et de l'Espagne dans les Indes occidentales se trouvaient sans défense; elles s'attendaient à devenir la proie de la GrandeBretagne et des Provinces-Unies, les seuls peuples modernes qui eussent établi leur force politique sur le commerce. Saint-Domingue surtout semblait la première conquête dont ils dussent s'occuper, et cette conquête était facile. D'immenses découvertes avaient mis, il est vrai, dans les mains des Castillans et des Portugais la possession exclusive de trésors et de productions qui semblaient alors promettre l'empire de l'univers, si ces richesses avaient pu l'assurer à des peuples qui manquaient surtout de vues commerciales, et qui trop hâtés de jouir, et abusant des hommes comme des choses, accéléraient chaque jour leur ruine par leurs excès. Une seule circonstance contribua à sauver l'Amérique des mains de la Hollande et de l'Angleterre. Ces nations toujours rivales et depuis long-temps ennemies déclarées, s'étaient réunies pour abattre un ennemi plus terrible et qui leur était commun. Des succès trop rapides, trop décisifs dès le commencement, et

qu'il était trop facile de poursuivre, réveillèrent leur animosité. Dans la crainte de travailler à l'agrandissement l'une de l'autre, elles renoncèrent à toute invasion en Amérique. Enfin la reine Anne ayant saisi le moment propice pour une paix particulière, elle se fit accorder des avantages qui laissèrent la nation rivale de la sienne, fort en arrière. Dès lors l'Angleterre fut tout, et la Hollande ne fut rien.

La guerre si longue et si sanglante de la succession d'Espagne, en réunissant les intérêts de Louis XIV à ceux de l'héritier de Charles II, procura aux établissements français de Saint-Domingue quelques années d'une paix intérieure. La cour de Versailles profita de ces moments de calme pour achever de régler les affaires de la colonie, et pour y établir les autorités nécessaires à la police et à la sûreté publique.

Ducasse avait été nommé chef d'escadre en 1703; on lui donna pour successeur l'ancien gouverneur de la Guadeloupe, Auger, créole de cette île, et qui, du rang le plus bas, s'était élevé par son mérite à la dignité qu'il occupait. Jusqu'à l'époque de cette nomination, les gouverneurs des établissements français de Saint-Domingue avaient réuni le pouvoir civil à l'autorité militaire; mais alors on créa une charge d'intendant qu'on investit de toute l'autorité judiciaire, et cette place fut confiée à Deslandes, qui ne porta pourtant que le titre de

commissaire ordonnateur. Il avait été long-temps directeur de la compagnie des Indes, et la plupart des rajas, le Grand-Mogol lui-même, les Anglais, les Hollandais, les Portugais et le roi de Danemarck lui avaient donné, à l'envi, les marques éclatantes et honorables d'une confiance parfaite et des distinctions les plus flatteuses. Il arriva à Léogane le 13 février 1705. L'inaltérable liaison qui se forma entre lui et le successeur de Ducasse, assura la tranquillité de l'administration de la colonie autant que le bien-être de ses habitants. Nous aurons à remarquer plus tard, que sous le régime arbitraire auquel les îles obéissaient, elles ne durent souvent quelques libertés qu'à la désunion des deux pouvoirs, qui ́se disputaient à l'envi le droit de l'oppression.

Du reste, l'existence administrative de ces deux hommes ne fut pas de longue durée pour la colonie de Saint-Domingue. Ils moururent presque en même temps. Mithon fut désigné pour succéder à Deslandes, avec le titre d'intendant que celui-ci n'avait pas eu. En 1707, le comte de Choiseul-Beaupré fut appelé au gouvernement de l'île, qu'il conserva à peine pendant quatre ans ; car un engagement ayant eu lieu, en 1711, entre la flotte qui le portait en France et des bâtiments anglais, il fut blessé dans cette rencontre, et alla mourir à la Havanne, peu de jours après le combat.

Lorsque Choiseul mourut, il venait de rassem→

« PreviousContinue »