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de telle sorte que, presque sur aucun point, excepté dans la profondeur des deux langues terminées, l'une au cap Saint-Nicolas et l'autre aux caps Tiburon et dame Marie, les établissements français ne s'étendaient pas à plus de dix lieues des côtes; le littoral qui les embrassait en avait plus de deux cent trente, des Anses à pitres à la baie du fort Dauphin; la ligne intérieure des frontières n'avait guère qu'une longueur de quatre-vingts à quatrevingt-dix lieues.

Les dernières mines de la partie espagnole avaient été comblées en 1724, sans que cette privation du dernier appât qui pût tenter la paresse des colons, tournât leur esprit vers des industries plus nobles <et vers des sources de richesses qui ne tarissent jamais. Ce fut presque vainement que le roi d'Espagne Charles III proclama, en 1765, la liberté du commerce pour les îles du Vent, et qu'à la suite du traité des limites, en 1776, on le rendit également libre entre les deux sections de l'île de SaintDomingue: les commerçants de la partie française n'y trouvèrent qu'un faible avantage, leurs voisins n'ayant d'autres richesses que quelques bestiaux, et l'argent apporté d'Espagne pour l'entretien de l'administration et des troupes.

La plus grande partie des bénéfices ecclésiastiques de la colonie était dans les mains du clergé séculier. San-Domingo possédait un siége archiépiscopal, et était placé, comme les autres posses

sions espagnoles, sous le régime d'une inquisition indépendante de la cour de Rome. On distinguait les habitants en plusieurs classes: la première était celle des Espagnols purs, appelés aussi chapetons, elle ne comprenait guère que les administrateurs et les troupes envoyées d'Europe, et réunissait à peu près tout le pouvoir dans ses mains; les créoles, descendants des Européens établis en Amérique, formaient la seconde classe; la troisième était celle des mulâtres, c'est-à-dire des hommes nés du mélange du sang européen et du sang indien; les métis, produits par l'union des Européens et des noirs, et enfin les noirs importés d'Afrique et ceux nés dans la colonie appartenaient à la quatrième et à la cinquième division.

Le gouvernement des villes était confié à des municipalités locales, dont l'autorité se bornait le plus souvent à régler des stipulations commerciales d'un faible intérêt. San-Domingo possédait une cour de justice composée de six juges, et l'une des onze destinées à pourvoir à l'administration judiciaire dans les colonies espagnoles de l'Amérique. Les décisions de ces cours étaient soumises à un pel auprès du conseil des Indes, en Castille, excepté pour les affaires civiles, quand le sujet de la contestation n'excédait pas une valeur de trente-sept mille francs de notre monnaie. Le vice-roi de la Nouvelle-Espagne était le chef du gouvernement. Dans la partie française l'autorité ecclésiastique

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avait passé, durant le 18e siècle, dans les mains de différentes congrégations religieuses, et on avait voulu pourvoir, par de sages réglements, à prévenir les abus qui pouvaient résulter et des querelles des différents ordres entre eux, et de l'insubordination qu'il fallait craindre de la part d'hommes qui ne reconnaissaient d'autre pouvoir que l'autorité de leurs supérieurs réguliers, autorité trop faiblement exercée quand elle devait se faire sentir de si loin. Il fallait aussi craindre que l'appât d'une fortune facile, sur une terre qui promettait des richesses à tous ceux qui la foulaient, ne fit oublier à ces apôtres de la parole divine le but de leur sainte mission.

Il est bon de savoir comment ces religieux observaient leur vœu de pauvreté. Les hospices ou couvents, fondés d'abord pour l'entretien des missions, étaient devenus en peu de temps des propriétés assez considérables, pour qu'en 1703 le gouvernement crût devoir en limiter le nombre et l'étendue à la quantité de terre qu'il fallait pour occuper cent nègres; limitation expressément stipulée dans les lettres - patentes d'octobre 1704, pour l'établissement des jésuites dans la partie du nord à Saint - Domingue, que la cupidité des prêtres a obligé de renouveler en 1721 et en 1743, par des déclarations positives portant défenses d'acquérir sans permission du roi, à peine de réunion au

domaine.

Malgré ces défenses royales, en 1771, les dominicains avaient à la Martinique une sucrerie et cinq cents esclaves, qui leur donnait 150,000 livres de revenu, et des rentes foncières qui leur produisaient 94,000 livres; indépendamment de 40,000 livres de casuel de la cure du Mouillage à la Guadeloupe, et deux habitations qui pouvaient donner ensemble un revenu de 200,000 livres. Ils avaient vendu 500,000 livres leurs possessions à la Grenade; à Saint-Domingue, ils avaient une sucrerie et plus de deux cents noirs; une autre sucrerie attendait des forces pour devenir plus considérable que la première.

Les carmes avaient deux habitations à la Guadeloupe, dont l'une donnait 40,000 livres de revenu. A la Martinique, les capucins n'avaient point de terres, mais un grand nombre d'ouvriers et de bestiaux, dont ils vendaient le travail et les croîts. Ils perdirent, par l'ouragan de 1767, des canots passagers, conduits par des esclaves, dont ils tiraient 5 à 6,000 livres par an. Les jésuites avaient à la Martinique une sucrerie dont la régie a donné à leurs créanciers 50,000 livres, et 40,000 livres en loyers de leurs maisons. Leurs possessions à la Guadeloupe furent vendues 600,000 livres; celles à la Dominique, 800,000 livres ; celles à Saint-Domingue, 800,000 livres, indépendamment des nègres, au nombre de cent, et beaucoup de bestiaux vendus à des particuliers, sur lesquels ils furent repris par des créanciers, en vertu d'arrêt du conseil d'état:

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et des bâtiments considérables dans la ville du Cap, dont le gouvernement s'empara. A Cayenne et dans le continent, ils possédaient deux belles sucreries, une cacaotière considérable, une vaste ménagerie, et, sur ces diverses possessions, au moins, neuf cents noirs. La vente de tout fut faite au roi, pour somme de 1,200,000 livres, monnaie de France. A la Louisiane, la valeur de leurs biens et effets excédait la valeur totale de ceux qu'ils avaient dans les autres colonies; mais il faut dire que dans cette contrée, ils les avaient acquises à la faveur du système de papier-monnaie qui venait de ruiner la France.

Quant aux missionnaires particuliers, on en voyait peu revenir sans un pécule plus ou moins considérable, qu'ils employaient à s'affranchir de la règle dans les maisons de leur ordre, ou à des sécularisations scandaleuses.

Ce pécule était le fruit du commerce auquel se livraient les religieux; l'esprit de propriété gagnait les plus ambitieux de ceux qui, malgré leur vœu de pauvreté, s'étaient amassé une fortune en numéraire; ces moines achetaient des terres sous des noms empruntés et s'y retiraient dans l'indépendance de tout supérieur et de toutes fonctions.

Le vœu d'obéissance de ces saints hommes n'était pas mieux gardé que leur vœu de pauvreté; l'éloignement dans lequel ils se trouvaient de leurs supérieurs rendait l'insubordination facile, et à peine obéissaient-ils au pouvoir civil pour tout ce qui re

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