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sanctionné de M. le général, que votre intention est de vous occuper du sort des esclaves; sachant qu'ils sont l'objet de votre sollicitude, et le sachant de la part de leurs chefs, à qui vous feriez parvenir ce travail, ils seraient satisfaits, et cela faciliterait pour remettre l'équilibre rompu, sans perte et en peu de temps. Nous prenons la liberté de vous faire ces observations, persuadés que, dès que c'est pour l'intérêt général, vous les accueillerez avec bonté. Enfin, Monsieur, nos dispositions pacifiques ne sont pas équivoques; elles ne l'ont jamais été des circonstances malheureuses semblent les rendre douteuses; mais un jour vous nous rendrez toute la justice que mérite notre position, et serez convaincu de notre soumission aux lois, de notre respectueux dévouementau Roi. Nous attendons impatiemment les conditions qu'il vous plaira mettre à cette paix si désirable; seulement nous vous observerons que, du moment que vous aurez parlé, notre adhésion sera uniforme; mais que nous croyons l'article premier de notre adresse indispensable, et que nous le croyons avec l'expérience que doit nous donner la connaissance du local.

Signés JEAN-FRANÇOIS, Général; BIASSOU,
Maréchal - de - Camp; DESPREZ,

MANZEAU, TOUSSAINT et AUBERT,

Commissaires ad hoc. >>

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L'assemblée coloniale, persistant dans ses préjugés, ne voulut pas comprendre tout l'avantage qu'elle pouvait retirer de cette disposition des chefs nègres à livrer leurs frères, pourvu que l'impunité leur fût assurée : elle répondit aux députés, par l'organe de son président, «Que son assem«blée, fondée sur la loi et par la loi, ne pouvait correspondre avec des gens armés contre toutes « les lois; qu'elle pourrait faire grâce à des coupables repentants et rentrés dans leur devoir; « qu'elle ne demanderait pas mieux que de recon« naître ceux qui auraient été entraînés contre leur « volonté; mais qu'elle saurait toujours mesurer « ses bontés et sa justice ». Les commissaires de l'Assemblée nationale avaient reçu avec plus de bonté les députés des révoltés. Après qu'ils eurent entendu les dernières intentions des colons, on ordonna de se retirer.

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Biassou, transporté de colère en apprenant ce qui s'était passé, voulut faire mourir tous les blancs qui se trouvaient entre ses mains; heureusement les commissaires civils intervinrent; ils demandèrent une entrevue avec les chefs de l'insurrection. Ils s'adjoignirent pour cette entrevue, qui eut lieu sur l'habitation Saint-Michel, quatre des membres de l'assemblée coloniale : plusieurs colons les y suivirent.

Le colloque s'ouvrit sous de mauvais auspices: M. Bultot, riche planteur de l'île, ne craignit pas

de frapper d'un coup de cravache Jean-François, chef suprême des révoltés, au moment où celui-ci arrivait à cheval au rendez-vous. Le noir se retira d'abord furieux; mais, sur la parole des commissaires civils, il consentit à revenir, et réitéra verbalement les offres et les promesses contenues dans la lettre commise aux envoyés Duplessis et Raynal; des ôtages furent donnés réciproquement. Jean-François renvoya, sous bonne escorte, une vingtaine de prisonniers blancs, qui parurent à la barre de l'assemblée coloniale, accompagnés de quelques chefs noirs, parmi lesquels se trouvait Toussaint-Louverture, encore peu illustre, et qui devait jouer un si grand rôle dans les événements dont cette première révolte ouvre l'histoire.

Cet homme, doué d'une rare pénétration d'esprit, reconnut bientôt l'insuffisance des pouvoirs des commissaires : son opinion passa facilement dans l'esprit de Jean-François et de Biasson, et les négociations furent rompues.

Les hommes de couleur avaient combattu jusque-là contre les noirs avec tout le zèle que peut inspirer l'intérêt de la propriété; mais l'assemblée provinciale ayant ordonné leur désarmement, presque tous, à l'exception de ceux du Cap, s'étaient jetés dans les postes et dans le camp des nègres.

Le mulâtre Candi et quelques autres voulurent cependant faire leur paix. On désigna comme chef

à leur bande, qui demeura organisée, le commandant Pajeot; et cette troupe, que sa défection rendait à la fois l'ennemie irréconciliable des nègres et l'alliée suspecte des blancs, donna à ceux-ci des gages sanglants de sa sincérité; elle put massacrer un grand nombre de partis noirs qui désolaient les campagnes; cependant, au bout de quelques semaines, elle perdit un grand nombre des siens, qui retournèrent combattre pour les hommes de leur couleur, dont les cohortes, d'abord inexpérimentées, commençaient à s'accoutumer à

vaincre.

Déjà Jean-François avait attaqué Ouanaminthe, et s'en était emparé à l'aide de trente mulâtres demeurés avec la garnison du fort d'où leurs frères venaient d'être écartés. Le carnage fut horrible : rien ne fut épargné. Les habitants blancs de tout âge et de tout sexe furent passés au fil de l'épée. Touzard, qui commandait le cordon de l'Est, accourut, à la tête de soixante dragons, sur le théâtre de ce désastre; mais il arriva trop tard. L'ennemi s'était retiré, ne laissant après lui que des cendres et du

sang.

Biassou triomphant, ayant tourné la nuit les hauteurs du Cap, s'était emparé du fort Belair, et de l'hôpital des Pères, où, en même-temps qu'il délivrait sa mère, esclave des religieux, il faisait tuer tous les malades dans leurs lits. Après ce massacre, pendant lequel chacun des égorgeurs

disait à sa victime, en la frappant, qu'il traiterait ainsi tout ce qui n'était pas des gens du Roi, le chef noir se retira sans profiter, contre la ville, de la confusion qu'il avait jetée dans tous les postes extérieurs.

Dans le même temps, un détachement de l'armée noire livrait aux flammes les riches habitations de la plaine de l'est, du Maribarou, celles des quartiers des Moustiques, de Terre-Neuve, du GrosMorne, de Jean-Rabel, de Saint-Nicolas et du Portde-Paix.

Cependant les soupçons les plus injurieux s'élevaient au Cap sur les chefs militaires : le commissaire Roume était dénoncé comme émissaire des Amis des Noirs.

Les collègues de ce délégué firent alors imprimer toute leur correspondance : toutes leurs lettres, tous leurs actes respiraient le désir de la concorde; ils invitaient tous les partis à l'oubli, à l'union, et au respect des lois établies. L'assemblée coloniale n'en publia pas moins, le 19 février, l'arrêté sui

vant :

Après mûre discussion, l'assemblée, voulant se mettre plus à même de connaître les erreurs dans lesquelles MM. les commissaires nationaux auraient pu tomber, et qu'ils auraient propagées dans la colonie ;

<< Arrête, préalablement, qu'il sera nommé trois commissaires chargés de déterminer l'opinion de

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