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l'assemblée sur les pouvoirs de MM. les commissaires civils; les motifs sur lesquels cette opinion est fondée, les cas dans lesquels MM. les commissaires nationaux se sont écartés de leurs pouvoirs, et les dangers qui résultent de ces écarts pour le salut et le bonheur de la colonie. »>

La réponse des commissaires à ce violent manifeste fut ce qu'elle devait être. Ils n'avaient reçu de pouvoirs que de l'Assemblée nationale de France et du roi; ils ne devaient compte de ces pouvoirs qu'à ceux qui les leur avaient commis.

L'assemblée coloniale répondit à son tour: « Que les commissaires nationaux civils, quelle que pût être l'étendue des pouvoirs qui leur avaient été délégués, étaient absolument sans caractère connu, sans fonction pour s'immiscer, directement ou indirectement dans aucune résolution de l'assemblée, notamment dans les actes relatifs à l'état des esclaves, et à la condition politique des hommes de couleur; et que ce droit de prononcer exclusivement, à cet égard, dépendait essentiellement de la puissance législative, conférée aux assemblées coloniales; qu'à ces assemblées coloniales seules appartenait le droit d'appliquer et faire exécuter provisoirement, avec l'approbation du gouverneur, les décrets nationaux qui pourraient s'adapter aux convenances locales, et qu'aucun corps populaire ne pouvait ni ne devait, sous quelque autorisation que ce fût, appliquer, ni faire exécuter aucun dé

cret rendu par la France, que l'assemblée coloniale ne l'eût préalablement adopté ».

Ces violentes déclamations intéressaient tous les insurgés de la colonie en faveur des commissaires. Quand Saint-Léger arriva au Port-au-Prince, toutes les factions firent également éclater leur contentement. La ville était en grande partie bloquée par terre par les confédérés de la Croix-desBouquets et du Sud, et les cendres l'avaient presqu'entièrement consumée ; les vivres y manquaient, et nul espoir de s'en procurer ne s'offrait aux assiégés; des négociations ne tardèrent pas à s'ouvrir l'entrevue demandée par les confédérés euxmêmes, eut lieu dans la plaine, sous le canon du fort Saint-Joseph. Saint-Léger y fut reçu avec les plus grands honneurs. Il engagea les mulâtres à se soumettre aux dispositions de l'édit du 24 septembre, et il parvint à opérer un rapprochement entre les deux partis.

Par suite des concessions faites par les mulatres de l'Ouest, les autorités municipales furent renouvelées et entièrement composées de blancs. Cependant quelques-unes de ces municipalités ne furent point reconnues par les assemblées coloniales et provinciales, parce qu'elles déclaraient à l'unanimité: « Qu'elles ne cesseraient de provoquer, par des pétitions, les dispositions si bienfaisantes de l'Assemblée nationale, et de réclamer les bontés paternelles du Roi, pour rendre aux hommes de

couleur et aux nègres libres les droits légitimes que la paroisse leur avait assurés par des traités, illégaux par la forme, il est vrai, mais qui n'en étaient pas moins sacrés par la justice, la raison et l'humanité, qui en étaient la base ».

Le marquis de Borel, membre de l'assemblée coloniale, et riche planteur de l'Artibonite, venait de former un corps de partisans, avec lequel il prétendait forcer les blancs de son quartier et ceux des Verretes, à révoquer les concordats qui les unissaient aux hommes de couleur. On a accusé cet ardent antagoniste des mulâtres d'une foule d'actions qui caractérisent plutôt un voleur de grand chemin, qu'un chef de parti dans des temps. de révolution. Sa levée de boucliers mit en feu toutes les paroisses de l'Ouest, sans que l'auteur de tant de désordres pût éteindre l'incendie qu'il avait allumé: battu en plusieurs rencontres, ainsi que les différents corps qui vinrent de tous côtés pour le soutenir, il ne trouva de refuge qu'au sein de l'assemblée coloniale, laissant après lui les hommes de couleur qui l'avaient vaincu, encore en armes, et vengeant dans le sang de la race blanche tout le mal qu'il avait voulu faire à leur

caste.

Après sa retraite, le maréchal-de-camp de Fontange, commandant le cordon de l'Ouest, se hâta de reconnaître l'ancien pacte fédératif de SaintMarc et de la Croix-des-Bouquets, et épargna par

cette démarche le petit nombre de colons qui avaient échappé aux premiers massacres.

Les chefs militaires de la colonie et toutes les paroisses de l'Ouest, à l'exception du Port-auPrince, suivirent l'exemple de ce chef. Cependant l'assemblée coloniale réunie dans cette ville ne mettait plus de bornes aux excès de son emportement: elle accusa Saint-Léger d'avoir causé le massacre des blancs de l'Artibonite, dont Borel était seul coupable; et, sur ce chef d'accusation, elle prononça la déportation du commissaire civil. Sans attendre l'exécution de cette ridicule sentence, Saint-Léger quitta le Port-au-Prince, escorté par une centaine d'hommes de couleur, à défaut des troupes régulières qui s'étaient refusées à le suivre, et se rendit à Leogane.

Après le départ du commissaire de l'Assemblée nationale, la bride fut de nouveau lâchée aux partis dans le Port-au-Prince. L'assemblée coloniale, après avoir fait emprisonner tous ceux des officiers des troupes réglées qui refusèrent d'obéir à ses ordres, au mépris de ceux qu'avait laissés SaintLéger avant son départ, fit marcher sur la Croixdes-Bouquets toute la garnison qui se trouvait dans la place, et arriva le 23 mars dans ce bourg, qu'elle trouva presque désert. Il n'est pas sûr qu'en concertant cette expédition l'assemblée de l'Ouest eût pour but d'éviter une révolte; mais il est certain qu'elle ne fit que l'accélérer.

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Au premier bruit de l'approche des troupes, les esclaves s'étaient enfuis de toutes parts dans les mornes du Grand-Bois et du Pensez-y-Bien. Un petit nombre de blancs étaient demeurés, ou revinrent, sur la sommation qui leur en fut faite par les chefs de l'armée du Port-au-Prince. Tous ceux qu'on put atteindre furent forcés de rétracter, par un serment solennel, le concordat signé avec les hommes de couleur. Cependant la haine et le ressentiment de ceux-ci ne restaient point oisifs. Ils organisaient, avec autant d'ardeur que de secret, une révolte parmi les esclaves : le quinzième jour après l'occupation de la Croix-des-Bouquets, une troupe nombreuse de noirs, sous la conduite d'un jeune chef de leur couleur, nommé Hyacinthe, vinrent fondre à la fois de tous côtés sur les troupes campées dans ce bourg. L'ennemi fut accablé sous le nombre; en vain les canonniers de Praloto firent tonner sur eux l'artillerie; il fallut céder à l'impétuosité de leurs charges, et regagner en déroute le Port-au-Prince, en abandonnant une centaine de morts aux noirs, qui avaient fait une perte d'hommes dix fois plus grande.

Le Nord, le Sud et l'Ouest présentèrent bientôt le même spectacle de ruines et de désolation. Dès ce moment tout fut désespéré pour les colons : ils n'eurent plus qu'à subir les conséquences de leur obstination et de leurs cruels préjugés.

Cependant le commissaire Saint-Léger cherchait

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