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ou bien plutôt de notre sang; ces édifices que nous avons élevés, et ce dans l'espoir d'une juste récompense! l'avons-nous obtenue, mon général? Leroi, l'univers ont gémi sur notre sort, et ont brisé les chaînes que nous portions; et nous, humbles victimes, nous étions prêts à tout, ne voulant point abandonner nos maîtres; que dis-je ? je me trompe, ceux qui auraient dû nous servir de pères après Dieu, c'étaient des tyrans, des monstres indignes des fruits de nos travaux et vous voulez, brave général, que nous ressemblions à des brebis, que nous allions nous jeter dans la gueule du loup? Non, il est trop tard; Dieu, qui combat pour l'innocent, est notre guide, il ne nous abandonnera jamais. Ainsi voilà notre devise: Vaincre on mourir.

« Pour vous prouver, respectable général, que nous ne sommes pas aussi cruels que vous pouvez le croire, nous désirons, du meilleur de notre ame, faire la paix, mais aux clauses et conditions que tous les blancs, soit de la plaine ou des mornes, se retireront par-devers vous, pour se retirer dans leurs foyers, et par conséquent abandonner le Cap, sans en excepter un seul; qu'ils emportent leur or et leurs bijoux, nous ne courons qu'après cette chère liberté, objet si précieux.

« Voilà, mon général, notre profession de foi, que nous soutiendrons jusqu'à la dernière goutte de notre sang. Il ne nous manque point de poudre et de canons; ainsi la mort ou la liberté. Dieu

sang!

veuille nous la faire obtenir sans effusion de alors tous nos vœux seront accomplis, et croyez qu'il en coûte beaucoup à nos cœurs d'avoir pris cette voie.

Mais, hélas! je finis, en vous assurant que tout le contenu de la présente est aussi sincère que si nous étions par-devant vous. Ce respect que nous vous portons, et que nous jurons de maintenir, n'allez pas vous tromper et croire que c'est faiblesse, en ce que nous n'aurons jamais d'autre devise: Vaincre ou mourir pour la liberté.

« Vos très humbles et très obéissants serviteurs,

<< Tous les généraux et chefs qui composent notre

armée. »

On répondit par une attaque à cette missive singulière; une lettre trouvée, dans ce coup de main, sur l'habitation Galiffet, vint tout à coup éclairer les colons sur la nature de l'insurrection, et sur le caractère de ceux qui en avaient été les premiers instigateurs. Elle leur apprit que des blancs espagnols, et même le parti royaliste français soutenaient secrètement les noirs, dans l'espérance d'opérer une contre-révolution. Cette opinion vraisemblable s'était également accréditée parmi quelques hommes de couleur, Voici ce que portait en substance cette lettre, qui ne fut pas la seule pièce de conviction dont les esprits purent tirer des lu

mières durantcette première phase de la révolution : « Je suis faché que vous ne m'ayez pas prévenu plutôt que vous manquiez de munitions; si je l'avais su, je vous en aurais envoyé, et vous recevrez incessamment ce secours, ainsi que tout ce que vous me demanderez, quand vous défendrez les intérêtsdu roi.

Signé DON ALONZO.

L'effroi des colons en fut porté à son comble, ils ne savaient plus à qui se fier. Un parlementaire des rebelles vint se présenter devant le Port -Margot: il était porteur d'un drapeau blanc aux armes de France, et sur lequel était écrit d'un côté : Vive le roi! et de l'autre : Ancien régime ! Il donna connaissance aux habitants d'une déclaration des siens

dans laquelle il était dit à peu près : « Qu'ils avaient pris les armes pour la défense du roi, que les blancs retenaient prisonnier à Paris, parce qu'il avait voulu affranchir les noirs, ses fidèles sujets; Qu'ils voulaient donc cet affranchissement, et le rétablissement de l'ancien régime;

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Moyennant quoi, les blancs auraient la vie sauve, et pourraient retourner tranquillement dans leurs foyers; mais qu'ils seraient préalablement désarmés. » ›

Les habitants du Port-Margot, se refusant à rien conclure de leur chef, promirent d'adhérer aux conditions arrêtées par la ville du Cap: les rebelles, mécontents de cette réponse, attaquèrent la

ville; mais ils en furent repoussés avec une perte de 200 morts et de quatre pièces de canon. Cette défaite leur fut peut-être profitable; elle leur apprit à modérer leur fougue impétueuse et à devenir plus prudents dans leurs attaques. Ils portèrent la guerre en d'autres quartiers; en peu de temps, tous les postes qui n'avaient pas de villes pour places d'armes, tombèrent en leur pouvoir. Ils réduisirent les colons à demeurer sur la défensive. Pendant que ceux-ci pendaient aux arbres et aux haies, les cadavres des prisonniers noirs, les insurgés formaient autour de leur camp une enceinte marquée par les têtes sanglantes de ceux qui tombaient sous leur main. Une troupe de ces hommes menaçait le Cap et les ouvrages avancés de la presqu'île du môle Saint-Nicolas; ils furent battus par Touzard, abandonnèrent le Limbé et regagnèrent, pour quelque temps, les mornes les plus inaccessibles.

Quand Touzard reprit le Limbé, on apprit par quatre-vingts femmes blanches qu'il rendit à la liberté, que les plus horribles excès avaient été commis sur ces malheureuses, par les chefs de l'insurrection. Le curé de la paroisse, qui n'avait point abandonné son poste, mais qui n'y était demeuré que pour servir les projets des rebelles dans leurs tentatives sur l'honneur de ces femmes, fut arrêté et pendu juridiquement. Dans le cours de la révolution dont nous parcourons la première époque, plus d'un événement semblable eut lieu, et l'on retrouva

plus d'une fois des prêtres au milieu des rebelles superstitieux, dont ils dirigeaient au gré de leurs vues l'ignorance et le fanatisme.

La défaite que les noirs venaient d'essuyer sema la division parmi les chefs: ils s'accusaient mutuellement de trahison.

Jean-François, moins cruel que Jeannot, l'un des moteurs de l'insurrection, et détestant les atrocités commises par ce rival, moins peut-être qu'il n'était jaloux de son pouvoir, l'attaqua, le prit, le fit fusiller et l'attacha par le milieu du corps aux crochets de fer ou lui-même suspendait ses prisonniers et ses ennemis. Bouckmann, le premier chef de la révolte avait été tué dans un combat; sa tête hideuse, séparée du tronc, fut exposée pendant huit jours sur la place du Cap.

Les blancs, tout vainqueurs qu'ils étaient, ne s'accordaient guères mieux entre eux, que les noirs. Tandis qu'ils perdaient le temps à se quereller, les hommes de couleur du Sud et de l'Ouest s'étant réunis au morne de la Charbonnière, à la Croix-desBouquets et au Mirebelais, s'étaient choisi des chefs habiles et s'étaient constitués en état d'insurrection, sous la conduite d'un homme de leur caste, nommé Beauvais, et que ses talents avaient déjà fait distinguer parmi les siens.

Les colons du Port-au-Prince firent marcher contre eux 100 matelots, formés en compagnie sous le nom de flibustiers, 200 hommes de troupes de

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