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struit. Edwards Bryand ne porte qu'à 24,000 le nombre des hommes de couleur ; il fait monter à 480,000 celui des esclaves, que le colonel Malenfant annonce avoir été de 500,000, d'après les déclarations, et qu'il estime à 700,000; mais nous avons lieu de croire que ce calcul est exagéré. En l'année 1767, on n'en comptait plus guère

que 290,000.

Le nombre des hommes de couleur créoles, fruits le plus souvent des amours illégitimes des Européens et des femmes noires, était plus considérable que celui des blancs. Les mœurs étaient tombées dans un grand relâchement dans ces contrées, qu'on ne regardait guère que comme une terre de passage, et sous un climat ou les femmes blanches, nubiles dans l'enfance, mais vieilles presque presque aussitôt qu'elles avaient été nubiles, ne pouvaient fixer l'amour que pour quelques instants, tandis que l'ardeur du sang africain, et plus peut-être encore leur triste position sociale, jetait les femmes esclaves et les mulâtresses dans les bras des Européens. Un recensement authentique nous apprend qu'en 1774, sur 7,000 femmes de couleur libres, Saint-Domingue en comptait cinq mille qui vivaient concubinairement avec les blancs, et dont cependant une faible moitié seulement se livrait à une prostitution publique. Sur 6,400 femmes blanches, on estimait que le nombre de celles qui n'étaient pas mariées, pouvait mon

ter à 2,400. La population libre de l'île était alors de 41,300 habitants, dont 8,000 seulement étaient propriétaires de plantations; encore sur ce nombre, il n'y en avait guère que 3,000 qui résidassent sur leurs possessions et dans la colonie. On estimait à 2,500 le nombre des cabaretiers, et à 6,000 celui des hommes dont l'administration judiciaire entretenait et payait les services.

C'était assurément beaucoup si l'on s'arrête au nombre des justiciables; c'était même plus qu'il n'en fallait pour l'expédition des affaires. Il est vrai que les procès étaient nombreux, mais ils ne l'auraient pas été autant, s'il y avait eu moins de gens de justice, et si ces officiers avaient été en général moins avides et plus expérimentés.

Les procès et les jugements coûtaient à la colonie, tous les ans, un peu plus de 5,000,000. La seule geole du Cap était d'un produit de 60,000 liv. qui était partagé d'habitude entre le titulaire et ceux qui lui avaient donné sa place ou qui pouvaient la lui ôter. On évaluait à 1,250,000 livres, les honoraires des seuls procureurs.

La population, dans la partie espagnole, était, en 1785, d'après un recensement authentique, de 152,640 habitants, dont 30,000 à peu près étaient esclaves. Elle a singulièrement décru depuis cette époque; car après que cette partie fut cédée à la France, en 1795, on n'y comptait guère que 125,000 habitants, dont 15,000 esclaves seulement.

A

que

Dans l'une et dans l'autre partie de l'île, la condition des esclaves était généralement soumise aux caprices de leurs maîtres. Les habitants espagnols, avec des préjugés encore plus enracinés peut-être les habitants français, traitaient cependant ce qu'ils appelaient leurs Noirs, avec moins d'inhumanité, parce qu'ils avaient moins à attendre de leur travail. On estime que, dans les temps qui ont précédé l'année 1789, la traite des nègres, soit par le commerce de France, soit par la contrebande étrangère, introduisait annuellement, dans les seuls établissements français, près de 30,000 Africains, et que, depuis le commencement du 18° siècle à peu près, plus de 900,000 de ces victimes avaient été importées dans la colonie, Cependant, d'après les calculs les plus exacts, il ne s'en trouvait pas beaucoup plus de la moitié de ce nombre en 1789, quoiqu'on eût dû naturellement espérer que, sous un ciel semblable à celui de leur patrie, ils dussent facilement se multiplier. Cet argument, dont la plus simple expression peut être déterminée avec des chiffres, est une réponse péremptoire à ceux des partisans de l'esclavage qui ont prétendu que la condition des noirs dans les îles de l'Amérique, était préférable à leur état dans leur patrie. Il est vrai que la servitude était d'une origine plus ancienne sur les côtes de Guinée, que l'importation des nègres en Amérique ; mais il n'y a pas lieu de douter que la traite européenne n'ait multiplié

les victimes de cet usage féroce, par l'appât qu'elle offrait à la cupidité des maîtres; et, ce qui est moins douteux encore, c'est la résistance opiniâtre des malheureux qu'elle voulait entraîner loin de leur patrie, et leur douleur persévérante quand ils l'avaient quittée.

Les lois qui autorisaient la servitude en Afrique, défendaient au maître de vendre un homme né dans l'état d'esclavage; il pouvait seulement disposer des serfs qu'il avait acquis, soit à la guerre, où tout prisonnier était esclave à moins d'échange; soit à titre d'amende pour quelque tort qu'on lui avait fait; soit enfin qu'il les eût reçus en témoignage de reconnaissance. On sent que cette loi, qui semblait être faite en faveur de l'esclave-né, devint insuffisante quand le commerce européen eut fait hausser le prix des têtes sur les côtes de Guinée; et qu'elle dut se trouver éludée tous les jours par des querelles concertées entre les propriétaires, qui se faisaient condamner tour-à-tour et l'un envers l'autre, à une amende payable en esclaves-nés, dont la disposition devenait libre dès lors, d'après la lettre de la loi.

Les souverains, ces tuteurs-nés du peuple, loin d'arrêter de tels désordres, s'y livraient eux-mêmes avec d'autant plus de fureur qu'ils avaient plus de pouvoir.Non contents de multiplier les guerres pour se procurer des esclaves, ils avaient établi l'usage de punir par la servitude, non-seulement ceux qui

avaient attenté à la vie ou à la propriété des citoyens, mais encore quiconque se trouvait hors d'état de payer ses dettes, et jusqu'aux époux traîtres à la foi conjugale. L'esclavage était devenu, avec le temps, la peine des plus légères fautes, après avoir été d'abord réservé aux plus grands crimes. On ne cessait de porter les lois les plus dures, même sur des choses indifférentes, pour accumuler les revenus des peines avec le nombre des transgressions. On fit plus, on ne chercha même plus de prétexte. Dans un grand éloignement des côtes, il se trouvait des chefs qui faisaient enlever autour des villages tout ce qui s'y rencontrait. On jetait les enfants dans des sacs, on mettait un bâillon aux hommes et aux femmes pour étouffer leurs cris. Si les ravisseurs étaient arrêtés par une force supérieure, on les conduisait au souverain; mais celui-ci désavouait toujours la commission qu'il avait donnée, et, sous prétexte de rendre la justice, il vendait ses agents mêmes aux vaisseaux avec lesquels ils avaient traité de la capture que ceux-ci devaient faire.

Malgré ces ruses odieuses et si multipliées, les habitants de la côte se voyaient souvent hors d'état de fournir aux demandes que les marchands leur faisaient. La matière commerçable ne se renouvelant pas aussi rapidement que le prix qu'on en recevait était consommé, la balance devenait inégale entre le vendeur et l'acheteur: d'un autre côté, les besoins des consommateurs d'hommes

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